Jeu du karma et de la réincarnation

La présente version, comprenant 104 cases, a été peinte par Péma Dordjé, un jeune laïc d’une famille Nyingmapa vivant en Inde. Le jeu est fourni avec une introduction exposant son arrière-plan culturel, ses prémisses philosophiques, son organisation générale, les instructions sur la manière de jouer, ainsi que des commentaires particuliers à chaque case correspondant à différents stades de réincarnation et différentes étapes sur le chemin en direction de la félicité.
Chaque joueur commence dans la case correspondant à la classe des êtres humains et se déplace ensuite en suivant son lancer de dé. En fonction de son karma, il monte ou il descend sur le plateau de jeu dans des domaines d’existence supérieurs ou inférieurs, qui définissent ainsi les destinées potentielles de ses existences futures. Les principales classes d’êtres vivant dans le monde, ainsi que les diverses régions et philosophies de l’humanité se trouvent représentées dans les rangs inférieurs du jeu. On peut ainsi renaître parmi les dieux ou les démons, les esprits ou les animaux, ou encore dans l’un des enfers. Le but du jeu est de s’engager dans l’un des chemins menant à l’Eveil et de le poursuivre avec succès jusqu’à son sommet. Sur le chemin se trouvent des pays magiques, des états élevés de méditation, ainsi que des accomplissements tantriques. Le vainqueur est celui qui atteint en premier l’Etat de Bouddha et pénètre dans le Nirvana.

Par la suite, les Tibétains ont considéré ce jeu comme un divertissement éducatif, inculquant aux enfants la représentation bouddhique de l’univers et les mécanismes de la loi du karma. Il était également regardé comme un amusement, pratiqué par les jeunes et les vieux, les laïcs et les moines, avec une grande hilarité et des plaisanteries sur les tendances karmiques des participants, révélées par le lancer du dé. Les Tibétains affectionnaient beaucoup les jeux de dés, et il y avait souvent des paris sur leurs résultats. Dans les monastères, le jeu était apprécié par les aînés durant les vacances et par les plus jeunes pendant les longs après-midi qui suivaient les rituels et les études. Thoubtèn Norbou, le frère aîné de l’actuel Dalaï-Lama, relate ici comment il y jouait à l’école pendant sa jeunesse :
Le vainqueur du jeu était récompensé par des sucreries. Parfois une partie pouvait durer des heures, et devenir très animée et bruyante. Des lancers de dé particulièrement heureux ou malheureux étaient salués par des chœurs d’applaudissements ou de gémissements, selon les circonstances.

Le “Jeu du Karma et de la Réincarnation” a été inventé durant la première partie du XIIIe siècle par Sakya Pandita Kunga Gyaltsèn, “Celui dont la Bannière est la Félicité Complète”, le grand érudit de l’école des Sakya. A l’origine il créa ce jeu pour distraire sa mère souffrante, car il est considéré au Tibet comme malsain de dormir pendant la journée, même pour les personnes malades.

Le “Jeu du Karma et de la Réincarnation” est fondé sur la conception bouddhique de l’univers. Le rouleau peint ou “plateau de jeu” décrit une géographie cosmique, présentant les différentes possibilités de réincarnation. Pendant la progression de la partie, les tendances des joueurs en direction de certaines destinations sont révélées, et des lignes directrices montrent leurs possibilités de transcendance de l’existence ordinaire et d’obtention d’états libres de la souffrance.

Les laïcs appréciaient tout particulièrement de jouer pendant les pique-niques d’été et les campements au bord des rivières. Le jeu est actuellement encore utilisé dans les régions de culture tibétaine du Sikkim et du Bhoutan, ainsi que par les réfugiés tibétains dans différentes parties du monde. Les Tibétains qui n’ont pas revu ce jeu depuis leur exil, réagissent à sa vue ou sa mention avec rires et sourires, comme s’ils se trouvaient devant un souvenir de jours meilleurs.