Ce manga montre combien un bon travail d'édition met le lecteur dans d'excellentes conditions avant même d'entamer la lecture. Un peu comme une belle illustration de couverture... Ki-oon a sorti la grosse artillerie avec une superbe couverture simili-cuir en effet gravure. Une court bio de l'auteur et de
Lovecraft, une introduction au roman original At the mountains of madness, un sommaire et quelques citations en anglais de nouvelles d'
Edgar Poe (dont Arthur Pym) pour mettre dans l'ambiance. L'édition respire le respect. Qu'en est-il du manga
lui-même?
En 1930 une très importante expédition de l'Université Miskatonic part pour l'Antarctique, équipée d'avions et du matériel dernier cri. Ils vont étudier la géologie et la biologie d'un continent découvert mais pas encore exploré. Très vite les découvertes apportent des révélations improbables au niveau des datations et l'ambition de l'une des têtes de l'expédition pousse à séparer les équipes. Lorsque l'équipe Lake ne donne plus signe de vie après le passage d'une redoutable tempête le reste des hommes part à leur secours et vont découvrir
l'indicible...
Gou Tanabe n'a pas une grosse bibliographie mais a commencé à se spécialiser depuis quelques temps dans les adaptations de classiques, dont
Lovecraft. Il n'est pas le plus technique ni le plus impressionnant des dessinateurs japonais. Pourtant son style réaliste colle avec l'atmosphère résolument classique qui sied aux histoires d'aventures fantastiques de l'époque. La première approche est décevante tant le dessin semble avoir été vu mille fois et le récit d'expédition antarctique nécessite un plus graphique ou scénaristique pour se démarquer. le rythme des histoires fantastiques est progressif. Ce
lui des Montagnes hallucinées également: après une longue mise en place à la lecture difficile du fait de l'utilisation de trames grossières et du manque de précision du dessin, les premières accélérations de l'intrigue ouvertes par la découverte de strates géologiques à la datation impossible font monter la tension et le rythme cardiaque du lecteur... qui ne décroche plus jusqu'à la fin. le prologue avait annoncé l'horreur. L'intérêt du manga repose sur l'accumulation de découvertes toutes plus improbables les unes que les autres. le principe du hors champ et du jeu sur l'anticipation du lecteur fonctionne très bien: l'auteur déroule cliniquement les découvertes des scientifiques et le lecteur s'attend à chaque page à voir surgir un monstre...
Le mythe de Cthulhu est toujours aussi fascinant dans son jeu des impossibilités scientifiques entraînant à la folie. Dans ce premier tome il n'est pourtant pas question de déviances mentales puisque jusqu'à la découverte macabre du campement (totalement gore et horrible) nous ne faisons face qu'à des constatations rationnelles. L'équipe reste au pied des
Montagnes de la folie, que l'on abordera dans un second volume.
Étrangement les limites du dessin de Tanabe, qui posent problème sur les premiers chapitres, apportent un plus dès l'arrivée des Anciens. L'impossibilité physique à représenter ces êtres indicibles (j'adore le vocabulaire hypertrophié de
Lovecraft!) est très bien reprise par des dessins sombres, présentant des enchevêtrements impossibles à comprendre visuellement. C'est perturbant mais sert totalement le propos; on imagine dès les pages montrant par mirage la cité cyclopéenne ce que sera le tome deux.
Très respectueux de l'oeuvre originale (sans doute trop),
Gou Tanabe sait faire tenir la tension de son scénario en montant progressivement vers l'horreur brutale. Avec un dessin plus précis et moins sombre l'on aurait gagné en qualité mais l'ouvrage réussit à être une très bonne illustration du texte de
Lovecraft et fascine lorsqu'il s'agit de représenter ces Anciens.
Lien :
https://etagereimaginaire.wo..