Ier janvier 1918. — Dans la boue et les frissons de l'immuable neige, sur la route pâle où s'en va tout seul » dévidant son rouet, le chat de Rudyard Kipling- — avec ses atours empreints de sang- et constellés de givre, voici venir l'An neuf, entre la Mort qui frappe et la Gloire qui chante. Puérils ou surannés, pleins de jours ou naissant à peine, exposés à la guerre homicide ou tapis dans les retraites que l'Age prépare aux débiles, enfants ou vieillards, éphèbes, nouveaux nés, duègnes ou jouvencelles, franchissent aujourd'hui, l'étape inévitable, se rapprochent du but commun, guettés par un ennemi qui triomphe tout à coup, sans hâte ni danger. Condamné à mort, dès sa première heure, l'Homme voit, en même temps que l'Année
à la fin de son décours, s'évanouir un moment du rapide sursis qui le protège encore.
Alors que, malgré la déchéance de l'homme, Verlaine a eu la consolation assez ironique d'entrer vivant dans l'immortalité, la gloire n'ayant point attendu qu'il eût quitté le précaire domicile de la Krantz pour venir au pauvre Lélian et disposer autour de sa misérable couchette les lauriers el les myrtes qui conviennent au poète, il a fallu que Laurent Tailhade fût mort, ignoré du gros public, redouté et haï des « philistins », dans la fière pauvreté dont s'enorgueillissait cet aristocrate, pour que justice fût rendue au magnifique écrivain que la France venait de perdre.