Qu’ils [les hommes] crèvent de rage ; jamais leur voix fade n’atteindra ces graves grondements, ces perçantes notes, ces folles arabesques, ces fantaisies inspirées et imprévues qui amollissent l’âme de la chatte la plus rebelle, et nous la livrent frémissante, pendant que là-haut les voluptueuses étoiles tremblent et que la lune pâlit d’amour.
Et moi aussi j’ai aimé et j’ai couru sur les toits en modulant des roulements de basse. Une de mes cousines en fut touchée, et deux mois après mit au monde six petits chats blancs et roses. J’accourus, et voulus les manger : c’était bien mon droit, puisque j’étais leur père. Qui le croirait ? Ma cousine, mon épouse, à qui je voulais faire sa part du festin, me sauta aux yeux. Cette brutalité m’indigna et je l’étranglai sur la place ; après quoi j’engloutis la portée tout entière.
La musique est un art céleste, il est certain que notre race en a le privilège; elle sort du plus profond de nos entrailles; les hommes le savent si bien, qu'ils nous les empruntent, quand avec leurs violons ils veulent nous imiter.
Celui qui mange est heureux ; celui qui digère est plus heureux ; celui qui sommeille en digérant est plus heureux encore. Tout le reste n'est que vanité et impatience d'esprit. Le mortel fortuné est celui qui, chaudement roulé en boule et le ventre plein, sent son estomac qui opère et sa peau qui s’épanouit.
De quoi sortent tous les animaux ? D'un oeuf ; la terre est donc un très grand oeuf cassé.
Celui qui mange est heureux; celui qui digère est plus heureux; celui qui sommeille en digérant est plus heureux encore.
Mon oncle, quoique morose, avoue que les choses vont mieux qu'autrefois. Il dit que d'abord notre race fut sauvage, et qu'il y a encore dans les bois des chats pareils à nos premiers ancêtres, lesquels attrapent de loin en loin un mulot ou un loir, plus souvent des coups de fusil. D'autres, secs, le poil ras, trottent sur les gouttières et trouvent que les souris sont bien rares.
Je suis né dans un tonneau au fond d'un grenier à foin; la lumière tombait sur mes paupières fermées, en sorte que, les huit premiers jours, tout me parut couleur de rose.
La musique est un art céleste, il est certain que notre race en a le privilège ; elle sort du plus profond de nos entrailles ; les hommes le savent si bien, qu’ils nous les empruntent, quand avec leurs violons ils veulent nous imiter.
Deux choses nous inspirent ces chants célestes : la vue des étoiles et l’amour. Les hommes maladroits copistes, s’entassent ridiculement dans une salle basse, et sautillent, croyant nous égaler. C’est sur la cime des toits, dans la splendeur des nuits, quand tout le poil frissonne, que peut s’exhaler la médodie divine. Par jalousie ils nous maudissent et nous jettent des pierres. Qu’ils crèvent de rage ; jamais leur voix fade n’atteindra ces graves grondements, ces perçantes notes, ces folles arabesques, ces fantaisies inspirées et imprévues qui amollissent l’âme de la chatte la plus rebelle, et nous la livrent frémissante, pendant que là-haut les voluptueuses étoiles tremblent et que la lune pâlit d’amour.
Que la jeunesse est heureuse, et qu’il est dur de perdre ses illusions saintes ! Et moi aussi j’ai aimé et j’ai couru sur les toits en modulant des roulements de basse. Une de mes cousines en fut touchée, et deux mois après mit au monde six petits chats blanc et rose. J’accourus, et voulus les manger : c’était bien mon droit, puisque j’étais leur père. Qui le croirait ? Ma cousine, mon épouse, à qui je voulais faire sa part de festin, me sauta aux yeux. Cette brutalité m’indigna et je l’étranglai sur la place ; après quoi j’engloutis la portée tout entière. Mais les malheureux petits drôles n’étaient bons à rien, pas même à nourrir leur père : leur chair flasque me pesa trois jours sur l’estomac. Dégoûté des grandes passions, je renonçai à la musique, et m’en retournai à la cuisine. (p. 29)