Ce tome comprend une histoire complète indépendante de toute autre, écrite et mise en page par
Bryan Talbot, avec des dessins et un encrage de
Mark Stafford. Ce tome contient la graphic novel initiale de 2007 (publiée par Desperado Publishing), ainsi que les 4 épisodes de la minisérie qui devait y faire suite, mais jamais parus. Il est en noir & blanc, avec une histoire de 160 pages.
L'histoire commence avec 5 chérubins en train de s'ennuyer ferme au Paradis, trop parfait, trop lisse. Ils s'appellent Joseph, Enoch Zak, Jasper et Mal. Leur situation change radicalement quand ils sont témoins du meurtre commis par l'archange Abaddon, contre une douzaine d'autres archanges. Non seulement Abaddon a vu ces témoins gênants, mais en plus il s'enfuit, et les 5 chérubins sont accusés à tort des meurtres.
Les chérubins fuient sur Terre, à New York, où ils espèrent bien retrouver Abaddon pour le faire avouer et prouver leur innocence. En attendant, ils se lient d'amitié avec une danseuse exotique appelée Mary (pratiquant le Pole-dance). Cette dernière a découvert que l'établissement où elle se produit est tenu par des vampires qui servent du sang à leurs consommateurs de la même race. Pendant ce temps, Abaddon prépare la venue de Lucifer sur Terre.
Bryan Talbot est un auteur de comics anglais ayant plusieurs créations à son actif dans une palette de genres très large. Il y a aussi bien de l'espionnage transdimensionnel (The adventures of Luther Arkwright), qu'une uchronie au dix-neuvième siècle (
Grandville), une reconstruction d'une adolescente après maltraitance (The Tale of One Bad Rat), ou un récit sans parole (Metronome). Ce corpus remarquable mérite toute l'attention du lecteur et l'incite à guetter chaque nouvelle oeuvre de ce créateur.
Le lecteur plonge donc avec confiance dans cet ouvrage à l'apparence et à la production déconcertantes. le format est légèrement plus petit que celui d'un comics traditionnel. le noir & blanc s'accompagne de nuances de gris. Malgré la publication initiale contrariée, le lecteur a bien droit à un récit complet, avec une résolution en bonne et due forme à la fin, qui apporte une conclusion satisfaisante à la situation des chérubins et de Mary.
En ouvrant ce tome pour le feuilleter, le lecteur découvre des dessins comprenant une forte part d'exagération, dans un but comique. Les chérubins sont représentés de manière très littérale, comme des individus de petite taille, avec une mignonne paire de d'ailes dans le dos. Ils sont tout le temps en lévitation sans jamais poser les pieds par terre, même lorsqu'ils séjournent à New York dans le monde des humains.
Mark Stafford représente également Mary avec un corps plus petit que la moyenne et une tête plus grosse, pour donner plus d'importance aux expressions de son visage, pour plus insister sur son ressenti et ses sentiments
La majeure partie des personnages présente donc une dimension parodique voulue, du fait des exagérations de leur visage. Ce mode de représentation se marie bien avec les caricatures de personnalités diverses et variées qui apparaissent dans le récit. Au fil des pages, le lecteur reconnaît sans peine
Ozzy Osbourne (dont chaque phrase est émaillée d'un mot qui commence par fu et qui finit par ck), Miley Cirus (renommée Smiley Virus pour l'occasion), les Ghostbusters (voir SOS fantômes), Harry Potter, Scooby-doo, ou encore Ranx (de Liberatore, dans le personnage appelé Boris, ce qui constitue également un hommage à Boris Karloff).
D'ailleurs, il apparaît brièvement un autre personnage au nom étrange Eroom Nala (à lire de droite à gauche), et une case évoque sans détour l'affiche du film "L'exorciste". de ce point de vue,
Mark Stafford réalise des dessins disposant d'assez ressemblance pour que le lecteur ne s'y trompe pas, et d'assez d'exagération pour leur conférer une dimension comique.
L'artiste dessine les arrière-plans avec la même approche exagérée et légèrement déformante, de manière assez régulière pour que le lecteur n'éprouve pas de doute, ou d'oubli sur le lieu où se déroule l'action. Ce mode de représentation lui permet de faire passer les moments de nature horrifique, ou ceux de nature coquin (les moeurs libérées du gang de Sooby-doo), sans qu'ils n'en deviennent écoeurants, ou scabreux. La contrepartie est que certaines cases sont un peu surchargées, et peu agréables à l'oeil. le ton étant à la franche parodie, il est difficile de prendre les péripéties au sérieux.
Pourtant
Bryan Talbot a conçu une intrigue en bonne et due forme. Les 5 chérubins se retrouvent au beau milieu d'un complot de grande envergure, avec le risque très sérieux de la venue de Lucifer sur Terre, forcément un danger majeur pour l'humanité. Mais le lecteur a bien du mal à se sentir concerné par cette intrigue.
Pour commencer, il ne peut pas prendre au sérieux un roi des Enfers qui se fait appeler Lucy (diminutif de Lucifer) par Abanddon. Ensuite, les scènes d'affrontement disposent bien de leur logique interne, mais elles perdent en tension quand un élément comique vient s'en mêler comme l'apparition grotesque et caricaturale d'un ersatz d'Harry Potter, accompagné par 2 autres gugusses sur un balai. Difficile de s'investir à la lecture d'un combat, quand on sait que d'une case à l'autre peut surgir une parodie qui enlèvera tout enjeu à cet affrontement.
De la même manière, les parodies sont bien sympathiques, mais s'apparentent plus à des références gratuites qu'à des personnages dont la nature fait progresser l'intrigue. Il est amusant de voir
Ozzy Osbourne réduit à l'état de ressort comique, entre pleutre et idiot. Mais
Bryan Talbot s'en tient à une parodie superficielle, sans aucune dimension psychologique ou critique. Pour que la fibre humoristique joue à plein, il aurait fallu qu'il diminue l'importance accordée à l'intrigue et qu'il se lâche plus dans l'absurde.
Tout du long,
Bryan Talbot tient absolument à mener à bien son intrigue en restant dans un mode narratif où l'humour semble superposé à ladite intrigue, plutôt qu'intégré. le lecteur ne sait donc plus trop sur quel pied danser. Il suit une intrigue dont les rebondissements peinent à l'impliquer du fait de la possibilité de la survenance d'un deux ex machina (il y a d'ailleurs un véhicule qui porte ce nom dans l'avant-dernière séquence, canto XIII) qui viendra apporter un dénouement factice neutralisant toute tension dramatique. Il éprouve quelques difficultés à s'impliquer émotionnellement pour des personnages dont la psychologie reste sommaire, et font plus souvent office de ressort comique que de réels personnages. Il regrette également que la dimension humoristique ne prenne pas le pas sur l'ensemble de la narration, les blagues restant premier degré, l'absurde se limitant à quelques occurrences inoffensives.
Au final, cette lecture est agréable et légère, avec des blagues sympathiques et une intrigue bien structurée, mais il n'est pas possible de la prendre au sérieux, ou à la franche rigolade.
Mark Stafford dispose de véritables qualités de caricaturiste et s'implique fortement dans la réalisation des dessins, mais il reste trop cadré par l'intrigue.
Bryan Talbot a construit une intrigue élaborée, émaillée de blagues sympathiques mais trop sages. Tiraillé entre un suspense premier degré, et une parodie potache, le lecteur finit par se lasser de l'un comme de l'autre.