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Marcelo Silva tome 1 sur 2
EAN : 9782290381304
352 pages
J'ai lu (01/03/2023)
3.26/5   65 notes
Résumé :
" Au Portugal, tout est négociable. Même une agression. "
Premier tome d'une série mettant en scène un ancien journaliste reconverti en chef de brigade financière, ce roman noir lève le voile sur les dessous de la crise financière au Portugal et brosse un tableau de ce pays loin des clichés.

" Au Portugal, tout est négociable. Même une agression. "
Marcelo Silva, ayant quitté le journalisme et l'Allemagne où il était correspondant, est d... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (20) Voir plus Ajouter une critique
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Bon, je l'avoue, les histoires financières et de corruption, ce n'est pas ce que je préfère, mais je me suis laissée prendre par l'histoire grâce à la plume de l'auteur, Miguel Szymanski. Avec son écriture fluide qui m'a permis une lecture agréable d'une histoire qui finalement, elle, n'est pas si agréable que cela.
Même si la thématique diffère un peu, les ficelles classiques de ce genre de livre sont bien présentes et j'avoue avoir deviné assez vite qui se cachait derrière l'enlèvement du peu sympathique banquier Carmona. A force d'avoir lu des livres estampillés « noirs » ou « polars », on commence à développer quelques réflexes dans le domaine de la déduction je suppose.
Un roman sympathique qui m'a permis de me promener dans les rues de Lisbonne, capitale que je n'ai pas encore eu la chance de visiter…Et cette lecture n'a fait que me conforter dans un projet futur de week-end au Portugal, je l'avoue.
Encore merci à Babelio et son opération Masse Critique ainsi qu'aux Editions J'ai Lu pour l'envoi de ce livre.

Challenge Mauvais Genres 2023
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Il faut parfois savoir changer d'air pour mieux repartir. Journaliste à Berlin ayant enquêté et démonté le scandale de « La Fondation », Marcelo Silva revient à Lisbonne, terre de ses racines. Abattu par les coups reçus, il n'a en rien perdu ses idéaux et a accepté d'y prendre la tête d'un nouveau service officiel réunissant l'autorité des marchés financiers et la répression des fraudes portugaises.

Car au début du XXIe siècle, le Portugal a un genou à terre et n'est plus qu'un nid de pourris en cols blancs, que les politiciens corrompus et l'Europe « salvatrice » ont affaibli. « La plupart des entreprises portugaises avaient été bradées. Grâce à la crise, n'importe quel délinquant portugais plein aux as pouvait s'emparer d'une part du gâteau portugais ».

À l'image d'António Carmona, patron de la banque BVG, c'est open bar pour les magouilles et ce Madoff portugais a monté une pyramide de Ponzi bancaire florissante. L'argent sale international y afflue, jusqu'au jour où il faut rendre des comptes. « Aujourd'hui, être banquier, c'est presque aussi abominable qu'être pédophile ». Et ses déposants mafieux angolais ou sud-américains ne sont pas du genre patients…

Toute ressemblance bla, bla, bla… Dans Château de cartes, Miguel Szymanski – traduit par Daniel Mathias – fait mieux que nous offrir une intrigue polardo-financière sombre et construite à la mode impressionniste, par petites touches désordonnées et additionnées qui font sens à la fin.

Le néo-romancier convoque régulièrement l'ex-journaliste pour nous décrire de l'intérieur la crise qui a ébranlé l'économie et la vie politique du Portugal dans les années 2000. L'équilibre n'est jamais évident et d'autres avant lui s'y sont plantés mais Szymanski réussit haut la main à tenir le fil de son intrigue tout en la nourrissant d'éléments de contexte issus d'un passé bien réel et pas si lointain.

Bref ça fonctionne, notamment grâce au personnage de Silva dont Szymanski dévoile une partie de la complexité et du passé, avec un art du teasing évident qui donne envie d'aller plus loin. Ça tombe bien, ce patron de brigade financière aux méthodes particulières est appelé à devenir récurrent.

Un dernier mot sur le vrai héros du livre : Lisbonne, décrite avec le regard nostalgique et amoureux de celui qui se désespère parfois de la voir changer, mais revient néanmoins y puiser la dose d'authenticité qui semble avoir fui le reste de l'Europe…
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Service de presse.


Un nom aux consonances des pays de l'Est pour un prénom aux accents lusitaniens, les éditions Agullo nous invite une nouvelle fois à une rencontre particulière avec Miguel Szymanski, un romancier au profil singulier exerçant également la profession de journaliste que ce soit en Allemagne comme correspondant pour plusieurs grands titres de la presse économique ou dans son pays d'origine, le Portugal, où il a notamment dénoncé les affres d'une politique d'austérité qui a conduit la nation au bord de la faillite. Et pour appuyer ses propos sur un monde de la finance corrompu quoi de mieux qu'une série de polars se déroulant à Lisbonne et mettant en scène Marcelo Silva, un personnage présentant quelques similitudes avec son auteur. Ainsi avec le Château de Cartes, premier opus de la série, nous faisons la connaissance de cet ancien journaliste en Allemagne se reconvertissant en chef d'une brigade financière chargée de dénoncer les incartades d'hommes politiques acoquinés à quelques banquiers véreux tout en découvrant les charmes de la capitale méconnue du Portugal que l'on surnomme "la ville aux moeurs douces".

Marcelo Silva a démissionné de son poste de journaliste en Allemagne pour retourner à Lisbonne afin d'endosser la fonction de chef d'une brigade chargée de lutter contre la corruption gangrenant toutes les strates des institutions bancaires et politiques en choisissant "le glaive à la lame affutée plutôt que la plume rouillée" qu'il a remisé dans un tiroir de son bureau. Bénéficiant de l'appui d'une justice désireuse d'en finir avec tout un conglomérat d'hommes puissants et dévoyés, Marcelo Silva va s'intéresser à la disparition d'un millionnaire à la tête d'une grande banque privée du pays en pressentant quelques parfums de scandale autour de cet établissement bancaire à la réputation plutôt sulfureuse. Evoluant comme un poisson dans l'eau dans le milieu de la bourgeoisie lisboète, Marcelo Silva va rencontrer quelques hommes d'affaires et politiciens corrompus, ainsi que des hommes de main chargé de l'éliminer tandis qu'il fraie avec une mystérieuse fille de bonne famille qui en sait peut-être plus qu'elle ne veut bien le dire sur les accointances entre les différents acteurs d'un monde économique dévoyé.

Ne connaissant pas la période dans laquelle se situe l'histoire, on ne sait pas vraiment si l'intrigue du Château de Cartes est basée sur des faits réels. Mais il émerge du récit de nombreuses allusions à la crise économique à laquelle le Portugal a dû faire face durant les années 2010 avec cette sensation que de nombreux édiles ont dû faire du profit en dépit de cette période d'austérité où il se sont enrichis sur le dos de la population et des instances étatiques. C'est en tout cas ce sentiment d'injustice qui anime Marcelo Ernesto Silva Consalinsky, personnage central du roman, bien décidé à lutter contre la corruption et à mettre à jour les systèmes opaques qui régulent un monde financier fragilisé par l'aveuglement de magnats et politiciens persistant à maintenir certains établissements bancaires, ceci en dépit d'une situation catastrophique qui risque d'entrainer tout le pays dans un désastre économique sans précédent à l'instar de cette Banco de Valor Global dont le dirigeant, António Carmona, a soudainement disparu. En suivant les investigations de cet ancien journaliste, devenu enquêteur pour le compte de la police, on découvre donc ces collusions entre banquiers et politiciens qui s'emploient à dissimuler les pertes en les compensant avec les deniers publics ceci afin de privilégier notamment quelques businessmen angolais frayant avec leurs anciens colonisateurs. L'intérêt du récit réside autour de l'écriture dynamique de Miguel Szymanski qui bâtit une véritable intrigue policière pleine de suspense sans se perdre dans les méandres d'explications financières arides et fastidieuses afin de se concentrer sur les éléments essentiels d'une intrigue habilement construite. C'est aussi l'occasion pour l'auteur de nous dépeindre Lisbonne et ses environs en vantant les charmes de la capitale, sans pour autant jouer au guide touristique, en arpentant les rues d'une ville semblant également être victime de la gentrification. Dans un tel contexte, on apprécie Marcelo Silva, ce personnage singulier qui nous sert de guide en fréquentant quelques restaurants sélectes de la capitale où il côtoie toute une galerie de protagonistes au profil singulier à l'image de Margarida, une quarantenaire au charme indéniable possédant un impressionnant carnet d'adresse dans le monde de la bourgeoisie lisboète. Homme de goût, distribuant les billets de 50 euros comme des bonbons, Marcelo Silva, fait sans nul doute partie de cette bourgeoisie dont il connaît bien les contours lui permettant d'évoluer aisément dans cet univers où l'arrogance semble être une règle de bienséance et à laquelle il fait face avec une désinvolture rafraichissante.

Roman policier nous projetant dans le monde de la finance, Miguel Szymanski distille avec Château de Cartes une intrigue au charme indéniable qui nous entraine dans ce pays méconnu du Portugal et plus particulièrement de Lisbonne où l'on découvre par l'entremise de Marcelo Silva quelques contours peu glorieux d'un gouvernement à la solde des financiers ce qui n'a rien d'un particularisme.


Miguel Szymanski : Château de Cartes (Ouro Prata E Silva). Editions Agullo/Noir 2022. Traduit du portugais par Daniel Matias.

A lire en écoutant : Mona Ki Ngi Xica de Bonga. Album : Angola 72-74. 2011 Lusafrica.
Lien : https://monromannoiretbiense..
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J'ai un tic. Je lis tout le temps les remerciements d'un livre avant de le commencer. Ceux de Miguel Szymanski à la fin de « Château de cartes » vous donneront une idée de ce que contient son roman.
« Je remercie également pour leur inspiration les banquiers, les magnats de la finance et les politiques que j'ai croisés tout au long de mes vingt-cinq ans de journalisme, mais aussi les directeurs de publications à leurs ordres. Je pense surtout à ceux qui m'ont menacé, m'ont licencié et ont tenté de m'intimider ou de me faire taire. Certains d'entre eux ont connu la faillite, d'autres ont été démasqués ou ont fini en prison, mais la majorité est toujours là, décidant du destin d'un pays et des gens qui l'habitent. Vous pouvez être sûr d'une chose: cette histoire est très en deçà de la réalité et du nombre de victimes causé par ce système économique et politique. »

L'auteur nous fait découvrir une autre Lisbonne à travers magouilles financières et politiques. Dans cette capitale qui est un village, tout le monde est lié. Quand un grand banquier disparaît, Marcelo Silva, tout juste nommé à la tête d'une brigade spécialisée dans les finances, va tomber dans une histoire qui met en cause toute l'élite portugaise.

On sent bien que Miguel Szymanski, journaliste spécialisé en économie, maîtrise son sujet. Son roman noir a tout les accents de la vérité, ce qui d'ailleurs fait froid dans le dos.
On se prend vite au jeu et j'ai lu ce livre d'une traite. En raison de l'intrigue bien évidemment mais surtout pour le plaisir que j'ai eu à sillonner Lisbonne et pour la personnalité de l'enquêteur. J'espère bien le retrouver pour d'autres épisodes.

Traduit par Daniel Mathias
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Luso-Allemand (comme l'auteur), célibataire âgé de 45 ans, Marcelo Silva vient d'accepter un poste de responsable à la « police de la Bourse » de Lisbonne, une institution spécialisée dans les délits économiques. Sa prise de poste coïncide avec la disparition d'un banquier millionnaire, António Carmona, dont la banque se trouve au bord de la faillite. Au cours de son enquête, Marcelo côtoie le sous-monde aussi complexe que sordide de la finance, des hautes sphères de l'État, où la corruption et la consommation de pédopornographie sont monnaie courante. Marcelo Silva déambule dans les rues de Lisbonne, se rend à Estoril, où vit la femme de Carmona, qui, dans un accès de confiance en notre enquêteur, lui remet des documents qu'elle avait occultés aux policiers chargés d'éclaircir la disparition de son mari.
Marcelo doit souvent fuir et faire usage de la force, voire de son arme, puisqu'il tue Paulo M., tout juste sorti de prison avec la mission de l'éliminer. Enfin, il se rend à Berlin, ville qu'il connaît bien pour y avoir vécu deux ans. C'est là qu'il recroise Margarida, qui lui raconte comment elle a voulu se venger de Carmona, responsable, selon elle, du cancer incurable dont elle est atteinte, puisqu'il résulte d'un avortement qui s'est mal passé, à l'époque de sa liaison avec le banquier.
Fin connaisseur des milieux de la politique et de la haute finance, pour avoir travaillé pendant vingt ans en tant que journaliste économique, Miguel Szimanski a le sens du détail. Il livre informations et réflexions sur les arcanes du milieu bancaire et du journalisme, « miné par des pouvoirs souterrains », en dénonçant les complicités entre l'État, le monde politico-financier et les journalistes. Ouro, prata e Silva est un tableau sociologique et culturel de la dernière décennie au Portugal, marquée par la crise économique, politique et financière, la corruption, plusieurs affaires scandaleuses de banques. L'auteur emporte les lecteurs dans Lisbonne, une réalité bien connue : le tramway jaune, le Príncipe Real, les quartiers contrastés… Tout au long du roman, il cherche à déconstruire l'image du Portugal aux douces coutumes. Il dévoile une capitale dans laquelle évoluent des hommes politiques corrompus, des millionnaires, des réseaux de prostitution… Il dénonce aussi le tourisme massif, les projets architecturaux aberrants, les visas dorés, etc.
Le titre trouve son explication à la page 131 : « La parole est d'argent, mais le silence est d'or. »
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critiques presse (2)
SudOuestPresse
22 avril 2022
Journaliste et romancier, l’auteur portugais traque la corruption financière à Lisbonne
Lire la critique sur le site : SudOuestPresse
Telerama
12 avril 2022
À travers la traque d’un baron de la délinquance financière, le Portugais Miguel Szymanski brosse un portrait au vitriol de son pays pris dans la tourmente de la crise financière. Un festival d’humour tranchant, un jeu de massacre aussi terrifiant que savoureux.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
Marcelo était prêt à essayer de faire les choses autrement. Il était impératif qu’un changement se produise, pour le bien de sa santé mentale.
Était-ce la peur de vivre la fin de sa vie émotionnelle qui l’avait poussé à accepter de jouer à un jeu où l’attendait la défaite ? Son statut de célibataire lui pesait-il ? Il avait vécu des histoires avec des cocaïnomanes, des catholiques intégristes ou des femmes en souffrance. Leurs traces s’effaçaient peu à peu. Le besoin de changement constituait-il un symptôme de la crise de la quarantaine ?
Marcelo voulait se purifier par le travail, même si cela signifiait être trituré par la grande machine administrative. Et même s’il avait choisi la pire administration possible. La bureaucratie d’État est un être vivant complexe, composé de plusieurs organismes reliés entre eux, se ramifiant dans une myriade d’organes, gérés par d’innombrables cerveaux et un vaste système nerveux central, souffrant de schizophrénie, du trouble de personnalité multiple, d’Alzheimer, de Parkinson, de polyarthrite rhumatoïde, d’ostéoporose et d’une fièvre dépensière pathologique profitant à un pourcentage minime de la population. Au Portugal, tout le système était « animé » – Marcelo fronça les sourcils, en quête d’un terme plus adéquat, une déformation de journaliste… – par des fonctionnaires fonctionnellement analphabètes à la base, des cadres intermédiaires peu qualifiés et des dirigeants de haut niveau ayant leur propre agenda.
Certes, il bénéficierait de moyens importants, mais Marcelo pressentait qu’il serait impossible de défaire les mailles criminelles entremêlant le monde de la finance et les milieux politiques, les grandes fortunes privées et les pouvoirs publics toujours moins indépendants. Au moment où il prendrait ses fonctions, il n’aurait que deux options : se plier progressivement aux pouvoirs installés ou devenir une cible à abattre pour les hauts gradés de la police judiciaire, les procureurs, les gendarmes de la bourse, les bureaucrates de la Banque centrale du Portugal et des organismes de contrôle du secteur bancaire, ainsi que pour les politiques et gouvernants corrompus. Pour ce qui était des entreprises et de l’élite financière, Marcelo deviendrait persona non grata s’il devait refuser de se faire acheter. En d’autres termes, Marcelo conserverait peu d’amis.
Tout était-il écrit d’avance ? Perdrait-il dès la première bataille en vue l’indépendance qui lui avait été garantie ? L’invitation faite par le procureur général de la République, un ami de longue date de la famille de Marcelo, avait été définie en concertation avec deux membres du gouvernement et un haut responsable de l’Intérieur. La nature de son poste, temporaire et transversal, et le budget alloué lui conféraient, à première vue, une bonne base de travail. Si tout se passait bien, si le crime en col blanc reculait pour de bon grâce à son action, il pourrait toujours s’exiler à la fin de son « mandat ».
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Ceux qui étaient aux manettes sur cette affaire, avec assez peu de réussite à cet instant, avaient eu un parcours assez similaire au sien. Mauvais résultats à l'école, diplômes de complaisance obtenus dans des universités dirigées par des amis, ascensions rapides, fonctions au sein des nébuleuses des partis installés et angles arrondis sur les terrains de golf, où l'on apprenait à ne pas cracher sur le gazon, ni remonter ses testicules devant les dames. L'image des politiques était le pré-carré des conseillers qui s'inspiraient de l'exemple de leurs homologues européens, parvenant au prix d'un travail herculéen à éradiquer les cravates exotiques, les chaussettes blanches et les vestes à épaulettes.
(p. 199)
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Un jour comme les autres, elle aurait passé la matinée à la maison à boire du thé. Sa chambre n’ayant ni stores ni rideaux aux fenêtres, dès les premières lueurs du jour, elle se réveillait en ouvrant subitement les yeux. Mais ce matin-là, elle était sortie tôt, un thermos en inox et en verre sous le bras, rempli de son thé préféré, un Darjeeling floral et léger. Elle achetait du thé en vrac tous les trois mois à la Casa Pereira da Conceição, une célèbre boutique de thé et café au centre-ville de Lisbonne. C’était l’un des points d’orgue de sa vie sociale. Les petits vieux qui tenaient le magasin, qu’elle connaissait depuis qu’elle était petite, n’étaient plus. Le dernier avait disparu en début d’année. À présent, c’était une jeune femme qui accueillait les clients, aussi avenante et souriante qu’une hôtesse de l’air. Durant le court trajet qui menait à l’entrepôt, elle croisa un homme s’apprêtant à remonter dans sa voiture de livraison de pain après avoir accroché un sac en papier kraft à la porte de l’épicerie d’en face. Il la suivait d’un regard intéressé. Elle lui fit un signe de tête. En ce matin de printemps, elle était étonnamment de bonne humeur. Le soleil frappait son visage. Il n’y avait personne d’autre dans la rue. Elle hésita. L’homme au pain répondit par une grimace libidineuse. Le doute n’étant pas permis, elle réprima son envie de traverser et de lui mettre une paire de claques. Elle lui aurait bien cassé la figure. Cela n’aurait pas été très compliqué si elle l’avait voulu. Malgré sa maladie, la musculation et les arts martiaux qu’elle pratiquait chaque jour entre 15 heures et 19 heures auraient largement suffi pour faire disparaître la mimique répugnante de son visage. Mais elle ne voulait pas attirer l’attention. Ces jours-ci n’avaient rien d’ordinaire.
L’heure était enfin venue de mettre son plan en pratique. Elle était presque arrivée à l’entrée de l’ancien entrepôt, avec sa façade vieux rose dont une partie de la peinture s’était écaillée au fil du temps. Le bâtiment était décoré de hauts-reliefs et de pierres de taille, il s’agissait d’un ancien dépôt de marchandises appartenant à une demeure seigneuriale. L’entrée était légèrement en retrait de la route, sur un large trottoir pavé, en partie cachée par les arbres tropicaux de Lisbonne. Elle regarda le ciel bleu à travers les branches vertes et luxuriantes des majestueux tijuana tipu. Devant le portail en bois, verrouillé par un lourd cadenas, se démarquait de la blancheur des pavés une date en pierres bleuâtres : 1922.
Elle avait trois jours pour terminer la « chambre d’hôtes ». Tout devait être parfait pour accueillir l’homme qui devait l’occuper. Elle déverrouilla le cadenas qui attachait l’imposante chaîne couverte de rouille et s’assura qu’aucun passant ne la remarquerait. Il faudrait alors qu’il s’arrête au niveau des deux arbres qui flanquaient l’entrée.
Elle disposa les outils sur un plan de travail et vérifia minutieusement la machine à souder. Tandis qu’elle s’affairait, de sa bouche sortaient des paroles haineuses à la manière d’incantations. Ses tempes transpiraient. L’homme qui avait détruit sa vie méritait le châtiment qu’elle préparait. Il avait arraché ce qu’il y avait de meilleur en elle comme on arrache de la mauvaise herbe. Il avait semé la destruction derrière lui, provoqué la maladie. C’était un assassin, sans aucun doute. Il avait des dettes à régler et le temps était venu de passer à la caisse.
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Avec le temps, la liste des restaurants où il allait déjeuner ou dîner s’était réduite comme peau de chagrin. Le nombre de cigarettes qu’il fumait chaque semaine également. Marcelo n’avait jamais été un grand fan des établissements à la mode, le japonais constituait une exception étant donné que la cuisine nippone était indéniablement devenue très tendance à Lisbonne. Vingt-cinq ans auparavant, Marcelo était entré pour la première fois dans un restaurant japonais, un sushi bar à Düsseldorf, et il avait détesté l’ambiance yuppie qui régnait à l’intérieur.
À l’époque, il suivait un cursus d’Etudes africaines à l’Université de Bochum, ancien centre névralgique de l’acier et du charbon en Allemagne. Marcelo passait ses journées dans une usine occupée avec une centaine de camarades, des soft punks aux post-hippies, avec la ferme intention de transformer ce lieu en centre culturel. Mais il refusait de dormir dans un sac de couchage dans le hangar aux machines ennemi, suscitant l’indignation des autres « squatteurs » (tous les soirs il rentrait dormir chez lui). Marcelo estimait également important de connaître les habitudes et le cadre mental de leurs adversaires, les spéculateurs immobiliers, les traders et autres capitalistes du même genre. Même si cela devait l’obliger à manger du poisson cru et des algues, ou à dépasser largement le budget mensuel de la carte de crédit alimentée par sa mère pour payer les livres, le loyer, les courses et les droits d’inscription.
Après ses nuits à la maison, Marcelo retournait dans le chaudron révolutionnaire, propre et parfumé, son keffieh palestinien autour du cou. Un morceau de tissu qui faisait fureur dans le sushi bar dont il devint, peu à peu, un client régulier, au nom de ses recherches pour appréhender la stratégie de l’ennemi, le libéral motivé par le plaisir facile que procurait le profit.
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Insulter, c'est comme craquer une allumette dans le noir et surprendre l'expression du visage de la personne concernée. Tu sais ce qui l'anime parce qu'il ne s'y attend pas.
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4 romanciers et nouveliste internationaux racontent leur apprentissage de l'écriture : Mariana Enriquez (nouvelliste, romancière argentine), Jan Carson (nouveliste, romancière Irlandaise), Jonathan Coe (romancier, britanique); Miguel Symanski (romancier portugais allemand).
00:09 Mariana Enriquez 02:20 Jan Carson 03:28 Jonathan Coe 03:59 Miguel Szymanski 05:18 Jonathan Coe 06:46 Mariana Enriquez 08:21 Jonathan Coe 09:17 Jan Carson
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