"J'ai découvert
Diane Arbus un dimanche d'automne 2011. Ce jour-là elle est entrée dans ma vie, la percutant de sa lumière crue alors même qu'il me semblait, moi, errer dans ma nuit. J'étais seule, sans enfants, et je m'étais dirigée vers le Musée du Jeu de Paume parce que je n'avais rien à faire et qu'une vague envie m'avait prise de marcher dans les jardins des Tuileries. Depuis des mois, je me sentais enserrée dans un effroi et une souffrance intenses que je ne parvenais à dire à personne. J'essayais de me retenir à tout ce qui tenait, mais rien ne tenait, plus rien ne tenait. Tout s'effritait sous mes doigts."
Ce dimanche d'automne, alors qu'elle est en proie à une crise existentielle qui la terrasse,
Laurence Tardieu fait au
Jeu de Paume une rencontre qui va bouleverser sa vie. Une rencontre improbable, tout à la fois intensément réelle et absolument distanciée puisqu'il s'agit de
Diane Arbus, photographe disparue en 1971... "À quoi ma rencontre avec
Diane Arbus a-t-elle tenu ? À rien, à la lumière et à la solitude de ce jour d'automne, au souvenir du Musée du Jeu de Paume avec mes parents. À rien. J'en ai rétrospectivement le vertige. Car il y a des rencontres qui sauvent. Elles vous saisissent au corps, elles vous soulèvent du sol auquel vous êtes englués, elles vous font passer de la nuit à la lumière."
Cette rencontre s'accompagne d'un véritable choc. Alors que la photographie était d'ordinaire un art qui ne suscitait aucune émotion durable chez la romancière, les clichés de
Diane Arbus vont être une révélation, dans tous les sens du terme. Chaque photo déclenche une sensation intense, douloureuse, physique qui atteint
Laurence Tardieu au ventre. La dernière salle de l'exposition est consacrée à la vie de
Diane Arbus. Laurence sent "quelque chose au dedans [d'elle qui s'effondre] lentement."
"Il vient de se passer quelque chose. Quoi, je ne le sais pas encore."
Cette première rencontre bouleversante et intime résonne profondément dans l'esprit, le coeur de la romancière. Elle veut alors tout savoir d'elle et plus elle en apprend sur la photographe, plus elle découvre des correspondances entre leurs vies. Les mots et les images de Diane font resurgir, éclater l'enfance de Laurence, tous les souvenirs enfouis soudain remontent à la surface.
"Le jour, la nuit,
Diane Arbus m'a envahie un peu plus. Elle est devenue une soeur, une compagne, un double – je ne sais comment définir le lien insensé qui a commencé à m'unir à elle. Elle est devenue une obsession. Elle ne m'a plus quittée. À moins que ce ne soit moi qui ne l'aie plus quittée. […]Plus je découvrais qui elle avait été, plus des pans entiers de ma vie revenaient à moi, comme les images d'un film oublié qu'elle me faisait revoir. Qu'elle me faisait revivre."
Toute son enfance lui revient : les sons, les voix, le carrelage froid de la cuisine, le si long couloir, les chambres dans lesquelles elle n'ose pas entrer, le silence pesant de l'appartement de la rue d'Eylau. Les souvenirs du temps passé s'écrivent alors au présent tant ils sont vivaces, tant cette exploration du passé, incessante et obstinée se révèle étouffante. L'émotion est débordante, comme en témoignent ces longues phrases sans ponctuation, à bout de souffle. Laurence se reconnaît en Diane comme dans un jeu de miroirs. Jumelles de destinées et de sentiments enfouis, elles ont été toutes deux de petites filles modèles, poupées sages, lisses, sans autre désir que celui de vouloir bien faire. Personne n'a prêté attention à leurs peurs, à leurs cris muets ou même sonores, personne n'a entendu leur appel à vivre dans un autre monde que celui, compassé et froid, qui leur était imposé. Elles ont toutes deux ressenti la solitude et cette impression de ne jamais être vraiment à sa place, de flotter dans un entre-deux incertain. Elles ont toutes deux trouvé leur raison de vivre dans leur fulgurant, impérieux désir de création, l'une dans l'écriture, l'autre dans la photographie. Leurs quêtes s'entrelacent et se confondent...
"Je trouvais tant de résonances entre nos vies. Pas seulement dans nos vies d'artiste, mais aussi nos vies de femme, nos vies de mère. Reconstituer la cohérence de la vie de Diane m'apparaissait si aisé, moi qui avais le sentiment de ne plus parvenir à reconstituer la mienne. Grâce à Diane, soudain, les choses m'apparaissaient limpides : elle me donnait aussi des yeux pour voir ma vie, elle me l'offrait en miroir."
Dans ce livre pudique empreint de mélancolie,
Laurence Tardieu nous offre un portrait d'elle-même, dans le miroir de
Diane Arbus, une introspection sincère, lucide, sans concession et sans pathos, où les souvenirs difficiles, les souffrances et le désespoir n'empêchent en rien les nuances, l'expression subtile des sentiments. Jamais la romancière ne reste à la surface des choses, elle plonge au plus profond de soi pour mettre à jour ce qui se cache. le récit est d'autant plus vibrant, personnel qu'il est sous-tendu par cette petite musique singulière qui révèlent des choses fortes et essentielles avec des mots délicats et réservés. L'écriture, parfois répétitive mais toujours à vif, reflète parfaitement le processus de création dans son déroulement, avec ses doutes, ses retours et ses détours.
Son précédent livre,
La Confusion des peines, avait déclenché une véritable guerre familiale, épreuve dont la romancière peinait à se relever jusqu'à ce que
Diane Arbus lui donne la force de recommencer à écrire, et à vivre. de reprendre la route. Et l'on est heureux, en refermant le livre, d'avoir parcouru ce chemin avec elle.
"Tu es entrée dans ma vie et j'ai retrouvé ce qui au coeur de moi s'était dissous. Lentement, je me suis recomposée. Je me suis redressée. […] Je sais que rien ni personne n'est éternel, que les nuits peuvent vous engloutir entièrement, je sais aussi que je suis vivante."
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