Je connaissais l'histoire de ce pianiste juif polonais, rescapé du Ghetto de Varsovie, pour avoir vu le film qui a été adapté du livre en 2002 par
Roman Polanski et remarquablement interprété par Adrien Brody. Mais, rien ne vaut l'intimité partagée qui se joue à la lecture du récit écrit par le principal protagoniste (son témoignage est tellement empreint de vérité, distanciée certes, mais vérité tout de même). Aussi, lorsque je suis tombée sur ce livre en brocante, je l'ai immédiatement acheté... et j'ai attendu pour le lire sachant combien il me toucherait.
En fait, ce témoignage a été écrit par son auteur au lendemain de la libération de Varsovie (1946) mais n'a pu être mis au jour que très tardivement en 2001, grâce à son fils
Andrzej Szpilman. En effet, dans la Pologne communiste aux ordres de la Russie, il ne faisait pas bon relater les responsabilités respectives des juifs, des polonais, des milices ukrainiennes ou lituaniennes ou autre bataillon Vlassov (ex-déserteurs Russes). Ce livre a donc dormi des années sur les étagères d'une bibliothèque personnelle avant que d'être livré à la postérité.
Et c'est tant mieux !
Au travers du témoignage de
Szpilman, c'est une page d'histoire qu'il nous est donnée de découvrir. Celle qui a vu le parcage de 500.000 juifs dans une surface très réduite de la ville de Varsovie (Petit et Grand ghettos) avant leur déportation à des fins d'extermination. Comment ne pas être sidérés par la façon dont les autorités allemandes (et polonaises qui collaboraient) ont progressivement privés les Juifs de leurs droits les plus fondamentaux, les ont spoliés de leurs biens, de leur argent jusqu'à les priver de nourriture, d'eau, de soins jusqu'à les abattre, au quotidien et sans raison, tel du bétail ? Comment ne pas être sidérés par l'aveuglement des membres du Conseil juif et leur collaboration active dans cette démarche ? Comment comprendre que même dans ces conditions iniques de subsistance, certains tiraient très favorablement leur épingle du jeu et se gavaient sur le dos de leurs congénères ? Comment ne pas être étonnés du décalage sensible entre la pourriture et la mort d'un côté et les élites, les lieux de culture préservés, la musique et les intellectuels de l'autre ? Comment, enfin, ne pas être impressionnés par les circonstances qui ont fait, qu'à plusieurs reprises,
Wladyslaw Szpilman s'est trouvé "sauvé" d'un destin tout tracé ? Comment ne pas s'interroger de l'incroyable instinct de survie et les capacités de résilience de cet homme qui, malgré l'adversité, l'isolement, la peur, la faim, la soif, la maladie, a tenu bon et a survécu à l'impensable ?
Peut-être fallait-il qu'il fut vivant pour que l'on connaisse cette incroyable histoire ? Peut-être fallait-il qu'il fut vivant pour qu'il continue d'offrir au monde son incroyable talent ? Peut-être fallait-il qu'il fut vivant pour faire un pied-de-nez à ces Allemands qui ont exterminé sa famille.
C'est à mon avis un livre qu'il faut absolument lire et mettre dans les mains des plus jeunes, afin qu'ils sachent ce qui s'est produit et qu'ils comprennent que plus jamais ce type de génocide ne doit être mené par quelque pays ou peuple que ce soit, pour quelque raison que ce soit.
L'édition de chez Robert Laffont offre l'avantage d'être complétée par des extraits du Journal de
Wilm Hosenfeld (le militaire allemand qui sauvera
Szpilman en lui procurant de la nourriture lui permettant de tenir jusqu'à l'arrivée des Russes à Varsovie). Dans ses lignes, on voit son incompréhension et son rejet face aux exactions commises par le Reich et le fou à sa tête. Son impossibilité à croire à l'incroyable ! On y voit aussi toute son impuissance à la fois en tant qu'homme et en tant que militaire soumis à une discipline qui ne permet pas de se rebeller.
Cette édition compte également une postface de
Wolf Biermann, ami de l'auteur, qui a enquêté sur le devenir de l'officier allemand (fait prisonnier par les Russes) et sur les bonnes actions qu'il a commises pour sauver quelques-uns de ces Juifs et autres Polonais, actions qui mériteraient que son nom trouve sa place au sein de l'Allée des Justes au mémorial de Yad Vashem de Jérusalem. Un éclairage intéressant qui montre, s'il était besoin, que tous les Allemands n'étaient pas pourris.
Le pianiste est un livre très difficile à lire car, faut-il le dire, il ne s'agit pas d'une fiction ! Il est très difficile à lire car il renvoie au pire et au meilleur de la nature humaine.