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Bernard Comment (Traducteur)
EAN : 9782264024589
219 pages
10-18 (12/09/1999)
4.21/5   424 notes
Résumé :
Titre original italien : "Sostiene Pereira. Una testimonianza", publié en 1994, et traduit en français l'année suivante.

"Comment, tu n'es pas au courant ? Ils ont massacré un homme de l'Alentejo sur sa charrette, il y a des grèves, ici en ville et ailleurs, mais dans quel monde vis-tu, toi qui travailles dans un journal ? " Lisbonne, 1938. Dans l'atmosphère du Portugal d'avant-guerre, dans une ville terrassée par la chaleur, Pereira va prendre consci... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (60) Voir plus Ajouter une critique
4,21

sur 424 notes
Pereira prétend…Anaphore avec laquelle un bon nombre de phrases commencent ou se terminent dans ce livre surprenant, peut-être le plus portugais des livres italiens. Comme si l'histoire était racontée avec une certaine distance, comme si l'auteur mettait quelque peu en doute les dires de ce Pereira. Qui est-il d'ailleurs ce scribe ? Un journaliste ? La police ? Antonio Tabucchi lui-même qui aurait vraiment rencontré un tel personnage ? Est-ce une déposition ? Un réquisitoire à charge ? Un commérage ? Un indicateur tapant son rapport ? Nous ne saurons pas mais c'est un procédé narratif intéressant pour raconter l'histoire en lui donnant de la perspective et de la profondeur.

Le plus portugais des livres italiens ? En réalité, je n'en ai aucune idée, mais en tout cas l'auteur semble bien connaitre le Portugal et sa capitale tant Lisbonne est un personnage à part entière de ce livre. Sa chaleur, ses scintillements de lumière, ses courbes généreuses, ses caresses nostalgiques, ses couleurs éclatantes, ses souffles iodés…ses points sensibles et névralgiques comme L'orchidée, café dans lequel Pereira a ses habitudes, Lisbonne sensuelle et accueillante, réconfortante, maternelle pour ce Pereira veuf.

Veuf donc, cardiaque avec des problèmes de poids, seul et quelque peu malheureux, obsédé par l'idée de la mort, Pereira aime la littérature française, en particulier les écrivains catholiques de l'entre-deux-guerres, comme Mauriac et Bernanos. Il vit un petit appartement rue de la Saudade la bien nommée pour notre homme, qui reste en effet profondément ancré dans son passé, toujours enveloppé d'une douce nostalgie, telle Lisbonne enveloppée de son « suaire de chaleur » en ce mois d'aout 1938. Son meilleur confident est un franciscain, Père Antonio, à qui il confesse, dérouté, ne pas croire à la résurrection de la chair. Journaliste au Lisboa, dont il a la responsabilité des pages culturelles, il va voir sa vie bouleversée en acceptant de prendre un stagiaire afin de s'occuper des nécrologies anticipées de grands écrivains qui pourraient mourir d'un moment à l'autre, un certain Monteiro Rossi, jeune thésard d'origine italienne. Les textes de cet étrange Monteiro Rossi sont impubliables car de mauvaise facture et surtout d'idées contraires à ce que pense Pereira, pourtant il ne le licencie pas, l'aidant même, lui donnant de l'argent, sans trop savoir pourquoi il le fait. Comme s'il suivait une intuition. Comme si cela était une résurgence de son moi profond. Une intuition humaniste qui va devenir acte volontaire. Un engagement.

« J'ai remarqué que vous lisiez un livre de Thomas Mann, dit Pereira, c'est un écrivain que j'aime beaucoup. Lui non plus n'est pas heureux de ce qui se passe en Allemagne, dit Madame Delgado, je ne dirais vraiment pas qu'il en est heureux. Moi non plus je ne suis peut-être pas heureux de ce qui se passe au Portugal, admit Pereira. Madame Delgado but une gorgée d'eau minérale et dit : alors faites quelque chose. Quelque chose, mais quoi ? répondit Pereira. Et bien, dit Madame Delgano, vous êtes un intellectuel, dites ce qui est en train de se passer en Europe, exprimez librement votre pensée, enfin faites quelque chose. Pereira prétend qu'il aurait eu beaucoup de choses à dire. Il aurait voulu répondre qu'au-dessus de lui il y avait son directeur, lequel était un personnage du régime, et puis il y avait le régime, avec sa police et sa censure, et au Portugal tout le monde était bâillonné, en fin de compte on ne pouvait pas exprimer librement sa propre opinion, il passait ses journées dans une misérable petite pièce de Rua Rodrigo da Fonseca, en compagnie d'un ventilateur asthmatique et surveillé par un concierge qui était probablement une indicatrice de la police. Mais il ne dit rien de tout cela, Pereira, il dit seulement : je ferai de mon mieux, madame Delgano, mais ce n'est pas facile de faire de son mieux dans un pays comme celui-ci pour une personne comme moi. Vous savez je ne suis pas Thomas Mann, je ne suis que l'obscur directeur de la page culturelle d'un modeste journal de l'après-midi… ».

Des changements infimes peu à peu vont s'opérer en lui, changements lui faisant réellement prendre conscience, en cette année 1938, du salazarisme portugais, du fascisme italien, de la guerre civile espagnol, de la montée de l'Allemagne nazie, lui un lettré ne s'occupant jusqu'ici pas du tout de politique, ne s'en souciant même pas, n'étant au courant de rien, le comble pour un journaliste, n'aimant pas les fanatismes de tout bord. Résolument apolitique il est, et pourtant…Il va, à son corps défendant, prendre position et s'engager, l'air de rien. Pereira, qui paraissait si insipide, va prendre consistance, âme de plus en plus remplie au fur et à mesure que son propre corps va fondre… un peu à l'image de ses multiples omelettes qu'il ne cesse de manger tout au long du livre… Il a fallu que notre homme ait été secoué, battu, presque abattu, pour changer définitivement de consistance, de pensée, d'âme même. Il aura fallu cette prise de conscience pour réaliser que sa vie, ses études de lettres, les pages culturelles de ce petit journal, tout cela n'a plus de sens dans ce monde ci.

Pour expliquer ce changement, Tabucchi met en avant la surprenante théorie de la confédération des âmes : nous avons en nous une pluralité de moi, plusieurs âmes qui se placent sous le contrôle d'un moi hégémonique. Notre normalité n'est qu'un résultat d'un moi hégémonique qui s'est imposé dans la confédération de nos âmes ; « Dans le cas où un autre moi apparait, plus fort et plus puissant, alors ce moi renverse le moi hégémonique et prend sa place, étant amené à diriger la cohorte des âmes… ».

La plume de Tabucchi est fluide, simple, belle et pourtant sans artifice, touchante, elle arrive avec peu de moyen à faire éclore un personnage avec lequel on partage la solitude, les pensées, et auquel on s'attache. La ritournelle « Péreira prétend » donne comme un air de conte, un conte philosophique, un conte humaniste.

Pereira est un personnage de prime abord insipide, indifférent, bourré de certitudes, replié sur lui-même, ne se souciant que de la page culturelle de son petit journal et du souvenir de sa femme décédée très tôt, qui va s'avérer être héroïque grâce à la prise de conscience confrontée à la dictature…L'éclosion d'une belle personne…l'histoire d'une coquille fendue…et d'une savoureuse omelette…
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Il est un péché mignon auquel on ne résiste pas longtemps dès lors que l'on flâne par les ruelles pentues de Lisbonne : le “pastel de nata”. Ce flan pâtissier typiquement portugais vous fait un petit clin d'oeil chaque fois que vous passez devant l'une des innombrables ''pastelarias'' qui jalonnent la ville aux sept collines.

Assez curieusement, le personnage central du roman “Pereira prétend”, écrit par Antonio Tabucchi en 1993, évite les pâtisseries. Pourtant il n'a que faire de la diététique, se régalant au quotidien d'omelettes et de citronnades bien sucrées. Veuf depuis quelques années, cet homme entre deux âges est prisonnier de ses petites habitudes et gêné par un embonpoint qui depuis peu tend vers l'obésité.
Sa seule véritable passion est la littérature française dont il abreuve chaque semaine la page culturelle d'un journal lisboète. La montée des nationalismes un peu partout en Europe l'indiffère et, comme la grande majorité de ses compatriotes, il subit avec passivité la dictature de Salazar qui en cette année 1938 sévit depuis six ans déjà au Portugal.

Et puis un jour, un peu par hasard, sans vraiment le vouloir, il met le doigt dans l'engrenage de la subversion en aidant un couple de jeunes gens aux idéaux antifascistes. Ces derniers recrutent dans la clandestinité des volontaires portugais pour les Brigades internationales qui aux côtés des Républicains espagnols combattent les nationalistes de Franco.

Pereira est un être falot, l'antihéros par excellence et pourtant Antonio Tabucchi sait le rendre attachant : ne parle-t-il pas à feu son épouse chaque fois qu'il passe devant son portrait !
Bien qu'il ne croie pas en la résurrection de la chair, Pereira est un catholique convaincu ; son meilleur ami António est père Franciscain. Les prises de positions du Vatican sur la guerre civile espagnole mais aussi celles de Georges Bernanos, François Mauriac et Paul Claudel interpellent les deux hommes et donnent lieu à des échanges enflammés.
Ce roman est d'une densité inversement proportionnelle à sa longueur, vous terminez un chapitre avec le poète futuriste Vladimir Maïakovski pour commencer le suivant avec Alphonse Daudet...

Les événements exceptionnels sont souvent propices à l'émergence de traits de caractère insoupçonnés. L'évolution psychologique de Pereira au contact d'activistes est spectaculaire et son indifférence à l'égard du régime répressif se transforme en quelques mois en aversion profonde.

Pereira prétend” relate une époque peu glorieuse de l'Histoire de la péninsule ibérique et l'intrigue aurait peut-être mérité d'être plus étoffée sur le fond.
Un ton original à la limite parfois de l'ironie et une fluidité d'écriture vraiment coulante de bout en bout caractérisent la forme de ce roman, au final de bonne facture.

Antonio Tabucchi avait choisi le Portugal comme seconde patrie et Lisbonne a servi de cadre à bon nombre de ses oeuvres. Comme le “pastel de nata” de tout à l'heure, je crois bien qu'un autre roman de l'écrivain italien me fait déjà un petit clin d'oeil !
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Pereira prétend est un grand livre publié en 1994. L'action se déroule à Lisbonne "enveloppée d'un suaire de chaleur" en aout 1938. Il raconte le lent réveil de la conscience d'un homme, petit journaliste consciencieux sans importance, responsable de la page culturelle du Lisboa, un quotidien catholique prétendument apolitique. La plupart des phrases débutent par l'anaphore « Pereira prétend » comme si le narrateur mettait en doute le témoignage de son personnage.
Le Doutor Pereira est un quinquagénaire veuf depuis peu. Il vit seul dans un appartement modeste de la rue de la Saudade. Chaque jour il fait la conversation au portrait de son épouse, mange deux omelettes persillées et boit de nombreuses citronnades aux terrasses de café. Il a de l'embonpoint et des problèmes cardiaques qui l'essoufflent. le Doutor Pereira est un catholique sincère hanté par la mort et la résurrection de la chair dans une ville qui pue la mort. Il est lucide sur la situation politique, la censure de la presse portugaise, la complaisance de son patron à l'égard du régime de Salazar et de tous ses amis qui saluent comme s'ils tenaient un javelot. C'est un garçon de café qui donne au journaliste de vraies nouvelles de la guerre d'Espagne mais aussi des exactions sur les Juifs de son quartier. Pereira préfère se réfugier dans la littérature, traduire et publier de la littérature française du XIXème siècle. Un jour pourtant, il est attiré par la thèse d'un jeune homme portant sur la mort. Il l'engage comme stagiaire au journal. Monteiro Rossi devra écrire des nécrologies anticipées ou des biographies d'illustres écrivains. Mais il s'avère très vite que les nécrologies élogieuses ou fielleuses sont totalement impubliables. Elles seraient censurées. Pourtant Pereira les prend, les place soigneusement dans un dossier et paye le jeune homme de sa poche…

Le roman traite de l'engagement et parle beaucoup de littérature mais ce n'est pas un traité philosophique ni un roman à idées désincarné qui rendraient la lecture pesante. Bien au contraire. La lecture est très plaisante tant le personnage de Pereira est attachant, émouvant, inoubliable. Ce n'est pas un héros ou un grand écrivain engagé mais un homme ordinaire à bout de souffle qui renaît peu à peu au contact de la jeunesse et de la beauté. le jeune Monteiro Rossi et surtout Marta sa belle amie aux cheveux de cuivre influencent le quinquagénaire et bouleversent sa vie rangée. Les jeunes mettent leur vie en jeu s'engagent dans la guerre d'Espagne. Lui pourrait être le fils qu'il n'a pas eu et elle est si belle, si passionnée avec sa belle chevelure cuivrée. Nous sommes dans la tête de Pereira, nous suivons ses interrogations, son auto-analyse, nous rencontrons son ancien camarade d'étude à Coimbra, une juive allemande exilée, nous le suivons dans les ruelles et les cafés de Lisbonne, en train, en cure thermale jusqu'à la fin à la fois dramatique et jubilatoire.
Je suis certaine de lire d'autres ouvrages d'Antonio Tabucchi.
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Eh oui, il prétend, Pereira, cet homme un peu gros, un peu vieux, très veuf, très catholique, très seul, responsable de la section culture du journal Lisboa, peu au courant de ce qui advient dans sa propre ville, car le directeur du journal est lui-même en vacances.
Mais assez au courant pour trouver impubliable l'éloge à Garcia Lorca, au moment où sur une place de Lisbonne( peut-être celle du Palais Royal, où s'étalent les somptueux azulejos de la couverture) s'affiche « Honneur à Francisco Franco, »
Donc, il prétend, Pereira, et cela ne peut lui être reproché, que le ciel était bleu ce jour là, bleu dans le ciel bleu d'une brise atlantique, ce vingt-cinq juillet mil neuf cent trente huit.
Il prétend, tout en étant sûr qu'il se fourvoie.
Devant qui prétend-t-l ?
Devant la police impitoyable de Salazar, qui envoie ses sbires tueurs ?
Devant les futurs révolutionnaires qui ne manqueront pas d'apparaitre ?
Devant le portrait de sa femme, à qui il parle chaque jour ?
Devant ce qu'il devine être la liberté , ça, il le prétend seulement ?
Il prétend, sans prétention, parce qu'il n'est au courant, prétend-il, de rien.
Cela commence par un charretier de l'Alentejo qui avait été massacré, il était socialiste.
Et puis , la boucherie juive avait été éventrée.
Et lorsqu'un prêtre lui demande, mais comment, tu ne le savais pas ? il pense dans quel monde est-ce que je vis ? et peut-être, justement, je suis mort., prétend-il.
Entre ce qu'il voudrait dire à ce jeune arrogant qu'il a, malgré lui, contacté, pour qu'il l'aide à dresser des hommages aux futurs écrivains pas encore morts, ce qu' il essaie, prétend-t-il, de lui dire, pour se dégager de ce guêpier, et l'argent que finalement il lui donne, il y a un hiatus qu'il ne comprend pas.
Il ne se comprend pas lui-même, prétend-il.
Il ne veut pas prétendre indument, au contraire, il prétend, il voudrait dire mais ne dit pas.
Car -dessus de lui, son directeur est un personnage du régime, et puis, au-dessus, le régime, ce qui veut dire la police et sa censure : tout le monde au Portugal est bâillonné.
Lui aussi se sent bâillonné, il rêve sans vouloir raconter son rêve, il voudrait confesser son repentir, mais de quoi se repentir ? de quoi se dépêtrer, dans ce monde qu'il prétend ne pas connaître, et pourtant dont il devine, quoi, prétend-il ? il ne le sait pas.
Mais , pourtant, le garçon de café à qui il demande des nouvelles du pays , lui parle de l' implication de Bernanos contre Franco. Un catholique, ce Bernanos, comme Pereira, prétend-il.
Et puis, le docteur Cardoso lui conseille de négliger sur surmoi, pour donner libre cours au moi « hégémonique » dit –il : en termes freudiens le moi est bien l'instance essayant de concilier d'une part le ça, ou principe de plaisir ( ses citronnades sucrées) et d'autre part le Surmoi qui lui interdit de vivre , le bloque dans le passé et le souvenir de sa femme.
Il chemine, ce Pereira, il n'a rien voulu de ce qui lui advient, mais, prétend-il, mais cela est advenu.
Il s'ouvre à son propre moi , il ne le prétend pas, il le vit.

Lc thématique octobre : un verbe dans le titre

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Il y a un an ou plus que je voulais lire ce roman, car j'aime le Portugal, pays où est né mon mari et qu'il a quitté pour échapper à la dictature, il y a longtemps et j'ai fait une belle rencontre.

Pereira est un homme simple, passionné de littérature, épris des auteurs français, qu'il traduit en portugais pour les publier sous forme de feuilletons. Il ressemble à tout un chacun, avec son obésité, ses problèmes cardiaques qu'il traite en mangeant des omelettes aux herbes, arrosées copieusement de citronnade très sucrée, qu'il consomme par litres. Il vit presque en reclus, dans ses livres, son dictionnaire à portée de la main pour traduire aux mieux ses auteurs préférés, Balzac, Daudet...

La concierge le surveille, sans aucune discrétion avec des réflexions ambigües et il soupçonne qu'elle est à la solde du régime. Il a perdu sa femme il y a quelques années et n'a jamais refait sa vie. Il n'a même pas fait son deuil, d'ailleurs, car il parle à sa photo, le soir avant de dormir, ou quand il prend une décision ou simplement pour échanger ses pensées.

Il n'a plus d'amis véritables, à part un prêtre, le père Antonio, avec qui il va discuter de temps en temps, car la mort le fascine. Il est catholique plus ou moins pratiquant, mais la résurrection de la chair est une idée qui le heurte (en reprendre pour une autre vie avec ce même corps obèse, cela ne l'enchante guère. Il vit, ou plutôt survit, dans ce pays où la dictature déploie ses ailes, sort ses griffes tel un aigle qui s'abat sur la population , surveillant tout le monde. Il se passe des choses, par exemple un serrurier assassiné dans l'Alentejo, cela n'est jamais évoqué dans les journaux.

Si on veut savoir, il faut se rendre dans un café, le Café Orquidéa, où certaines nouvelles circulent. Il n'a pas de conscience politique, il survit, dans son monde… " Il y avait simplement des bruits qui courraient, le bouche à oreille, il fallait se renseigner dans les cafés pour être informé, écouter les bavardages, c'était l'unique moyen d'être au courant". P 60

Puis, apparaît dans sa vie Francesco Monteiro-Rossi (Portugais par sa mère, Italien par son père), qui est sympathisant des républicains espagnols, ainsi que son amie. La relation entre les deux hommes est particulière d'emblée. Il s'attache à Francesco qui pourrait être le fils qu'ils n'ont jamais pu avoir, sa femme et lui, donc il a envie de le protéger, de l'aider, en lui faisant faire des rubriques nécrologiques avant l'heure pour des écrivains qui pourraient mourir brutalement.

Il le paye, de ses propres deniers, pour des textes qui sont impubliables du fait de la censure. Il fait l'éloge de Garcia-Lorca, ou de Maïakovski alors que règne la censure. Au début, le fait de le voir payer ainsi pour du vent exaspère, on a l'impression qu'il se laisse manipuler sans rien faire. Mais c'est loin d'être aussi simple…

le style et l'écriture sont particuliers, gênants au début, avec cette litanie « Pereira prétend » qui revient régulièrement, de façon entêtante comme un mantra. Pereira n'affirme pas, il prétend… peu à peu l'oppression s'installe, rythmée par cette petite locution. le poids de la censure, de la pression se trouve renforcé par cet emploi.

Antonio Tabucchi utilise une autre ficelle pour rendre l'atmosphère pesante de l'enfermement de la pensée : il choisit de ne pas écrire les échanges entre les personnages sous forme de dialogue ; certes il ouvre les guillemets, mais ne va jamais à la ligne, ce qui rend le texte encore plus dense.

C'est le premier roman d'Antonio Tabucchi que je lis, et je l'ai dévoré et en même temps savouré, relisant des passages, le posant un peu pour respirer, (Pereira s'essouffle à cause de son coeur malade, au propre comme au figuré d'ailleurs, dégoulinant de sueur (ou peut-être de peur) sous la chaleur moite de Lisbonne, et le lecteur retient son souffle… on entend la mer au loin la brise du soir, le ventre de Lisbonne respire à peine, mais la ville est tellement présente qu'elle est un personnage du livre...

Note : 8,2/10
Lien : http://eveyeshe.canalblog.co..
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critiques presse (6)
Actualitte
22 mars 2017
Une relecture pleine de style et d’originalité donnant vie sous une autre forme à un texte fort, bien loin d’une simple transposition sans imagination ou éclat. Lecture recommandée aussi pour un public ado.
Lire la critique sur le site : Actualitte
BoDoi
06 décembre 2016
A petites touches, l’auteur esquisse le poignant portrait d’un homme en mutation qui, tout simplement, prend conscience du monde trouble dans lequel il vit.
Lire la critique sur le site : BoDoi
ActuaBD
28 novembre 2016
La finesse de l’adaptation et la qualité graphique font de son travail bien plus qu’une simple transposition.
Lire la critique sur le site : ActuaBD
BDZoom
23 septembre 2016
Pereira prétend est une œuvre d’une grande maturité graphique qui, non contente de mettre en images d’un trait caricatural, voire expressionniste, un roman reconnu, met en scène les décors lisboètes.
Lire la critique sur le site : BDZoom
BDGest
20 septembre 2016
Une jolie balade en compagnie d’un héros touchant sur fond de plongée dans les rouages d’un régime totalitaire.
Lire la critique sur le site : BDGest
Bibliobs
27 mars 2012
Protégé par ses deux anges gardiens littéraires, Pessoa et Pirandello, Tabucchi nous a donné avec «Pereira prétend» un de ses livres les plus accomplis. Il nous en donnera encore, ses visiteurs du soir l'ont promis, d'aussi beaux.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Citations et extraits (45) Voir plus Ajouter une citation
Pereira prétend que, cet après-midi là, le temps changea. Soudain la brise atlantique cessa, un épais rideau de brume arriva de l’océan et la ville se trouva enveloppée dans un suaire de chaleur. Avant de sortir de son bureau, Pereira regarda le thermomètre qu’il avait acheté à ses frais et qu’il avait suspendu derrière la porte. Il indiquait trente-huit degrés. Pereira éteignit le ventilateur, rencontra la concierge dans les escaliers, qui lui dit au revoir doutor Pereira, il flaira une fois encore l’odeur de friture qui flottait dans la cour et, finalement, il sortit à l’air libre. Devant la porte d’entrée se trouvait le marché du quartier, deux camionnettes de la Guarda Nacional Republicana y étaient stationnées. Pereira savait que le marché était en agitation, car le jour d’avant, dans l’Alentejo, la police avait tué un charretier qui était un des fournisseurs du lieu et qui était socialiste. C’est pour cela que la Guarda Nacional Republicana stationnait devant les grilles du marché. Mais la direction du Lisboa n’avait pas eu le courage de passer l’information, c’est-à-dire le vice-directeur, car le directeur était en vacances, il était au Buçaco, pour jouir de la fraîcheur et des eaux thermales et, de toute façon, qui aurait pu avoir le courage d’informer qu’un charretier socialiste avait été massacré sur sa charrette dans l’Alentejo et qu’il avait couvert de sang tous ses melons ? Personne car le pays se taisait, il ne pouvait pas faire autrement que se taire, et pendant ce temps les gens mouraient et la police agissait à sa guise. Pereira commença de transpirer, parce qu’il songea de nouveau à la mort. Et il se dit : cette ville pue la mort, toute l’Europe pue la mort.
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Pereira prétend avoir fait sa connaissance par un jour d'été. Une magnifique journée d'été, ensoleillée, venteuse, et Lisbonne qui étincelait. Il semble que Pereira se trouvait alors à la rédaction, il ne savait que faire, le directeur était en vacances, son souci consistait à devoir monter la page culturelle, parce que le Lisboa avait dorénavant une page culturelle dont on lui avait confié la responsabilité. Et lui, Pereira, réfléchissait sur la mort. En ce beau jour d'été, avec la brise atlantique qui caressait la cime des arbres, avec le soleil qui resplendissait, et une ville qui scintillait, oui, qui scintillait littéralement sous sa fenêtre, et un ciel bleu, un ciel d'un bleu jamais vu, prétend Pereira, d'une netteté qui blessait presque les yeux, il se mit à songer à la mort.
(incipit)
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Pereira prétend avoir fait sa connaissance par un jour d’été. Une magnifique journée d’été, ensoleillée, venteuse, et Lisbonne qui étincelait. Il semble que Pereira se trouvait alors à la rédaction, il ne savait que faire, le directeur était en vacances, son souci consistait à devoir monter la page culturelle, parce que le Lisboa avait dorénavant une page culturelle, dont on lui avait confié la responsabilité. Et lui, Pereira, réfléchissait sur la mort. En ce beau jour d’été, avec la brise atlantique qui caressait la cime des arbres, avec le soleil qui resplendissait, et une ville qui scintillait, oui, qui scintillait littéralement sous sa fenêtre, et un ciel bleu, un ciel d’un bleu jamais vu, prétend Pereira, d’une netteté qui blessait presque les yeux, il se mit à songer à la mort ? Pourquoi ? Cela, Pereira ne saurait le dire. Peut-être parce que, dans son enfance, son père avait eu une agence de pompes funèbres qui s’appelait Pereira La Douloureuse, ou peut-être parce que sa femme était morte de phtisie quelques années auparavant, ou encore parce qu’il était gros, souffrait du cœur, avait une pression artérielle trop haute, et que le médecin lui avait dit que s’il continuait comme ça il ne lui resterait plus longtemps à vivre, le fait est que Pereira se mit à songer à la mort, prétend-il. Et par hasard, par pur hasard, il commença de feuilleter une revue. C’était une revue littéraire, qui avait aussi cependant une section de philosophie. Peut-être une revue d’avant-garde, Pereira n’en est pas sûr, mais qui avait beaucoup de collaborateurs catholiques. Et Pereira était catholique, ou du moins se sentait-il catholique à ce moment-là, un bon catholique, quoiqu’il y eût une chose à laquelle il ne pouvait pas croire : à la résurrection de la chair. À l’âme oui, certainement, car il était sûr d’avoir une âme ; mais la chair, toute cette viande qui entourait son âme, ah ! non, ça n’allait pas ressusciter, et pourquoi aurait-il fallu que cela ressuscite ? se demandait Pereira. Toute cette graisse qui l’accompagnait quotidiennement, et la sueur et l’essoufflement à monter les escaliers, pourquoi tout cela devrait-il ressusciter ? Non, de ça, dans une autre vie, pour l’éternité, il n’en voulait plus, Pereira, et il ne voulait pas croire à la résurrection de la chair. Il commença ainsi de feuilleter la revue, dans l’indifférence, parce qu’il s’ennuyait, prétend-il, et il découvrit un article qui disait : « À partir d’un mémoire soutenu le mois dernier à l’Université de Lisbonne, nous publions une réflexion sur la mort. L’auteur en est Francesco Monteiro Rossi, qui a obtenu sa maîtrise en philosophie avec la note maximale. Il ne s’agit ici que d’un extrait de son travail, dont nous publierons peut-être d’autres pages dans un proche avenir. »
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En ce beau jour d’été, avec la brise atlantique qui caressait la cime des arbres, avec le soleil qui resplendissait, et une ville qui scintillait, oui, qui scintillait littéralement sous sa fenêtre, et un ciel bleu, un ciel d’un bleu jamais vu, prétend Pereira, d’une netteté qui blessait presque les yeux, il se mit à songer à la mort. Pourquoi ? Cela, Pereira ne saurait le dire. Peut-être parce que, dans son enfance, son père avait eu une agence de pompes funèbres qui s’appelait "Pereira La Douloureuse", ou peut-être parce que sa femme était morte de phtisie quelques années auparavant, ou encore parce qu’il était gros, souffrait du cœur, avait une pression artérielle trop haute, et que le médecin lui avait dit que s’il continuait comme ça il ne lui resterait plus longtemps à vivre, le fait est que Pereira se mit à songer à la mort, prétend-il. Et par hasard, par pur hasard, il commença de feuilleter une revue. C’était une revue littéraire, qui avait cependant aussi une section de philosophie. Peut-être une revue d’avant-garde, Pereira n’en est pas sûr, mais qui avait beaucoup de collaborateurs catholiques. Et Pereira était catholique, ou du moins se sentait-il catholique à ce moment-là, un bon catholique, quoiqu’il y eût une chose à laquelle il ne pouvait pas croire : à la résurrection de la chair. À l’âme oui, certainement, car il était sûr d’avoir une âme ; mais la chair, toute cette viande qui entourait son âme, ah ! non, ça n’allait pas ressusciter, et pourquoi aurait-il fallu que cela ressuscite ? se demandait Pereira. Toute cette graisse qui l’accompagnait quotidiennement, et la sueur, et l’essoufflement à monter les escaliers, pourquoi tout cela devrait-il ressusciter ? Non, de ça, dans une autre vie, pour l’éternité, il n’en voulait plus, Pereira, et il ne voulait pas croire à la résurrection de la chair.

(p. 9-10 de la collection Folio)
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Cher Monteiro Rossi, vous êtes un parfait romancier, mais mon journal n'est pas le lieu adapté pour écrire des romans, sur les journaux on écrit des choses qui correspondent à la vérité ou qui ressemblent à la vérité, vous ne devez pas dire d'un écrivain comment il est mort, dans quelles circonstances et pourquoi, vous devez simplement dire qu'il est mort, puis vous devez parler de son oeuvre, des romans et des poésies, et faire certes une nécrologie, mais qui au fond doit être une critique, un portrait de l'homme et de l'oeuvre, ce que vous avez écrit est parfaitement inutilisable, la mort de Garcia Lorca est encore mystérieuse, et si les choses ne s'étaient pas passées ainsi que vous l'affirmez ? (p. 42)
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