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Dominique Nédellec (Traducteur)
EAN : 9782878583243
365 pages
Viviane Hamy (23/09/2010)
3.45/5   32 notes
Résumé :
« Ce qui le fascinait chez les gens étranges, c’était l’absolue liberté avec laquelle ils faisaient leurs choix individuels. Chez le fou ou le mendiant qui erraient dans les rues en demandant du pain, Buchmann voyait des hommes pouvant choisir, avec une liberté pure et sans conséquences, leur morale individuelle. Une morale à nulle autre pareille, sans équivalent aucun.

Un fou n’était pas immoral, un mendiant non plus. C’étaient des individus sans éga... >Voir plus
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« Le Royaume », suite.

Ayant commencé à lire ce cycle par cet épisode, je le situerai à présent comme pivot central, de par sa structure forte et linéaire, dominante, héraut du triomphe de ce darwinisme social que l'auteur interroge.

L'histoire se centre sur un homme, Lenz Buchmann, chirurgien d'élite, tout entier concentré sur sa puissance, cultivant sa supériorité supposée sur ses semblable ; son manque d'empathie, sans aucun remords, le plaçant dans la catégorie psychiatrique des sociopathes ; son engagement en politique, ses relations glaçantes avec son frère aîné, jusqu'à l'inévitable déchainement de violence froide qui surviendra, sans conséquences, le tout formant un paradigme de la « volonté de puissance » chère à Nietzsche.

De très courts chapitres, chacun introduit par une phrase nominale, sectionnés par une numérotation quasi-nutile, ne dépassant que rarement le « 1 », l'auteur adoptant cette forme scientifico-administrative, entre grand sérieux et profonde absurdité, où l'on n'échappera pas à l'ombre de Kafka.

L'histoire basculera dès que notre héros tombera malade, dans une deuxième partie, jusqu'à sa mort annoncée comme épilogue logique, renversant ainsi les rôles dans un crissement de limaille de fer, « l'handicapé » (les personnages du sourd-muet et de sa soeur) dominant à présent l'ex-mâle alpha, sans que l'histoire ne se vautre dans une évidente vengeance, ni dans une morale miséricordieuse, mais plutôt dans un très fin intervalle humain, secoué comme il se doit par le viol de cette bibliothèque, symbole trouble mais évident de l'abattage du Père, et de sa cohorte d'interprétations psycho-philosophiques, les pères spirituels de l'Europe du Milieu sautillant sur nos épaules de lecteurs effarés.

Roman pilier de ce cycle, où le Mal interroge crûment la notion de Bien, comme une émulsion empoisonnée, mais nécessaire, nommée efficacité sociétale, il m'évoque sans le vouloir cette énième ré-édition de « L'Entraide » de Pierre Kropotkine, que les éditions Nada ont trop habilement marketé, d'une couverture au design irrésistible pour le consommateur progressiste-bienveillant (voir lien ci-dessous), ré-affirmant l'éternel et séduisant rêve anarchiste d'une société fonctionnant sans rapports de force, nous vendant encore et toujours du papier avec des souhaits imperméables aux leçons de l'Histoire et de la Science, affirmant une réalité parallèle sourde aux tristes enseignements du dialogue mélien (gagnez un petit tour chez les athéniens…) ; pensée pleine de couleurs primaires et de contrastes marqués, que ce cycle romanesque ici présent se propose d'écharper, y formant de petites boules grises pleines d'aspérités, que l'on aura beaucoup de peine à inclure dans ce régime théorique, séduisant et si digeste, vendu par ce terme flou de post-modernité.

Oeuvre passionnante à la morale auto-destructive, ce cycle s'achèvera sur le double roman : « Un homme : Klaus Klump // La machine de Joseph Walser », qui a malheureusement attiré moins de lecteurs, alors qu'il représente pour moi son aboutissement.

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La recherche de la force, de la puissance, voilà le but de Lenz Buchmann dans la vie. Il répond en cela parfaitement aux attentes de son père, ancien militaire aux méthodes d'éducation particulières : le fait d'avoir peur menait à une punition, l'enfermement dans une cave ; on ne prend jamais un enfant sur les épaules dans la foule, s'il veut voir quelque chose, à lui de faire sa place ; plus tard, il supervisera la première relation sexuelle de son fils, avec la femme qu'il lui aura indiquée.

Cet état d'esprit recherche a mené Lenz à devenir chirurgien. Pas par compassion pour les hommes, loin de là : les adieux déchirants, les patients qui refusent le combat et abdiquent devant la maladie, le révolte au plus haut point. Seuls comptent sa maîtrise parfaite de ses gestes, sa capacité à remettre de l'ordre dans un corps désorganisé. Il développe également une passion secrète pour les mendiants, les fous et autres marginaux de la ville. Ces individus possèdent en effet une liberté totale, une capacité à vivre selon leurs propres lois, qui semblent admirables au docteur Lenz. Ils ne sont toutefois qu'à la moitié du chemin, puisqu'incapables d'imposer ces règles à l'ensemble de la population.

Buchmann se tourne alors naturellement vers la politique : réparer un corps social malade n'est pas bien différent que de guérir un corps humain malade. Et les citoyens manifestent un respect spontané devant l'Autorité, alors que les convalescents se sentent obligés de lui prêter des sentiments de bonté et de compassion, ce qui l'irrite considérablement.

Cette quête du pouvoir de se suit avec une certaine fascination. Lenz est totalement déshumanisé, et incapable d'éprouver la moindre compassion. Quand il apprend que son propre frère est atteint du cancer, il a la même réaction que pour ses patients : du mépris devant cette faiblesse affichée, qui le poussera même à tenter d'effacer des mémoires cet individu indigne du sang qu'il a reçu. Les rares moments d'émotion et de fragilité que Lenz éprouve sont dû à la mémoire de son père, figure qui l'a durablement marqué (et on peut comprendre pourquoi !). Toute son énergie est concentrée sur son objectif, les autres personnes qui l'entourent ne sont que des êtres à modeler, à rediriger dans la bonne direction, c'est-à-dire la sienne.

Le roman peut certainement se lire à plusieurs niveaux. Premièrement, comme illustration de la montée des totalitarismes qui nient les désirs individuels et imposent la vision du chef. D'autre part, la « volonté de puissance », forger et n'obéit qu'à sa propre morale sont des termes qui ressemblent furieusement à certains discours de Nietzsche.

Je ne prétendrai pas avoir saisi tous les messages de ce roman, mais l'expérience a été malgré tout particulièrement intéressante.
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Malgré son titre il ne faut pas s'attendre en lisant ce roman, parfois difficile, à un éloge de la spiritualité.
Tout au contraire. Si les question techniques (chirurgicales, politiques, manipulation des opinions) occupent les pensées de son personnage principal, Lenz Buchmann, on ne peut pas en dire autant des considérations morales ou simplement humaines. le sous-titre « Position dans le monde de Lenz Buchmann » aurait finalement été suffisant pour ce récit étrangement sec et pince sans rire, sous influence kafkaïenne.
Je voulais éviter cette comparaison avec Kafka car j'estime qu'on associe son nom avec toutes sortes d'ouvrages, pas toujours à bon escient. Mais ici je ne peux pas éviter le rapprochement, tant l'univers de Gonçalo M. Tavares me paraît frère de celui de Kafka. Et c'était déjà le cas avec " Jérusalem ".
Ce Docteur Lenz Buchmann est un être impitoyable, manipulateur, marqué à jamais par un père tout aussi froid et dangereux. Excellent chirurgien au début du roman il se tournera finalement vers la politique car sa soif de pouvoir sur les êtres est telle qu'elle ne satisfait plus d'avoir affaire à un seul patient à la fois.
Je reviendrai sûrement à cet auteur tant il me paraît singulier et créateur d'une oeuvre forte.
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Lenz Buchmann est un maître en technique opératoire, c'est-à-dire un médecin de profession, un chirurgien froid, qui exerce son métier comme un combattant, un ennemi du désordre et de la maladie. S'il n'est pas franchement misanthrope (puisqu'il se considère comme un soldat au service de l'humanité technicienne et raisonnable contre la nature chaotique), il n'est franchement pas un humaniste compassionnel, disons qu'il ne supporte pas tout ce qui est faiblesse dans l'homme. Il a hérité ce caractère de son père, un ancien militaire avec qui il entretenait une relation forte. La brutale scène d'ouverture plonge tout de suite le lecteur dans l'ambiance et on comprend qu'on ne va pas vraiment évoluer dans un monde de paix et d'amour mais de lutte. Lenz Buchmann va au cours du roman décider d'exercer ses talents de stratège dans le domaine politique.
Ce roman est plus conventionnel par rapport aux autres écrits de Tavares que j'ai pu découvrir. Il est quand même rudement curieux et donne beaucoup à réfléchir. Est-ce à cause des patronymes allemands (on sait très peu de choses sur la situation géopolitique, on devine une ville allemande à peu près contemporaine, après une guerre, et un régime politique totalitaire avec un parti unique) ou est-ce à cause du titre et de la personnalité singulière de Lenz Buchmann, mais on pense inévitablement à des philosophes allemands, Nietzsche et Heidegger en particulier. Lenz est un personnage nietzschéen, mais plutôt issu de la sous-interprétation de Nietzsche, il ne cherche pas tant à affirmer sa volonté de puissance vers le surhomme qu'à imposer son pouvoir aux autres hommes ; il reste un homme politique, humain, encore trop humain. Et il est également une aberration heideggérienne, l'homme technicien dépoétisé engagé dans une lutte aveugle contre la nature. Un homme instruit mais dont le parcours a été dévoyé par un père autoritaire ; pour le dire dans une rhétorique nietzschéenne, Lenz Buchmann est tout à la fois Chameau, Enfant et Lion.
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Un livre qui fourmille d intelligence. de courts chapitres (une marque de fabrique chez l auteur), un style épuré où chaque mot a sa place pour mieux rendre la froideur mathématique de lenz, le personnage central de ce texte. superbement construit, Tavares nous raconte la vie de cet homme totalement dénué de sentiments, d empathie, de remords ou scrupules. Naissance avortée d un dictateur potentiel, arriviste, calculateur émérite, la logique de lenz est implacable. le poids de l héritage familial (le père, le frère, Gustav) devient un carcan, une règle de vie. Misogyne, ne comptant que sur lui, il aura pourtant besoin d aide pour réaliser sa "sortie". Quand le passé familial revient frapper une dernière fois à la porte..
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
Mais un nom propre, un nom de famille, qui se transmet à la génération suivante, n’était pas seulement un hommage à ce qui n’existe plus ou à ce qui, en principe, cessera d’exister le premier, c’était également la manifestation publique du fait que le travail était inachevé : à chaque génération, le nom de famille cherchait la meilleure position sur le champ de bataille. Position qui serait transmise en héritage – mais qui n’était jamais définitive. Le combat, quel qu’il fût, retardait toujours la dernière décision, et la fin technique de cette énergie historique serait simplement signalée par l’extinction d’un nom de famille.
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De nombreux soldats avaient été atteints [par la bombe]. On avait tenté d'assassiner un officier de haut rang, mais après l'explosion c'était toujours lui qui donnait les ordres.
Cet officier préservait en lui un reste de la légalité antérieure, de la loi d'avant la catastrophe, ce qui permettait aux autres de se sentir un minimum en sécurité. La sensation qu'il n'y avait plus de danger n'était possible que pour cette raison : malgré tout le sang versé, on n'avait pas réussi à faire taire l'autorité. Un bateau en train de sombrer tandis que retentissent les ordres résolus et incontestables du commandant est un bateau qui, malgré tout, sombre d'une manière organisée et humaine ; comme un bateau qui, avant de se suicider, s'assure de laisser la maison propre et rangée, revêt son plus beau costume et graisse minutieusement son arme pour que tout se déroule sans accroc.
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On pourra formuler à votre encontre n'importe quelle accusation ; vous pourrez vous rendre coupables de la pire des immoralités, être recherché par la police ou par le diable en personne : je défendrai mes fils avec les armes dont je disposerai. Je ne me sentirai honteux que si un jour quelqu'un me rapporte que vous avez eu peur. Si cela devait se produire, inutile de chercher refuge ici : vous trouverez porte close.
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— Tu vas la faire devant moi, répétait [son père].
Lens reste durablement marqué par ces mots. Tu vas la faire.
L'acte de fornication avec la petite bonne était réduit à sa plus simple expression : à un faire. Tu vas la faire, c'est la tournure qu'avait employée son père, comme si la petite bonne n'était pas encore faite, comme si elle était encore une matière informe, nécessitant l'intervention de Lenz pour être achevée. Cette femme ne sera pas terminée avant que tu ne l'aies toi-même façonnée, pensa clairement l'adolescent Lenz, et les gestes qu'il accomplit ensuite furent ceux d'un travailleur obéissant aux indications d'un contremaître plus expérimenté, en l'occurrence son père : tu vas la faire.
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Ce qui le fascinait chez les gens étranges, qu'ils se soient volontairement dévoyés ou qu'ils aient été rejetés par leur entourage, c'était l'absolue liberté avec laquelle ils faisaient leurs choix individuels. Chez le fou ou le mendiant qui erraient dans les rues en demandant du pain et de la soupe et qui, le soir venu, comme les autres humains, n'aspiraient qu'au sommeil, Buchmann voyait des hommes pouvant choisir, avec une liberté pure et sans conséquence, leur morale individuelle. Une morale à nulle autre pareille, sans équivalent aucun.
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Vidéo de Gonçalo M. Tavares
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