Citations sur La Couleur tombée du ciel (36)
Ses divagations les plus folles étaient en fait très inquiétantes ; il criait frénétiquement qu'il fallait détruire quelque chose dans une ferme aux fenêtres condamnées, faisait des allusions extravagantes à certain plan pour extirper de la terre l'espèce humaine tout entière, les animaux et les plantes, au profit d'une effroyable race antique d'êtres venus d'une autre dimension.
Quelle sue soit la chose infernale prête à éclore au fond du puits, elle doit être prisonnière d'une façon ou d'une autre, sans quoi elle se propagerait rapidement. Serait-elle attachée aux racines de ces arbres qui griffent l'air de leurs branches ? L'une des histoires d'Arkham relate que de gros chênes brillent et s'agitent la nuit d'une manière surnaturelle...
Dieu seul sait de quoi il s'agit !
Tous étaient devenus impassibles et résignés comme s'ils marchaient dans un autre monde, entre des rangées de gardes sans noms, vers un sort certain et familier.
Il était venu à sa rencontre et gardait encore un semblant de vie. Avait-il rampé ou une force extérieure l'avait-il traîné, Ammi n'aurait su le dire; mais il était frappé à mort. Tout était arrivé dans la dernière demi-heure mais le délabrement, la grisaille et la désintégration étaient déjà très avancés. C'était une hideuse friabilité, et tout s'écaillait en débris desséchés. Ammi, sans pouvoir y toucher, considérait avec horreur l'informe parodie de ce qui avait été... un visage.
C'était quoi, Nahum, c'était quoi ? murmura-t-il, et les lèvres gonflées et fendues purent à peine émettre dans un grisaillement l'ultime réponse...
Sans avertissement survint cette voix profonde, cassée, rauque, qui hantera à jamais la mémoire du groupe accablé qui l'entendit alors. Ces sons n'étaient pas nés d'une gorge humaine, car les organes de l'homme ne sauraient produire de ces perversions acoustiques. On les eût dit plutôt sortis de l'enfer lui-même, si leur source n'avait été manifestement l'autel de pierre sur le sommet. C'est d'ailleurs presque une erreur de parler de sons puisque l'essentiel de leur effroyable timbre d'infra-basse s'adressait à d'obscurs sièges de conscience et de terreur beaucoup plus subtils que l'oreille ; il faut pourtant le faire car ils prenaient, vaguement mais indiscutablement, la forme de mots à demi-articulés. Sonores - autant que les grondements et le tonnerre auxquels ils faisaient écho - ils ne venaient pourtant d'aucun être visible. Et parce que l'imagination pouvait suggérer une source hypothétique dans le monde des êtres invisibles, la foule blottie au pied de la montagne se serra plus étroitement encore et tressaillit comme dans l'attente d'un coup.
[L'abomination de Dunwich]
Alors un vent de panique sembla se répandre parmi les chercheurs. C'est une chose de poursuivre une entité sans nom, mais autre chose est de la trouver. Le formules magiques étaient peut-être excellentes - mais supposons qu'elles ne le soient pas ?
[L'abomination de Dunwich]
D’étranges couleurs dansaient devant ses yeux, et s’il n’avait été paralysé par l’horreur du moment présent, il aurait pensé au globule dans le météore, que le marteau du géologue avait fait éclater, et à la végétation morbide qui avait poussé au printemps. Mais sur le coup, il ne pouvait penser qu’à la monstruosité blasphématoire qui se tenait devant lui, et dont il était évident qu’elle avait subi le même destin que le jeune Thaddeus et le bétail. Mais ce qu’il y avait de plus terrible avec cette horreur, c’est qu’elle bougeait très lentement mais de façon perceptible tandis qu’elle continuait à se désagréger.
Pourtant je compris bientôt que mon trouble avait une autre origine, peut être aussi puissante que la première, dans les allusions picturales et mathématiques de ces singuliers dessins. Les formes évoquaient toutes de lointains secrets, d'inconcevables abîmes dans l'espace et le temps, et la nature invariablement aquatique des reliefs devenait presque sinistre. Ils représentaient entre autre des monstres fabuleux d'un grotesque et d'une malignité répugnants- mi-poissons,mi-batraciens- que je ne pouvais dissocier d'une obsédante et pénible impression de pseudo souvenir, comme s'ils faisaient surgir je ne sais quelle image des cellules et des tissus enfouis dont les fonctions de mémorisation sont entièrement primitives et effroyablement ancestrales. Il me semblait parfois que chaque trait de ces maudits poissons grenouilles répandait l'extrême quintessence d'un mal inconnu qui n'avait rien d'humain.
Dans son délire, on ne reconnaissait aucun nom spécifique, seulement des verbes et des pronoms. Les choses bougeaient, changeaient, virevoltaient, ses oreilles soudain bourdonnaient à l'écoute de sons qui n'en n'étaient pas. Quelque chose venait de lui être ôté - on la vidait de quelque chose - quelque chose s'accrochait à elle mais n'aurait pas dû - quelqu'un devait tenir cette chose à distance - rien n'était plus jamais paisible pendant la nuit - les murs et les fenêtres se mettaient en mouvement.
Lovercraft chercha à explorer dans son oeuvre l'une des émotions les plus fortes que puisse ressentir l'être humain, la peur, dans sa forme la plus extrême : la peur de l'inconnu. Il ne connut jamais réellement le succès de son vivant, mais il est tenu pour le père d'un genre qui a largement prospéré par la suite, aussi bien dans la littérature qu'au cinéma. En faisant basculer les récits d'horreur psychologique vers ce que lui-même appelait l'"horreur cosmique", un genre à mi-chemin entre la science-fiction et la tradition gothique du macabre, Lovercraft a eu une influence considérable sur les générations d'écrivains d'horreur qui ont suivit. (Miquel Berga)