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Kazuo Anzai (Autre)Sylvie Regnault-Gatier (Autre)
EAN : 9782070705870
280 pages
Gallimard (14/01/1986)
3.84/5   58 notes
Résumé :
Le personnage central de ce roman écrit en 1928 est un Japonais occidentalisé, déraciné, ayant rompu avec la tradition culturelle et religieuse de son pays. À la fin du roman, nous devinons que Kaname, tiraillé entre le passé et l'avenir, opte pour le passé.
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« Dans cette maison qui s'appelle littérature, je voudrais que les grands toits débordants créent une ombre profonde, et que les murs soient sombres ; je voudrais repousser dans l'obscurité tout ce qui ressort trop clairement ; je voudrais arracher les ornements superflus… ». Ainsi s'exprimait l'auteur d'Eloge de l'ombre, magistral essai qui marque une véritable différence d'optique, presqu'un fossé civilisationnel entre le Japon et l'Occident.
Publié en 1928, le goût des orties, première oeuvre majeure de Tanizaki, explore déjà largement cette thématique. Son titre original, « Tade kuu mushi » est un diminutif bien connu des Japonais de l'expression proverbiale « Tade kuu mushi mo sukizuki », qui littéralement se traduit par « Il y a même des insectes qui aiment manger des mauvaises herbes », Tade étant la renouée du Japon, une plante proche de l'ortie, mais envahissante et indésirable. de manière imagée, les Japonais utilisent « Tade kuu mushi » pour dire « Tous les goûts sont dans la nature », ou « A chacun ses goûts ». On comprend rapidement le sens d'un tel titre, dans la thématique centrale abordée.

Ce roman est l'histoire d'un couple qui se meurt, dans une séparation qui n'en finit plus de s'annoncer, décidée sans l'être, quand les choses ne sont pas dites clairement, parce que ça ne se fait pas d'être dans la frontalité dans les codes sociaux du Japon. Kaname est un homme indécis, qui a laissé sa femme Misako prendre un amant. Originaires de Tôkyo, ils se sont installés dans le Kansai, à Ôsaka. Au bout de dix ans de vie commune marquée par la naissance de leur fils Hiroshi, elle s'est lassée de l'égoïsme de son mari et par les carcans imposés par ces codes, attirée aussi par les nouveautés venues d'occident comme le jazz et un désir de tendresse, qui n'existe plus depuis longtemps entre eux. Cet amant qu'on nomme Aso mais qu'on ne verra jamais est une sorte de mari à l'essai avant l'officialisation de la séparation. Kaname a donné à Misako son accord tacite pour qu'elle aille le retrouver quand elle le souhaite.

A côté de ce couple, la focale s'élargit très vite à un autre couple, en apparence moins bien assorti et pourtant tellement dans l'ancienne tradition japonaise : le beau-père de Kaname, que l'auteur nommera toujours le Vieillard, et sa jeune maîtresse O-hisa, avec ses dents imparfaites, un peu cariées, mais bien corsetée dans ses jolis kimonos telle une geisha. le Vieillard aime ses kimonos un peu passés, aux couleurs pastel, toujours rebuté par le clinquant des couleurs vives et les trop fortes lumières appréciées par ces modernes qui ne jurent plus que par le goût occidental si vulgaire…C'est qu'il est originaire de Kyôto et attaché à ces codes du Japon ancien. Même si Ôsaka toute proche est plus moderne, elle a conservé un reste de tradition unique, son théâtre de marionnettes, le Bunraku, celui popularisé par les pièces de Chikamatsu. le VieiIlard en est passionné, et les deux couples se retrouvent pour assister à une longue soirée au spectacle, que Tanizaki va nous faire partager dans le détail. Misako qui s'y ennuie ne pense qu'à écourter pour retrouver Aso. Kaname, au départ circonspect, voire un peu rebuté dans ses origines Tokyoïtes, va se prendre d'un intérêt grandissant pour cet art local, au point qu'il accepte assez volontiers l'invitation du Vieillard à une nouvelle séance, cette fois dans la région proche mais plus rurale d'Awaki, dont le théâtre dévoile une technique et des figurines plus rudimentaires.

Kaname et Misako sauvent les apparences dans ces soirées, mais du côté du projet de séparation, rien ne se décante, faute de prendre les choses à bras le corps. Lorsque le cousin de Kaname, Hideo Takanatsu, qui vit à Shangaï, rend visite au couple dont il connaît la situation délicate, il pense pouvoir les aider à trancher. Son tempérament plus direct et sa bonne entente avec chacun des deux protagonistes pourrait en faire un intermédiaire ou négociateur efficace. Mais Hiroshi semble avoir bien compris le drame qui se joue, et devant l'inertie de ses parents à lui dire la vérité, Hideo se chargera en douce de lui parler, sans pour autant avoir fait avancer l'affaire. C'est que le Vieillard n'est pas au fait de la situation de sa fille, et on n'imagine mal qu'il n'aura pas son mot à dire dans cette société patriarcale…

Kaname fuit encore quelques temps ses responsabilités, cachant depuis des années un secret aux yeux de sa femme, même si elle s'en doute probablement : il rejoint de temps à autre une maîtresse, Louise, une prostituée eurasienne, mi-russe mi-coréenne, qu'il part retrouver à Kôbe dans une maison close. Il est tout aussi indécis avec cette femme, qui l'a ébloui (toujours ce grain d'occidentalité !) mais qui ne s'intéresse qu'à son argent. Doit-il continuer de la voir, se tourmente-t-il encore…

Face à ces impasses, Kaname finit par informer par lettre le Vieillard du naufrage de son couple. La fin du roman verra le Vieillard inviter son gendre et sa fille chez lui, en présence d'O-hisa, pour tenter une dernière fois le dialogue. Tanizaki choisit à ce moment-là de laisser le lecteur imaginer le dénouement, en recomposant et séparant deux duos, cette fois le Vieillard et sa fille d'un côté, Kaname et O-hisa de l'autre. Il se concentre décidément sur sa préoccupation centrale, cette confrontation culturelle, qu'il ira chercher jusqu'au fond des toilettes et dans le détail des sensations dans cette demeure très japonaise du maître des lieux, qui nous donne encore de très belles pages d'exploration. Les dernières lignes nous font tout envisager, on pressent que Kaname flanche peu à peu vers un retour aux sources de ce qui fait l'identité profonde du Japonais.

Ce roman d'une richesse thématique incroyable est construit sur des jeux de contrastes à plusieurs niveaux. D'abord les différences de mentalités et de traditions plus ou moins subtiles entre Tôkyo, Ôsaka et Kyôto, que l'auteur étend sans gêne aux différences avec l'Occident, en les faisant exprimer par le Vieillard, puis petit à petit par Kaname. Tanizaki ne rate pas une occasion de louer le goût supérieur des Japonais pour l'ombre, les lumières tamisées et le pastel, face à la manie des occidentaux à chercher la pleine lumière éblouissante.

Toujours marqué du sceau de l'influence occidentale, il esquisse aussi des portraits de femmes de styles opposés, entre Misako, O-hisa et Louise. Toutes ont néanmoins en commun de n'être pas très bien considérées, dans un univers qui reste foncièrement machiste (Kaname tutoie sa femme, mais l'inverse n'est pas vrai), mais aussi au bout du compte et contre les apparences premières, de mener le jeu face à un Kaname balloté. Celui-ci s'interroge en permanence, il n'arrive plus à se situer dans ce monde qui change, se moquant un peu de son beau-père vieux-jeu, mais se laissant aussi gagner par la nostalgie du Japon traditionnel qui s'échappe inéluctablement. Quelle figure féminine l'attire finalement ?
Mais le Vieillard, mine de rien, sous un apparent entêtement passéiste, connaît bien la musique, et ce malin pourrait bien tirer pas mal de ficelles, tenant en grande partie la clé de l'avenir du couple.

Ce livre est exigeant si l'on n'est pas un minimum attiré par le Japon. En effet, les pages sur le théâtre sont loin d'être anecdotiques, elles prennent beaucoup de place. On peut facilement s'y ennuyer. Je les ai trouvées passionnantes, il faut aller chercher des images de Bunraku, ce théâtre né au XVIIème siècle formé de grandes marionnettes dont le manipulateur est bien visible des spectateurs, qui est parlé et chanté par un récitant et accompagné au shamisen. Il perdure encore aujourd'hui, péniblement, mais attire encore 100 000 spectateurs par an à Ôsaka, et a été classé en 2003 au patrimoine mondial immatériel par l'UNESCO.

Tanizaki sait pourtant ne jamais être soporifique, tant il se glisse merveilleusement dans l'esprit de ses personnages, avec subtilité, décrivant les choses de la vie, le naufrage d'un couple, en s'attachant autant à mettre en scène leur vie quotidienne, simple et triviale, que leur psychologie complexe. On ressent la finesse des changements d'ambiance et des tourments intérieurs, le poids des traditions qui souvent les empêche de se livrer. Chaque geste, chaque attitude a son importance. S'il sait nous intéresser, c'est qu'on le sent impliqué…Ce récit est en grande partie autobiographique, il est largement dans la peau de Kaname au moment où il écrit ces lignes, puisqu'il « cèdera » sa femme à son ami écrivain Haruo Satô, et le malin Vieillard, dans son retour aux sources du Japon traditionnel, ce sera lui plus tard ! Une image m'a d'ailleurs frappé au visionnage des photos des grands écrivains japonais d'après-guerre : Tanizaki même dans ses dernières années n'apparaît jamais en costume occidental, toujours en kimono et haori, habits d'un vénérable nippon, alors même que dans ces années 60, Mishima et même le si nostalgique Kawabata ont succombé régulièrement à ce costume !

Pour conclure, si vous ne détestez pas les romans d'ambiance, à l'action limitée et aux fins ouvertes, si vous aimez ce qu'est le Japon dans son essence culturelle brute, lisez ce livre. C'est une merveille, par un écrivain majeur du XXème siècle qui a tracé sa voie souvent dans le scandale, à coup sûr dans l'indépendance, sans maître et sans faire école, tellement il est inimitable…Mais libre à vous…A chacun ses goûts, n'est-ce pas ?!
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De nouveau un grand plaisir de lecture avec Tanizaki, qui explore les cheminements de la pensée humaine, cette fois ci avec un couple Kaname et Misako en pleine réflexion sur leur divorce. Kaname le principal protagoniste de ce roman, toujours aussi indécis que sa femme, revisite sa relation et s'attache à explorer les valeurs du passé ravivée par son beau-père. Au gré de ses pensées et de quelques voyages c'est l'art des marionnettes qui est évoqué le Bunraku, de façon assez détaillée.
Beaucoup de déambulations intellectuelles, "le goût de la flânerie" comme le rappelle la traductrice dans sa note de présentation qui pourrait décourager les lecteurs mais que, pour ma part j'ai beaucoup apprécié.
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Dès l'incipit du roman, le ton est donné, Misako demande à son mari "Quelles sont vos intentions ? Irez-vous quand même ?" sans en obtenir une réponse tant soit peu précise. Misako et Kaname ne s'aiment plus, ils souhaitent divorcer, mais le courage manque à Kaname, il a un caractère inerte et passif. Il ne veut faire de la peine ni à son fils (qui se doute de quelque chose) ni à son épouse. Cette situation lui convenant, il se laisse flotter au gré du courant acceptant la liaison de sa femme avec son amant Aso. L'arrivée de son cousin Takanatsu va peut-être l'aider à avancer dans cette séparation, car il a déjà l'expérience du divorce.

C'est également une vision du déchirement du beau-père de Kaname, face à la modernisation du Japon (Ère Meiji). Il lance des diatribes contre les femmes modernes, la musique Jazz, tous les apports que l'Occident peut apporter. Il se rapproche des arts traditionnels tel le bunraku marionnettes, et se plaint du manque de public présents à ces spectacles. Nous retrouvons ce malaise de la nouveauté et du modernisme dans 'l'éloge de l'ombre'. D'ailleurs, cet homme âgé est accompagné de sa maîtresse O-hisa, toute jeune femme qui s'initie aux arts et coutumes d'une geisha traditionnelle. Il est ici l'incarnation des valeurs morales du Japon d'avant l'ère Meiji.

Le titre de l'ouvrage fait référence à un proverbe Japonais : "A chacun selon ses goûts, Certains insectes aiment les orties". Il faut voir "le goût des orties" comme un roman autobiographique, "Ces démêlés sentimentaux, ponctués de ruptures et de réconciliations durent jusqu'à la parution dans un journal, au mois d'août 1930, d'une annonce rendant publique « la cession de l'épouse de Tanizaki » à Haruo Satō, non sans un parfum de scandale.(Wikipedia).
Ce roman donne un aperçu de la vie au Japon au début du XX ème siècle dans une riche famille. Mais également la vision d'une famille partagée entre les valeurs anciennes du Japon, et la modernisation apportée par l'Occident. Il peut se rapprocher par la thématique au roman de Katai Tayama 'Futon'. Malgré les qualités intrinsèques de ce roman, je ne conseillerai pas "le goût des orties" pour découvrir l'oeuvre de Tanizaki.
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Kaname est un rentier aisé et oisif. Il a avec sa femme Misako, cette vie de couple parfaitement tranquille et paisible de ceux qui sont irrémédiablement indifférents l'un à l'autre. D'ailleurs notre Oblomov nippon, décidé à faire montre d'une largeur d'esprit toute européenne en matière de moeurs, a laissé toute latitude à sa femme d'aller prendre un amant, d'autant plus que lui-même n'est pas tout à fait blanc bleu à cet égard. Il n'est pas contre l'idée du divorce, mais il répugne à franchir le pas, à briser net, non par scrupule pour son jeune fils Hirashi, qui malgré son jeune âge, se doute bien de quelque chose, mais par inclinaison personnelle à remettre les choses au calandes grecques, jaloux de ses aises, appréciant, malgré l'aspect bancal de la situation, son côté bassement pratique. Alors que ses intérêts et ses moeurs le portent plutôt vers un occidentalisme libertaire et en dépit de l'aspect complexe de sa situation matrimoniale, Kaname entreprend un rapprochement avec son beau-père, aux goûts singulièrement plus passéistes, friand du théâtre de marionnette nippon et vivant maritalement avec une jeune femme de trente ans sa cadette, ayant tout l'air d'une geisha, soumise, serviable, entretenant les arts d'agrément tel que la cuisine et le samisen.

Le personnage principal du présent roman est un peu Tanizaki lui-même, du moins dans son parcours et son évolution culturelle et esthétique. Jeune homme, l'auteur se laissait volontier vivre, très attiré par l'esthétique et les femmes occidentales. Marqué par Baudelaire et Wilde, il effectua un retour progressif vers les valeurs traditionnelles. En ce sens on peut dire que le Goût des orties illustre un thème central du roman japonais, celui d'un pays balançant - de moins en moins il est vrai, entre deux pôles, matérialisés par le modernisme d'inspiration occidental et une certaine forme de conservatisme nippon. On est toujours séduit par l'exquis raffinement des moeurs, de la culture, de l'art de vivre du Pays du Soleil Levant. Lire un roman japonais "classique", c'est la promesse d'un exotisme qui ne nous est pas totalement étranger à bien des égards, et qui est, en ce sens, extrêmement fascinant et attirant.
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Junichirô Tanizaki (1886-1965) est un écrivain japonais. Etudiant à l'université de Tokyo, il publie en 1910 le tatouage, une nouvelle qui lui apporte une célébrité immédiate. Il s'engage alors dans la voie littéraire, publiant de nombreux récits qui s'inspirent souvent d'un Occident et d'une Chine exotiques – jusqu'au grand séisme qui secouera Tokyo en 1923. Tanizaki quitte alors la capitale pour la région de Kyoto et Osaka et, après avoir publié Un amour insensé (1924) qui signe la fin de cette première période, il opte pour un retour aux sources japonaises. L'écrivain laisse une oeuvre unanimement considérée comme l'une des plus importantes du XXe siècle japonais.
Le Goût des orties, publié en 1928 a fait l'objet d'une première parution chez nous en 1959 avant de se retrouver au coeur d'un des deux volumes de la Pléiade consacrés à cet immense écrivain.
Kaname et son épouse Misako ne sont plus un couple que de nom. Misako s'est pris un amant, Aso, et Kaname a ses habitudes avec Louise, une prostituée d'origine européenne. Rien n'est secret dans leurs relations, les deux époux s'organisent au mieux pour vivre la situation afin de ne pas perturber leur jeune fils Hiroshi. Tous deux voudraient divorcer mais ils ne trouvent pas le courage de rompre définitivement, « nous sommes incapables, Misako et moi, de choisir entre le chagrin d'un moment, et la douleur d'une vie entière ». Leur ami commun, Takanatsu, tentera de leur apporter son aide et de son côté, le père de Misako, un vieil homme vivant en concubinage avec O-Hisa - une jeunette -, essaiera de dissuader sa fille de divorcer.
Autour de cette trame, proche de la vie personnelle de l'écrivain en grande difficulté conjugale ce qui l'amènera à divorcer de sa femme deux ans plus tard, Tanizaki peint le paysage d'un monde qui change. Si les deux époux sont ce que nous pourrons appeler des Japonais modernes, le père de Misako, reste lui, très attaché aux coutumes et traditions du Japon d'hier. Nous découvrons ainsi l'art des marionnettes, un spectacle très prisé alors avec ses artistes vedettes, leurs techniques de jeu, les théâtres où se déroulent ces évènements et les habitudes des spectateurs apportant leur repas… Outre l'aspect instructif de ces longues pages sur cet art, on peut peut-être y voir aussi une mise en abîme, les marionnettes/poupées du théâtre faisant écho au couple qui se débat avec son problème comme deux pantins victimes de leur mauvais karma ?
Sans non plus que cela saute aux yeux, le lecteur appréciera l'érotisme discret suintant entre les lignes, les rapports homme/femme, du couple marié et légitime, du couple moins conventionnel entre le vieil homme et sa très jeune concubine sans oublier ceux formés par le mari et sa prostitué favorite ainsi que celui de la femme et de son amant. Tout ce beau monde tentant par-dessus tout à sauver les apparences vis-à-vis du monde extérieur.
Opposition entre le Japon d'hier et d'aujourd'hui (celui de 1928) mais sans trace de nostalgie aucune de la part de Junichirô Tanizaki, ce qui rend encore plus intéressant ce roman. le lecteur se plongera dans ce livre sans retenue, se délectant de son effet apaisant dû à son écriture car il faut bien le dire et le redire, comme l'apnéiste obligé de remonter à la surface tôt ou tard, le lecteur se doit de revenir vers les classiques et les textes bien écrits pour se refaire une santé.

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Citations et extraits (18) Voir plus Ajouter une citation
Kaname avait déjà, une dizaine d'années auparavant, assisté à une représentation du Bunraku de Goryo, mais sans y prendre le moindre intérêt, et n'en gardait que le souvenir de s'y être ennuyé. Il était venu, cette fois-ci, uniquement par un sentiment d'obligation, sans attendre grand-chose, sans se douter que peu à peu, à son insu, il serait conquis par ce monde irréel. "J'ai vieilli vite en dix ans", ne put-il s'empêcher de penser. "Je ne pourrai plus me moquer des manies du vieux monsieur de Kyôto. Dans dix ans, je suivrai peut-être le même chemin. Je viendrai au théâtre avec une maîtresse dans le genre d'O-hisa, en portant le nécessaire de fumeur accroché à la ceinture, et des provisions dans des boîtes de laque à tiroirs...Non, il ne me faudra même pas dix ans. Déjà dans ma jeunesse j'avais un fâcheux penchant à jouer les vieux ; il y a en moi une tendance à vieillir plus prononcée que chez les autres." Regardant les cheveux d'O-hisa, sur les tempes, et la ligne des joues pleines, il crut lui trouver quelque chose de commun avec Koharu, sur la scène ─ peut-être ce visage inexpressif. Ses réflexions lui inspirèrent des sentiments contradictoires. D'abord que l'âge apporte ses joies et ses plaisirs ; mais que c'est déjà signe d'âge que de penser ainsi. Or Misako et lui désiraient divorcer justement afin de retrouver la jeunesse dans la liberté. S'il voulait entretenir sa résistance intime contre sa femme, il ne s'agissait pas de se laisser vieillir.
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Son foyer vide lui était insupportable lorsque Misako était sortie. Les cloisons mobiles, la décoration du tokonoma, les arbres dans le jardin restaient identiques, et pourtant la désolation s'abattait soudain sur la maison. Elle avait été édifiée par le propriétaire précédent, un ou deux ans seulement avant que Kaname vienne s'établir dans le Kansai et l'achète. Le petit salon japonais y avait été ajouté à ce moment-là. Dans cette pièce qu'il voyait chaque jour, les piliers en beau pin de Kitayama et en cèdre du Liban commençaient, sans qu'il y eût pris garde, et sans qu'on les eût particulièrement astiqués, à se patiner d'eux-mêmes. Ils acquéreraient bientôt cette dignité des choses anciennes qui plaisaient au vieillard de Kyôto. Kaname, de sa position couchée, contemplait cette patine comme s'il l'apercevait pour la première fois. Il regardait aussi le guéridon bas du tokonoma, sur lequel retombaient en grappes des branches fleuries de kerrie ; le bois de la galerie, qui réfléchissait la lumière extérieure comme un miroir d'eau. Malgré la vie agitée qu'elle menait en ce moment, sa femme n'oubliait pas d'apporter de temps à autre dans le salon le reflet des saisons, et même si de tels soins n'étaient répétés que par habitude, sinon par inertie, Kaname imaginait mal le jour où il n'y aurait plus de fleurs dans la maison. Songeant à ce bois patiné par le temps qu'il voyait matin et soir, il éprouva un sentiment triste pour son ménage qui n'avait pourtant d'un ménage que le nom.
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Ils se regardaient droit dans les yeux, ce qui leur était exceptionnel. Le mari observait sa femme avec gêne. Lançant des ronds de fumée d'une mince cigarette à bout doré, elle masquait son embarras par une certaine rudesse. Sa façon de s'exprimer, ses jeux de physionomie ─ reflets peut-être de ses conversations avec Aso ─ se modifiaient à son insu. Lorsque Kaname voyait s'opérer sous ses yeux cette transformation, il ne pouvait s'empêcher de sentir, avec une acuité douloureuse, que Misako ne faisait plus partie de sa maison. Jusqu'ici, chacun des mots de cette femme, chacune de ses inflexions, portaient l'empreinte de sa famille ; or voici que peu à peu s'y substituaient des tournures nouvelles. Kaname, qui n'avait pas prévu que la tristesse des adieux lui viendrait de cette façon, imaginait le déchirement que lui causerait l'ultime scène désormais imminente. Mais à la réflexion, n'avait-elle pas déjà disparu de la face du monde, celle qui avait été sa femme ? La Misako qui se tenait devant lui n'était-elle pas entièrement renouvelée, détachée, sans qu'il s'en fût aperçu, de tous les liens du passé ? Il s'en affligeait, mais ce qu'il éprouvait devait être différent de ce qu'il est convenu d'appeler le regret. Peut-être avait-il à son insu déjà passé la dernière crise, celle qu'il appréhendait tant.
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« Est-ce vraiment fini, cette fois-ci ? Serais-je capable de ne pas y retourner ? » se demandait-il. Peut-être conservait-il une certaine rigueur morale, un fond d'honnêteté, même dans sa vie actuelle qu'on pouvait juger dissolue, car lui qui n'avait à ménager personne restait encore fidèle au rêve de sa jeunesse et aurait souhaité se consacrer à une seule femme. Les hommes qui peuvent négliger leur épouse et trouver des consolations ailleurs se tirent mieux d'affaire dans la vie et si Kaname avait pu prendre exemple sur eux, il aurait eu quelque chance d'éviter la scission avec Misako et de raccommoder son ménage. Il n'éprouvait ni fierté ni gêne de ce trait de caractère qu'il attribuait plutôt à un excès d'égoïsme ou de pruderie qu'à un sens moral élevé. Mais n'était-ce pas une contradiction intolérable que de ne pouvoir trouver à celle qu'il avait choisie pour compagne de son existence, la moitié de l'attrait qu'avait pour lui une femme comme Louise, née d'une autre race et d'un autre pays, et rencontrée par hasard sur le long chemin de sa vie ?
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- Alors il va falloir se mettre sur les nattes ? Quel ennui. Après, j'aurai certainement mal aux genoux.
- C'est inévitable dans les lieux que fréquentent les esthètes de la vieille garde. Ton père n'était pas comme cela autrefois. Il fut un temps où il aimait le cinéma. Mais avec l'âge, ses manies deviennent de plus en plus prononcées. J'ai lu quelque part que les vieux noceurs prennent goût aux antiquités, sur le tard. Manier les objets de la cérémonie du thé, les rouleaux de peinture ou de calligraphie, leur fournirait un exutoire pour la libido.
- Mais mon père n'a encore renoncé à rien. O-hisa l'accompagne toujours.
- C'est une manifestation de son goût pour les antiquités. Elle serait tout à fait à sa place dans un musée de poupées.
- Si nous y allons, nous serons troublés par le spectacle de leurs amours.
- Qu'importe ; envisageons cela comme un devoir filial et préparons-nous à être troublés pendant une heure ou deux.
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