1 mars 2017 - Ceci est la chronique écrite par Didier Betmalle sur son blog : https://clapincasse.blogspot.fr/
En ce qui concerne l'esprit général dans lequel je conseille d'aborder “La Démocratie est un sucre qui se dissout dans le pétrole”, je pourrais tout aussi bien me contenter de reprendre ce que propose Mélanie Talcott elle-même dans sa “suggestion” au lecteur:
« Juste se laisser aller, écouter, lâcher prise. »
L'essentiel est là ; ainsi j'aurais tout dit, sans trahir l'auteure et sans trop me biler.
Mais je vais essayer de faire plus, toujours en restant fidèle à l'esprit du roman et à mes impressions de lecture.
Je l'avais déjà exprimé dans ma chronique d'“Alzheimer…”, il y a un rythme, un flot particulier dans l'écriture de Mélanie Talcott, et on est entraîné par le débit rapide, volumineux, torrentueux de la parole, au point de privilégier le plaisir de se laisser emporter par sa dynamique, plutôt qu'à celui d'en peser le sens, en freinant des quatre fers.
Ce qui me frappe dans ce livre, c'est l'humeur des protagonistes, tous plus ou moins véhéments,
animés par une rage de l'expression qui manifeste leur haut degré d'engagement et de passion, pour ce qu'ils pensent, pour ce qu'ils sont et ce qu'ils font, comme s'ils militaient pour une cause vitale.
Ainsi tous les échanges, quels que soient les sujets abordés, sont si intenses que l'ensemble apparaît non pas comme une joute, mais comme une forme d'art martial (thème important), ou chacun engage l'équilibre de son être, et respecte l'autre comme un guerrier respecte un guerrier. Sachant qu'il n'y a dans cet art aucune volonté de dominer, aucune volonté de vaincre, qu'il s'agit plutôt de créer ensemble, par cet engagement autant physique que moral, un moment de perfection éthique. Chercher à faire mouche pour pousser l'autre à son plus haut niveau de maîtrise. Quand cette perfection culmine ce sont des moments de grâce où chacun tient un rôle déterminant.
J'ai bien envie de dire que cet esprit est comparable à celui qui préside dans la rencontre entre un auteur et son lecteur. En tous cas l'analogie est valable pour ce livre-ci.
C'est un livre plein de sensations et de surprises gustatives magnifiques (thème central que celui du lien entre écriture et art culinaire). C'est une sorte de fête pour l'esprit et la bouche, une fête sans hystérie, qui vous donne le temps de vous acclimater, à ses plats, à leurs fumets, à ses lumières, à ses personnages, à leurs musiques. Si bien que dès qu'elle bat son plein cette fête, (dès qu'on pénètre dans le mudhif, page 70 et suivantes, et ce jusqu'à la fin) dès que ses remous puissants vous traversent, loin de vous sentir envahi ou submergé, vous vous ébattez dans ses courants et tourbillons, tête la première, avec jubilation.
Un peu d'information : “La Démocratie est un sucre…” est un roman à clé. le personnage de premier plan, Charles Monbrison, vous fera forcément penser, à un moment ou à un autre, au philosophe médiatisé qui lui sert de modèle.
Il cristallise tant toutes les passions qu'il devient, dans cette fiction, la cible d'un terroriste fondamentaliste chrétien, un véritable Croisé, qui explique et justifie l'acte qu'il va perpétrer dans les premiers chapitres, via une video testamentaire qu'il a enregistrée pour sa jeune épouse.
Une fois Charles mortellement blessé, maintenu dans un état semi comateux en soins intensifs, Mélanie Talcott lui faire revivre par le menu, à travers ses souvenirs — parfois hallucinés, où se mêlent les bruits des tuyaux et des moniteurs qui jouent les sentinelles à son chevet —, les heures les plus intenses et les plus riches de son existence au milieu des hôtes du mudhif.
Le mudhif c'est la maison de l'amitié, grande nef idéale où s'épanouissent l'intelligence et la sincérité, l'amour du partage, l'amour de la cuisine, l'amour de la musique, et où peuvent se dire toutes les vérités du coeur…
Je reprendrai plus tard, avec l'intention d'essayer de cerner le pourquoi des réserves que j'ai sur les premiers chapitres, et essayer de faire partager les émotions ressenties devant la force des personnages, la puissance évocatrice de certaines scènes, la complexité de cette extraordinaire peinture à la fois satirique et bienveillante de notre monde.
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Qu'est ce que j'ai aimé ! le mot aimé est si faible. Comme pour tant de livres qui m'émeuvent, ce livre me laisse seule, mais avec ces deux mots : Espoir et vouloir ;)
Je me suis retrouvée à un moment donné comme avec des amis ou certains membres de ma famille, chers à mon coeur, où chacun y va de son opinion, de son argument. Comme si nous "changions le monde" et ça fait un bien fou de verbaliser tout haut, nos pensées. Ton livre est profond et fait réfléchir, les héros sont attachants.
J'ai bien aimé Catherine et son débat sur les écouteurs et écoutants, intéressant de connaitre qui nous pourrions êtres, des deux ? ;)
J'ai également apprécié Ertha et son doux franc parlé.
Et que dire de l'association de Patrick pour tous ces enfants, apprendre le libre arbitre, apprendre le faire et ne pas faire. Où l'on parle d'émulation, de partage, d'autonomie et de responsabilité. Ces quatre derniers mots sonnent joliment à mes oreilles. Dire que j'ai aimé ce passage serait utiliser un verbe trop faible. Alors, à vous de le découvrir.
Ou bien, comme le dis Marianne, : "au moins à discuter légèrement de choses graves, on agrandit nos horizons à défaut de changer le monde".
Il y a aussi Francois, qui m'a beaucoup étonné et Dominique...
Toute personne peut s'identifier au sein de ce mudhif et c'est tellement enrichissant !
Évidement le livre commence par un passage assez fort et la fin est surprenante, mais finalement pas tant que ça, à bien réfléchir. Je laisserai là encore, les futurs lectrices/lecteurs, le découvrir.
Merci Melanie Talcott pour m'avoir fait découvrir ce mudhif, de m'avoir permis pour plusieurs heures et jours, un lâcher prise, écouter et me laisser absorber (sourire) comme tu le dis si bien en 4ème de couverture.
Rien ne nous empêche de continuer au quotidien, ce lâcher prise ! C'est tellement reposant. En avons nous envie ? Moi sûrement.
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— C’est la seconde fois que j’entends ce mot. Mais je n’ai aucune idée de ce qu’il signifie.
— C’étaient de splendides maisons flottantes faites de roseaux tressés et compactés dans lesquelles vivaient les Arabes des Marais d’Irak, une Venise mésopotamienne, un pays mouvant entre deux fleuves, le Tigre et l’Euphrate. Malheureusement aujourd'hui, les mudhifs ont pratiquement disparu. La région de Bassorah, ce berceau de Gilgamesh, est devenu un vaste champ pétrolifère où pullulent des entreprises étrangères qui n'emploient aucun Irakien. Les habitants du Marais, quant à eux, sont enrôlés quasi de force pour aller com-battre soit dans l'armée irakienne soit dans les rangs de l’État isla-mique. Depuis l’époque babylonienne, cette région fut le refuge de tous ceux qui fuyaient l’oppression jusqu’à ce que Saddam Hussein l'assèche en grande partie, les déserteurs et les opposants à son régi-me y étant accueillis et protégés. La chute du dictateur et les nombreux conflits qui ont suivi, ont fait le reste. Ces villages des marais furent le sujet de notre premier livre. Catherine les textes et moi, les photos. L’idée nous en est venue après avoir lu Les Arabes des marais de Wilfred Thesiger et, c’est en son hommage que nous avons baptisé ainsi ce lieu, toujours ouvert aux voyageurs et aux amis.