Marcel Proust (1871-1922), auteur du célèbre roman-fleuve A la recherche du temps perdu. Ce titre, à lui seul, comme on l'a toujours dit, révèle déjà une charge hautement poétique.
Toutefois, en dépit d'une longueur stylistique exceptionnelle,
Proust s'était permis de naviguer, durant plus de seize années consécutives, sur un océan houleux fait, non de récifs et de gouffres amers, mais, d'idées et de sensations,émaillant, tout naturellement son style de gentilles périphrases, de subordonnées relatives et de propositions circonstancielles de temps, sans pour autant rendre son texte rébarbatif.
Ce grand malade, cloué à son lit, volontairement au départ, puis, malgré lui, de 1906 à 1922, finit par décrocher une espèce de palme d'or qui, sans conteste, lui revenait de droit parmi les écrivains de sa génération. Quelques heures avant de «s'éteindre, avec des pensées superbes et sublimes», cet Ulysse de la littérature dit alors à sa fidèle gouvernante qu'il venait tout juste de mettre le mot «fin» à son oeuvre, et qu'il lui était désormais possible de mourir tranquillement.
A la merci permanente de crises d'asthme, aucune médication calmante, en dehors de l'écriture, n'a pu triompher de son mal : ni les piqûres répétées de camphre, ni les séjours en stations balnéaires, ni le soleil méditerranéen ou les fumigations, ni même le fait de vivre dans une chambre capitonnée de liège ! Plus de sorties, ni de soirées mondaines qui, jusqu'alors, ponctuaient la vie de la Belle Epoque, entre 1880 et 1914. Il fut donc forcé de se confiner pour reprendre un verbe très actuel, dormant le jour et travaillant la nuit jusqu'à l'aube. Durant toute ces années, il n'eut d'autre préoccupation que de mener à bien son oeuvre romanesque monumentale. le souvenir de la fameuse madeleine trempée dans du thé n'allait pas perdurer.
Pourtant, ce souvenir, on le sait bien, est, en quelque sorte, la matrice de son travail titanesque. Il lui a donc fallu louvoyer et provoquer sa mémoire dans ses derniers retranchements. Comme expédient, ou comme prolongement, il eut recours à cette phrase longue et sinueuse pour se ménager un va-et-vient entre ses souffrances physiques et son propre passé.
Aussi, dans son subconscient, il fit de sa longue phrase une sorte de machine respiratoire, compensatrice de son besoin de s'oxygéner. Comment donc triompher, ne serait-ce que momentanément, de ses faiblesses à répétition sinon par esprit inventif ? Eh bien, ce style qui fut son apanage lui avait permis, à chaque fois, de humer l'air presque normalement.
Au paroxysme de l'étouffement,
Proust se ménageait, avec bonheur, une petite sortie. Celle-ci n'était possible, dans son subconscient bien sûr, que par le biais de cette phrase longue qui lui fut spécifique, donc salutaire.
Il s'appliquait ainsi à travailler d'arrache-pied à son roman, non pas uniquement pour se souvenir d'un passé heureux, mais, aussi, et c'est là l'essentiel, pour pouvoir respirer, ramener un peu d'oxygène à ses poumons meurtris. C'est pourquoi, cette phrase longue et sinueuse fut une planche de salut pour lui,durant seize longues années.
Proust respirait via cette belle mécanique respiratoire qu'il s'était inventé et qui fut sa marque déposée dans le domaine littéraire.
Faut-il encore relever que dans les écrits sur
Proust cet «artifice merveilleux» semble n'avoir pas retenu l'attention des spécialistes. N'est-ce pas que le propre de la littérature est un plus esthétique et logique à la vie de l'homme ?
Il reste, cependant, que la phrase débordant de
Proust,n'a jamais été à la portée de tout écrivain. En effet, pour arpenter le même sentier que lui, il faut souffrir, à la fois, de crises aiguës d'étouffement et être d'une sensibilité à fleur de peau, faute de quoi, il vaudrait mieux ne pas s'y aventurer ! Les asthmatiques sont légion de par le monde, et les écrivains parmi eux n'ont pas eu la chance de faire valoir cet expédient proprement proustien.