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Bernard Banoun (Traducteur)
EAN : 9782864325840
124 pages
Verdier (27/08/2009)
3.12/5   17 notes
Résumé :
Romancière japonaise écrivant alternativement en allemand et en japonais, sans jamais se traduire elle-même d'une langue à l'autre, Yoko Tawada ne cesse de traquer le mystère de la différence des langues et des civilisations, dans un va-et-vient constant entre Orient et Occident. Dans ce nouveau roman, elle s'invente un double, Yuna, Japonaise venue comme elle étudier en Allemagne et résidant à Hambourg. Yuna souhaite changer d'horizon: son amie Renée lui propose de... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Écriture subtile. Il faut accepter de suivre Yuna, même si on ne sait pas toujours où elle nous emmène. Réflexions sur les langues et le langage extrêmement pertinentes.
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Yuna est japonaise, mais vit à Hambourg. A l'invitation de son amie Renée, elle passe quelques temps dans la jumelle française de la ville hanséatique, à Bordeaux. Mais comment décrit-on le monde quand on pense avec des idéogrammes qu'il faut mettre en grammaire ?

Le monde de Yuna est plein de couleurs vives, comme des tâches dans un tableau de Seurat. Ca bouge, ça remue, c'est vif, c'est drôle et, en plus, c'est très poétique.
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Citations et extraits (23) Voir plus Ajouter une citation
À Hambourg, ou jamais elle ne prenait le train urbain sans avoir un auteur français avec elle, jamais Yuna ne serait posé la question de savoir pourquoi elle ne voulait pas apprendre le français. Cette vieille interrogation dont Yuna ne s'était jamais souciée se présenta à elle en gare de Bruxelles. Bruxelles, ce n'était pas le but de son trajet, ce n'était qu'un point d'interrogation sur le trajet. Elle avait une correspondance à y prendre et cette question à se poser : pourquoi n'ai-je pas voulu apprendre cette langue et pourquoi ne me suis-je jamais demandé à quoi cela tenait? Yuna regarda sa montre-bracelet comme si les chiffres du cadran pouvaient lui livrer réponse. Il restait encore du temps avant que n'arrive le train par lequel elle poursuivait son voyage jusqu'à Bordeaux. Elle alla dans un café à tables hautes de la gare et commanda un express. Elle s'y trouva environnée de voix parlant un français dont la mélodie lui sembla plus violemment que étrangère jamais. Fais attention! Quelque chose d'inconnu, peut-être même de dangereux, t'y attend. Cette mise en garde la secoua, son coeur battit plus nettement qu'auparavant, son sang circula plus vite, elle se mit à avoir chaud. Elle respira plus profondément, plus vite, se mit sans arrêt à changer de posture. Sa nervosité ressemblait à une sensation de bonheur. Peu Après, un couple d'un certain âge se plaça près de Yuna, il parlait en néerlandais. Elle dit apaisée par la sonorité de cette langue qui lui donnait la sensation de ne pas être encore bien loin de chez elle. Bruxelles, est-ce loin ou près? Qui donc sait répondre à cette question embrouillée? Tour coeur est pris dans au moins un -sinon plusieurs- conflit de langues. Chaque tête contient une carte déformée de l'Europe. Sur la carte de Yuna, Bruxelles était partout sauf là où elle aurait dû se trouver. Il n'y avait qu'un trou. Un nom depuis longtemps oublié lui revînt à l'esprit : Viviane. Au même instant, Yuna déchire si maladroitement le bâtonnet de sucre que de la poudre blanche se répandit sur le sol noir en ardoise. Elle essaya de balayer discrètement avec ses chaussures mais n'osa pas aller ensuite reprendre un sachet de sucre à la caisse. Le goût amer de l'express fit revenir Viviane, elle se tenait devant Yuna.
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Il aurait peut-être mieux valu que Yuna réagît immédiatement. Peut-être la question et la réponse auraient-elles alors produit coup sur coup des sons clairs et secs comme deux épées de bambou.
Cela aurait sûrement plu à Renée qui, un jour, lui avait déclaré qu'elle n'avait pas toujours envie de former un accord consonnant avec autrui et que cela lui faisait même plaisir de dire qu'elle n'était pas d'accord. Un désaccord peut être musical si le rythme, lui, est juste. Sur une scène de théâtre aussi, il est mieux qu'un artiste réagisse aussitôt à l'autre. Si chaque personnage devait commencer par se retirer dans les coulisses pour mieux formuler ses pensées au lieu de réagir sur-le-champ, l'art scénique n'existerait plus.
Répondre, kotaeru : pour écrire ce mot, Yuna utilisait d'habitude un idéogramme comportant la couronne de bambou. Un dialogue entre elle et Renée devait être un sport de combat où l'on affronte à l'épée en bambou. L'une amorce une attaque stylée afin que son adversaire puisse adopter une pose défensive élégante. Et même si elle n'a pas à se défendre réellement, c'est dans le rôle défensif qu'elle peut trouver une forme qui lui permette de déclencher sa force cachée.

Il existe un autre idéogramme signifiant répondre. C'est un coeur assis derrière un rideau, comme une dame de la cour qu'on ne distingue pas, on devine seulement sa présence. On ne voit pas sa bouche, on n'entend pas sa voix, mais la petite secousse du rideau laisse supposer que la dame de la cour parle. Le problème, c'est qu'au moindre coup de vent, on pourrait confondre et croire que la dame parle.
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De retour chez elle, Yuna avait noué son ruban dans ses cheveux et commencé à écrire une longue lettre à Renée. Le crayon à dure mine de plomb grignotait le temps, le dévorant peu à peu entièrement, et, dans le dos de Yuna, l'aiguille du réveil tournait à toute vitesse. Avant même le lever du jour, des oiseaux impatients se mirent à gazouiller. Ces petits êtres ailés semblaient avoir pris dans leur bec les mots biffés par Yuna et les traduire en leur langage à eux tandis que Yuna, son bras droit posé sur la table comme une lourde prothèse, les épaules affaissées, barrait et barrait encore d'autres mots. La muqueuse luisante de l'enveloppe préencollée attendait déjà la version définitive de la lettre. Yuna biffait de plus en plus de mots et bientôt elle n'eut plus la force de leur en substituer d'autres. Biffer avec frénésie remplaçait l'acte d'écrire. La voiture orange des éboueurs s'approchait de la maison avec un bruit de moteur menaçant. Les détritus de pensée de Yuna n'étaient pas encore emballés dans un sac plastique gris ni déposés dans la rue. Cette sorte de déchets avait une combustion difficile.
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Près de Yuna de trouvait un garçon, lui aussi les yeux rivés sur la traduction française de Blackjack. Il était juste à l'âge où l'on se retire pour la première fois dans sa chambre avec un livre et où l'on oublie plusieurs heures durant l'existence de ses parents. Yuna regardait avec ravissement le reflet du jeune indigène sur la vitre et en oublia la chaleur. Prenant alors son courage à deux mains, elle vit à une phrase en français de manuel de langue : "C'est un livre intéressant". Son coeur battait comme cemu d'une jeune amoureuse inexpérimentée. Le garçon dirigea vers Yuna ses yeux aux éclairs gris-vert, il ne semblait pas particulièrement surpris. Pourquoi l'aurait-il été. Presque tout le monde dans cette ville est capable de prononcer une phrase si peu élaborée. Au bout d'un long silence, il finit par répondre : "Boku mo suki da yo. Moo zenbu yonda." Je l'aime bien moi aussi, j'ai déjà tout lu. Après quoi il quitta l'endroit où il se trouvait face à la vitrine.
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Un mot qui, normalement, attend Yuna dans sa cellule est appelé à un moment inopiné mais il ne s'y trouve plus. Le mot quitte très rarement sa place, mais juste au moment où Yuna a d'urgence besoin de lui, il n'est pas là. Elle le soupconne alors de vivre sa vie en catimini sans jamais rester dans sa cellule. Elle ne veut pas trop le savoir et préfère se mettre en quête d'un autre d'un autre mot. Mais celui-ci non plus n'est pas dans sa cellule. Si Yuna avait rigoureusement trié et enfermé les mots par catégories, elle aurait pu immédiatement les retrouver. Les noms de fleurs avec les noms de fleurs, les gros mots avec les gros mots, les adjectifs avec les adjectifs. Mais dans la tête de Yuna, un oiseau un poisson avaient quatre pattes comme cheval. La mer, c'était la mère et l'eau. Quand le rivage traite avec une groseille, quand il lui vend un humain indéterminé et en échange lui achète une mère, cela donne une mer et une activité d'écriture.
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