Futon, paru en 1907, est un célèbre roman emblématique du courant littéraire en vogue au Japon à la fin de l'ère Meiji. Il m'a rappelé fortement le roman lu récemment d'un autre grand nom japonais de cette époque, L'oie sauvage, de Mori Ogaï. Ces deux écrivains sont fortement influencés par le courant naturaliste français, en particulier par Maupassant (Katai a lu ses oeuvres complètes), qu'ils ont adapté au Japon. Futon a fait polémique, car pour la première fois de manière aussi explicite, un écrivain japonais osait une oeuvre autobiographique.
En effet, Katai est déjà un écrivain connu, pour des romans sentimentaux un peu mièvres, mais du coup très apprécié par les jeunes japonaises. Cela lui attire en 1903 Michiyo, qui rêve d'écrire et qu'il accueille sous le toit familial comme élève. Il tombe aussitôt amoureux de cette jeune femme qui n'a pas 20 ans. Lui en a 32, il est marié. Evidemment, c'est inconvenant, et sa femme est jalouse. Dans sa vraie vie, Katai va échapper à cette situation infernale en s'engageant comme photographe en Mandchourie pendant la guerre russo-japonaise qui a commencé. Par ce roman à la première personne, où il narre les tourments et trivialités de la vie quotidienne, Katai va révolutionner l'approche de la littérature au Japon pour des générations d'écrivains. Il se tournera pourtant très vite vers des romans du monde galant, après la rencontre d'une geisha.
Toute l'histoire tourne autour du combat intérieur du narrateur, Toki.o, cet écrivain de 36 ans marié et 3 enfants, qui reçoit souvent des lettres de jeunes admiratrices japonaises, et qui aimeraient écrire elles aussi. Un jour, il accepte d'en prendre une comme élève. Yoshiko est belle, il en tombe amoureux. Alors dans son existence finalement morne, il se met à rêver une vie avec elle, tout en subissant le terrible carcan de sa famille, de sa réputation, et des interdits. Il nous livre sa souffrance intérieure, car tout est en non-dits. Cet homme est sérieux, il réfrène ses ardeurs. Pourtant son combat est tel que sa femme comprend vite ce qu'il se passe en lui. Alors pour éviter la suffocation et l'explosion de sa vie (il commence à s'irriter facilement contre sa femme, à s'alcooliser…), il laisse davantage d'air à Yoshiko qui sous ses airs de travailleuse appliquée va pourtant bientôt rencontrer en ville le jeune Tanaka, dont elle tombe amoureuse. Si sa femme est rassurée, la jalousie a changé de camp. Toki.o est rongé par le soupçon que les rencontres entre les deux jeunes gens ne sont pas chastes comme il sied. S'il sent bien qu'il lui sera de toute façon quasi-impossible de séduire Yoshiko, du moins peut-il s'efforcer d'écarter Tanaka ? Alors il fait tout pour mettre en exergue l'incompatibilité entre une vie d'élève studieuse et une vie d'amoureuse transie : elle devra choisir entre rester son élève ou partir avec son chéri. Il écrit ainsi au père de Yoshiko. Cet homme de pouvoir et de tradition est tout aussi rude sur les libertés que prend sa fille. le sort des deux jeunes tourtereaux se réglera chez Toki.o, entre lui et le père, qui scelleront le sort des jeunes tourtereaux, dont ils comprennent qu'ils ont bien consommé, laissant Toki.o bientôt dans le désarroi du souvenir de sa belle à tout jamais envolée.
Ce court roman est intéressant pour sa qualité d'écriture, car au-delà du récit naturaliste à la première personne, il est constellé de beaux passages romantiques où Toki.o confie ses souffrances mentales. C'est le roman pessimiste d'une occasion ratée, des amours impossibles, et d'une certaine médiocrité, d'une impuissance à agir pour infléchir un destin contraire. Son format ramassé ne laisse pas de place aux longueurs, on savoure chaque phrase avec plaisir. Ce qu'il faut saisir derrière le sujet apparemment d'une banale désillusion amoureuse, c'est le changement profond qui s'opère dans ce Japon de l'ère Meiji (1867-1912), d'une ouverture aux modes occidentales, d'une certaine forme de liberté nouvelle, mode vestimentaire, culture, que recherchent les femmes de la ville, tendances qui seront inexorablement en marche par la suite, alors que les tenants des anciennes traditions font encore beaucoup de résistance dans cette société patriarcale et très codifiée. C'est aussi l'opposition de la ville et de la campagne, le jeune Tanaka, « refusant de s'enterrer à la campagne ».
En conclusion, un bon roman qu'il faut connaître, davantage pour sa place de choix dans l'histoire de la littérature japonaise, que pour des qualités intrinsèques qui sont certes appréciables, mais pas exceptionnelles tant ce type d'histoire n'a plus rien aujourd'hui d'original. C'est un bon complément à l'Oie sauvage de Mori Ogaï, pour moi d'une égale valeur, les deux étant publiés en poche aux éditions Cambourakis, pour comprendre l'évolution de la société japonaise au début du siècle dernier.
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Confession
A cause de sa femme, de ses enfants, de sa réputation, de ses relations de professeur à élève, Takenata Toki.o n'a pas osé se laisser emporter par la violence de sa passion. Et pourtant...
Ecrit en 1907, Futon s'inspire de la vie personnelle de Katai Tayama. En effet, entre 1904 et 1906 Katai a pris sous son aile une élève, ce qui a provoqué un joli scandale...Cependant, il ne s'agit pas d'une autobiographie mais bel et bien d'un roman à la troisième personne, d'une fabrication très littéraire avec un narrateur distancié. D'abord, dès le premier chapitre tout est révélé. C'est une histoire tragique. Son intérêt réside dans la confession du personnage, un écrivain très narcissique. Trois ans auparavant, alors que sa femme vient d'accoucher pour la troisième fois, son existence l'écoeure ainsi que toutes les traditions japonaises. Tokio s'ennuie, déprime et même la lecture des romans étrangers dans lesquels il se plonge le laisse insatisfait. Il bovaryse sévèrement ! Il éprouve le désir de revivre, si l'occasion se présente, un nouvel amour...Et justement il arrive en la personne d'une jeune Chrétienne qui adore les romans d'amour et aspire à devenir une femme moderne. Chouette ! Il l'initie à la littérature occidentale . Ce qu'il n'a pas prévu c'est qu'elle va vite mettre les leçons en pratique avec le premier nigaud venu. Et notre Tokio jaloux comme un pou va souffrir et finalement se révéler plutôt traditionnel et patriarcal dans ses réactions et ses choix...
Bref j'ai bien aimé lire ce court roman de 127 pages. Il est limpide et sincère dans la description des sentiments et il parle aussi beaucoup de littérature.
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Un roman qui a fait beaucoup de bruits lors de sa publication au Japon.
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Le narrateur/auteur raconte son amour, son désir qui vire à l'obsession pour sa jeune étudiante. Sa rencontre avec elle chamboule son quotidien et sa vie de famille. Il lutte contre ses sentiments, ne lui avoue rien, l'observe, veille sur elle, l'épie. Mais voilà que cette jeune fille tombe amoureuse d'un étudiant. Il devient alors le gardien de leur amour, leur protecteur contre son gré.
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C'est un récit qui nous plonge dans la tête et le coeur de cet écrivain bouleversé par ses sentiments. Il en devient pathétique, néglige sa famille. Il ne parvient pas à l'oublier, ses pensées le hantent, l'obsèdent. Ce roman a eu beaucoup d'impact au Japon de par l'érotisme et l'excitation qu'il suscita, c'était aussi la première fois qu'un auteur exposait autant ses désirs, sa solitude, son obsession dans l'une de ses oeuvres.
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L'écriture est d'une froideur... ou, est-ce la traduction ? Il y a un peu des deux, je pense.
Et au final, rien ne passe avec ces personnages, qui ne m'inspirent aucune compassion.
J'ai du mal à trouver même une phrase bellement écrite!
Et tout cela est au fond d'une banalité !
("Dans les bois, derrière la maison, les feuilles de gingkos (sic) avaient jauni et teignaient le ciel du soir de superbes couleurs.")
Ce que le personnage principal sait au fond très bien lui-même.
("Toki.o, qui ne pouvait échapper à sa souffrance, se cacha soudain dans l'ombre du chèvrefeuille et s'allongea par terre au pied de l'arbre. La surexcitation, l'impression d'être libre de toute entrave et le plaisir qu'il goûtait dans sa tristesse même, avaient atteint une intensité extrême et si, d'une part, la jalousie le harcelait cruellement, de l'autre, il considérait sa situation avec une froide objectivité.")
Ces personnages, tout grandiloquent d'épanchement qu'ils soient, ne donnent guère envie d'être connus, ou approchés.
La fin, dont on aurait pu espérer attendre quelque chose, me fait dire : que n'ai-je eu l'idée d'abandonner cette lecture ! d'où vient que j'aie ce livre !
Les quelques pages qui suivent (Un soldat et Une botte d'oignons) ne sont pas plus reluisantes.
Vite, vite ! Autre chose...
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