Citations sur Celui qui est digne d'être aimé (25)
Briser, quitter, rompre, partir, terminer, effacer, c'est ce qui me donne le plus de plaisir depuis quelques années.
Chaque matin je me renie. J'ouvre les yeux, je me rappelle que je suis homosexuel. J'ai beau avoir fait tout un travail pour m'accepter, me laver des insultes, j'ai beau me répéter depuis des années que j'ai le droit de vivre libre, vivre digne, vivre vivre, rien n'y fait : cette peau d'homosexuelle que le monde m'a imposée est plus forte que moi, plus dure, plus tenace. Cette peau, c'est ma vérité au-delà de moi. Je ne l'accepte pas complètement mais je sais que je n'existe que par elle, malgré mes multiples tentatives d'évasion, d'émancipation.
Je l'avais traité comme on traite les pauvres. Ils n'ont aucune place dans l'Histoire.
Chaque jour nous sommes un peu plus en colère. Chaque nuit est un combat perdu d'avance.
Chère Malika,
Là-bas, tout au fond du noir, le monde est beau enfin, n’est-ce pas ?
Ne réponds pas à cette question, s’il te plaît. Ne dis rien, plus rien. Reste où tu es, comme tu es, effrontée jusqu’au bout, les yeux durs, indifférente à tous, à moi surtout, dictatrice assumée.
Tu étais à moi. Un étranger encore. Un corps puissant par lequel j’allais sauver ma peau, fuir la pauvreté. m’épanouir ailleurs. connaître un autre monde. celui que je voyais à la télévision. Avoir de L’argent. Devenir riche.
C’est sans doute le plus beau moment de toute ma vie. Non seulement je vivais le rêve mais, en plus, par la perte définitive de l’innocence je préparais l'avenir.
Je te faisais à toi ce que je voyais les femmes autour de moi faire. Comme elles, j’étais impitoyable, en cet instant si près de ton sexe, L’occasion était là : pouvoir, vengeance et assurance matérielle pour le reste de ma vie. Inutile de jouer au pur: cela ne menait nulle part. Par le mal. la sorcellerie, il fallait te retenir. T’emprisonner. Inscrire en toi mon programme. Te donner l’ordre de revenir.
Tu es à moi. Tu es à moi. Tu es à moi. Chuchoter dans tes oreilles ma voix qui habite désormais ton prénom. Ton très beau prénom. Emmanuel. Emmanuel Emmanuel. Tu ne savais rien de tout cela, n'est-ce pas ? Aujourd hui je le révèle et je te quitte.
Je t'admire, maman. Tu as su rester fidèle à tes principes. La cruauté comme règle du jeu, du monde. Oui c'est oui. Non c'est non. On ne discute pas. Exécutez.
Pas besoin de mots. Ils ne servent de toute façon parfois à rien, les mots, ils n'arrivent jamais à exprimer l'essentiel, ce qu'on a envie vraiment de partager, de révéler à l'autre, au monde.
« Je veux sortir du français, de cette langue, sortir de ce rapport entre toi et elle, si fort en moi. Je veux quitter le français tel que je le pratique depuis que je te connais. Tu es si présent, Emmanuel, si dominant. Tes références intellectuelles sont trop devenues les miennes. Où que je tourne la tête, chercher ta bénédiction est devenu un réflexe si naturel, toujours et toujours nécessaire. C’est trop. Trop. Je ne suis plus moi. Je ne suis qu’un objet qui pourrait être remplacé facilement par un autre. Un jeune Arabe très cultivé grâce à toi qui pourrait du jour au lendemain être jeté et échangé contre un autre jeune Arabe. »
Je n’avais que 17 ans.
Je ne savais pas.
Je ne savais rien.
Dans ce cimetière près de la plage de Salé, tu avais toi décidé quelque chose. Je croyais être de nous deux le plus malin. Mais non. Ma sorcellerie n’a servi à rien. Ni moi ni mes djinns n’étions en mesure ce jour-là de deviner à quel point ton pouvoir était immense et à quel point ta dictature naturelle allait tout écraser en moi, absolument tout dominer.
A cause de toi je suis devenu un autre.
Je ne suis plus moi aujourd’hui.
Je suis qui ?