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Critique de kuroineko


Au Japon, Takagi Akimitsu, décédé en 1995, bénéficie d'une grande renommée. En France, seul Irezumi, paru initialement en 1948, a été traduit de sa quinzaine de romans policiers.

De facture classique, Irezumi est un whodunit inspiré des classiques du genre occidentaux. D'ailleurs l'auteur cite quelques références en la matière. Ici, il nous place dans un fameux cas de polar : le crime en chambre close. En l'occurrence, en salle de bain close.
Pour intéressante qu'elle soit, l'enquête n'est pourtant pas l'atout majeur du roman.

Celui-ci tient plutôt dans son sujet. le titre renvoie à la technique traditionnelle du tatouage japonais qui recouvre une grande partie du corps, généralement des épaules jusqu'aux cuisses et au milieu des bras. Les motifs gravés sur la peau se réfèrent à des personnages et créatures mythologiques nippons, tel l'Orochimaru porté par Kinué, la jeune femme retrouvée démembrée et le tronc emporté dans la fameuse salle de bain.

Le roman nous fait découvrir le monde singulier des irezumi et de leurs porteurs, souvent déconsidérés par les gens ordinaires comme étant une marque de mauvaise vie. Ce sont souvent les membres des yakuzas et leurs compagnes qui se font ainsi recouvrir le corps de dessin. Les tatoueurs ne peuvent d'ailleurs officier que dans l'ombre puisque leur activité reste proscrite par la loi au moment où se déroule le roman.
Au-delà de l'aspect sociologique du tatouage géant, il y a la patience et la souffrance endurée pour parvenir à un tel résultat. Plusieurs mois sont requis, à raison de séances quotidiennes, pour achever une oeuvre de taille. Des heures à subir la morsure des aiguilles, sans compter les fièvres possibles suite à infection. Dans sa façon de présenter tatoueurs et clientes, Takagi Akimitsu dépeint une érotisation mêlée de souffrance qui m'a fait penser à une des plus célèbres nouvelles de Tanizaki Junichirô, "Le Tatouage", d'où émane une atmosphère similaire.

D'ailleurs, ces peaux ornées sont l'objet de convoitise par des collectionneurs tels le Dr Hasakawa du récit qui passe des contrats avec les détenteurs d'irezumi de qualité pour les récupérer post-mortem. Il est fait mention d'une collection de ce type à la faculté de médecine de l'université de Tokyo. Curieuse, je suis allée vérifier la véracité de cette assertion. Effectivement, Tôdai dispose d'environ 120 spécimens secs exposés dans le musée de la faculté. Elle n'est pas la seule puisqu'on retrouve des peaux tatouées conservées dans divers musées à Lyon, à Lausanne, etc. Un peu macabre, non? Après tout, on circule bien devant des présentations de momies.

Enfin, le contexte historique dans lequel se déroule l'intrigue est intéressant. Nous sommes en 1947, deux années après la capitulation du Japon et les tragédies de Hiroshima et de Nagasaki. L'occupation américaine est en place depuis sur l'archipel et a conduit à la rédaction de la Constitution de 1947. Les traces des bombardements par les B-29 demeurent visibles dans le chaos tokyoite. Des quartiers entiers ont péri sous les bombes et les incendies. Moralement, on sent dans le récit un désespoir présent qui conduit certains à se suicider même en plein milieu d'un spectacle en salle. Les romans sur l'immédiat après-guerre montre bien les difficultés auxquelles sont soumises les populations défaites, comme ici.

Irezumi est un roman doté de multiples qualités et dont la lecture est à la fois enrichissante et plaisante. Je ne sais si d'autres livres de Takagi Akimitsu sont prévus en traduction mais je les lirais avec plaisir, d'autant qu'on retrouverait les personnages de ce premier titre.
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