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Critique de JustAWord


Écrivain hyperactif (et c'est peu de le dire), Adrian Tchaïkovsky a déjà à son actif plus d'une vingtaine d'ouvrages.
En France, c'est avec son roman Dans la Toile du Temps, couronné en 2006 par le prix Arthur C. Clarke, que commence l'histoire éditoriale de l'anglais.
Acclamé en France comme en Angleterre, Dans la Toile du Temps est un petit pavé de près de 600 pages sorti chez Denoël Lunes D'encre en 2018 et réédité en format poche chez Folio-SF en 2019.
Roman de pure science-fiction, le livre d'Adrian Tchaïkovsky nous emmène sur une autre planète alors que l'Empire terrien est sur le point de s'embraser…

Une dernière lueur d'espoir
En Orbite, une station orbitale s'apprête à lancer la dernière phase d'une terraformation expérimentale imaginée par le Dr Avrana Kern.
Son but est simple : peupler une planète préalablement aménagée avec des milliers de primates avant de saupoudrer le tout d'un nano-virus capable d'accélérer l'évolution des singes pour leur donner les clés d'une civilisation avancée en quelques générations afin de communiquer rapidement avec le reste de l'humanité.
Seulement voilà, une partie de la population terrestre s'insurge contre ces manipulations génétiques et l'expérience tourne mal. Après l'explosion de la station et l'anéantissement de la cargaison de primates, Kern se met en stase dans un satellite-sentinelle censé l'avertir de l'apparition d'une vie intelligente sur ce que la scientifique a déjà nommé la « planète de Kern ».
Seule dans l'espace alors que les humains s'autodétruisent dans le reste de l'univers, Kern sombre lentement dans la folie tandis que la vie trouve son chemin parmi les forêts du planétoïde.
Des milliers d'années plus tard, une immense Arche, le Gilgamesh, pénètre dans le système avec à son bord les derniers représentants de l'espèce humaine en quête d'une planète habitable. Holsten, linguiste émérite, et Guyen, commandant de l'expédition, vont découvrir que la planète verte qu'ils abordent n'est pas dénuée de vie, bien au contraire.
Entre les arbres et les océans, d'autres espèces ont pu bénéficier des effets du nano-virus…
Le roman d'Adrian Tchaïkovsky se divise en plusieurs parties souvent séparées par des centaines d'années. À l'intérieur de ces parties, l'action se subdivise en deux arcs narratifs : celui des humains du Gilgamesh et celle d'une espèce d'araignée modifiée par le nano-virus.
En effet, suite à l'attentat et la disparition des primates, l'évolution accélérée ne s'est pas produite sur l'espèce attendue. Ce sont les insectes qui en bénéficient et, notamment, les araignées-chasseuses répondant au doux nom de Portia.
Dès le départ, l'humanité s'écroule et l'on découvre très rapidement que la vie humaine ne tient plus qu'à un fil : celui de l'Arche et de ses occupants.
Adrian Tchaïkovsky va donc suivre l'évolution de deux espèces en simultanée et en les confrontant à des menaces qui se font écho l'une l'autre.
Ce qui donne un récit déséquilibré.
Une épopée humaine classique…
D'un côté, on trouve donc le Gilgamesh et le principal personnage de cette partie : Holsten Mason, vieux linguiste et historien par la force des choses.
Adrian Tchaïkovsky imagine les derniers instants de l'espèce humaine qui régresse dans un habitat confiné et finit par perdre les pédales en revenant sur ses vieux démons.
La confrontation entre le Gilgamesh et Kern a quelque chose de glaçant puisque cette dernière offre une horreur baroque et cybernétique complément timbrée qui fait froid dans le dos. L'avatar de Kern répondra pourtant au destin de Guyen, commandant de vaisseau auto-proclamé sur la voie de l'immortalité et qui finit par tomber dans les mêmes travers que la scientifique démente.
L'une des thématiques les plus intéressantes du roman reste d'ailleurs ce rapport à l'immortalité et au temps qui transforme les êtres humains en fous assoiffés de pouvoirs. Au centre, la création d'un Messie, autant pour les hommes que pour les araignées, réfléchit sur le besoin religieux d'une espèce vivante.
Pourtant, il faut avouer que cet aspect humain de l'intrigue n'a pas grand-chose d'original à offrir au lecteur excepté une énième course contre la montre et une succession de lutte intestines.
C'est ailleurs que Dans la Toile du Temps puise son génie.

… des arachnides fantastiques !
En effet, si le roman explose ses propres limites science-fictives, c'est grâce à sa moitié arachnéenne qui convoque xénobiologie et entomologie pour réfléchir à la fois sur les chemins de l'évolution mais aussi sur la philosophie humaine. En jetant son dévolu sur une espèce où la femelle est supérieure au mâle, le britannique construit une société en miroir de celle des hommes.
Ici, le mâle n'est rien et la femelle est tout… jusqu'au jour où l'évolution et la civilisation s'en mêlent.
À travers plusieurs hérauts (aux noms similaires comme autant d'échos du passé), l'histoire arachnide se confronte à la guerre (civile ou non), à la maladie et au changement social. Avec une plume remarquable d'efficacité, Adrian Tchaïkovsky donne vie non seulement à de terrifiantes créatures mais arrive en plus à imaginer toute une société dont les mécanismes et les aspirations divergent des préoccupations humaines.
Sur le chemin de l'évolution, les araignées aussi auront le droit à leur version du Messie avec la Messagère. Mais tandis que les humains cherchent à détruire ou vénérer, Portia, Bianca et les autres finissent toujours d'une façon ou d'une autre par incorporer. le Savoir, en décomposition sur le Gilgamesh et fleurissant sur le monde de Kern, joue un rôle fondamental. Mieux, encore, Adrian Tchaïkovsky s'interroge sur la cohabitation entre divin et science, croyances et preuves. Les deux sont-ils vraiment antinomiques ?
Mais la plus grande prouesse de Dans la Toile du Temps, c'est d'arriver à transformer l'une des créatures les plus repoussantes de l'histoire en un compagnon de lecture attachant, émouvant et terriblement « humain ».
En faisant varier les notions de paix, de guerre, d'égalité et de progrès, les araignées trouvent leur propre voix et le roman d'Adrian Tchaïkovsky également.
Passionnant de bout en bout, le peuple à huit pattes décroche tout simplement la lune sous la plume du britannique.

Communiquer avec l'autre
Enfin, élément essentiel de cette aventure : la communication !
Que ce soit entre espèces (fourmis et araignées, araignées et coléoptères, humains et…humains) ou entre les générations, Dans la Toile du Temps utilise les siècles pour réfléchir sur l'évolution de la communication et l'importance du langage. Ce n'est pas pour rien qu'Holsten, personnage humain principal, est un linguiste.
Un large pan du roman se préoccupe de la compréhension entre les individus, qu'ils soient insectoïdes ou humains. Dès lors, Adrian Tchaïkovsky s'interroge sur ce qui crée nos différents et nos oppositions les plus meurtrières.
Au-delà des apparences, c'est la capacité à comprendre l'autre, à comprendre ses motivations et son fonctionnement, à l'intégrer et à le dépasser parfois qui offre une paix véritable.
Il est d'ailleurs tout à fait remarquable que c'est l'évolution du langage commun qui ouvrira les portes d'une coopération et non d'une destruction.
Adrian Tchaïkovsky établit lentement mais surement des ponts entre les deux espèces, emploie des événements narratifs qui se ressemblent (comme la découverte du satellite de Kern par les humains alors que les araignées découvrent une colonie de fourmis colossale prête à les anéantir) avant de confronter les deux civilisations afin d'empêcher tout manichéisme. Il n'y a pas de bons et des méchants entre les araignées et les hommes, juste deux peuples qui cherchent à survivre.
Ce qui n'empêche cependant pas certains individus mal-intentionnés ou fanatiques de nuire à leur propre espèce…

Formidable roman de science-fiction, Dans la Toile du Temps arrive à imbriquer deux histoires qui se répondent pour disséquer les particularités de l'espèce humaine grâce à des araignées super-intelligentes. Passionnant et palpitant, l'histoire d'Adrian Tchaïkovsky se dévore littéralement, chélicères ou pas.
Lien : https://justaword.fr/dans-la..
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