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Critiques filtrées sur 5 étoiles  


J'aime bien cette idée d'entamer un livre avec des idées préconçues ou avec des questions qui se posent immanquablement à soi et qui à sa lecture non seulement ne répond pas à ces attentes mais nous fait totalement oublier ce qu'on était venu chercher !

On peut même se demander si lecteur et auteur ne font pas là un chemin parallèle ?

J'ai lu un livre comme ça, le Norilsk de Ferey publié en 2017. Je ne me demande plus ce que l'écrivain était allé chercher là-bas, dans cette ville interdite de Sibérie qui cumule un certain nombre de records en accidents météorologiques où l'on risque sa vie au moindre faux pas. La vie y est d'ailleurs courte, soit par volonté, soit par dépit. En fait l'auteur s'est surtout complu à observer les autres faire et en a tiré une richesse intérieure, presqu' une aventure. Les gens qui l'accompagnaient étaient ses cobayes en quelque sorte ! On a le sentiment qu'il voyait le cas échéant la nature hostile par le regard des autres.


Je ne peux, en pareille occasion, m'empêcher de penser à Soljénitsyne, le spécialiste du Goulag, et surtout de l'imaginer à tailler tout ça au carré avec la méticulosité qui le caractérise -et pas du genre à rester sur des musardises-, en faire tout un réquisitoire contre le régime avec des paragraphes et des sous-paragraphes.. et d'enfoncer le clou ..

Justement dans son " Ma Collection littéraire", Soljénitsyne en parle de L'Ile de Sakhaline de Tchékhov, comment cela aurait-pu lui échapper d'ailleurs ! Lui ne se pose pas de question, il m'en bouche tout de suite un coin, alors que tout le monde est dans le doute concernant la genèse de cet ouvrage : "En 1890, il partit pour l'île de Sakhaline, sur l'océan pacifique, afin d'étudier le sort et les conditions médicales de la population de bagnards et d'es-bagnards qu'abritait cet immense pénitencier insulaire. Ses revenus littéraires lui permirent d'acheter en 1891 une propriété à Mélikhovo, près de la ville de Serpoukhov.."

J'imagine alors que Tchékhov a pu payer sa dette envers l'Etat russe contractée pour ses études de médecine, par contre je n'imagine pas qu'un médecin s'en aille comme ça enquêter sur la santé des bagnards russes aux antipodes sans ordre de mission !..

Allons un peu plus loin avec Soljénitsyne, "Son Sakhaline fut un acte citoyen. Le livre est très intéressant des points de vue économique et ethnographique (je l'ai dit). Mais n'y chercher pas de peinture vivante du bagne ; celle-ci est remplacée par de la statistique. Et la langue est lourde du fait que Tchekhov se calque consciencieusement sur les nombreux documents administratifs"
Ah ! C'est drôle d'entendre ça de la bouche de Soljénitsyne, on dirait un jeu de rôle inversé !

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Juillet 1890 : Anton Tchékhov arrive à la pointe orientale de la Russie, et s'apprête à s'embarquer pour ce qui constituera une des expériences les plus intenses de sa vie. Sans connexion avec les autorités ou un quelconque relai sur place, sans faire partie d'une mission, il s'embarque pour mener puis retranscrire une enquête extrêmement minutieuse sur l'Île de Sakhaline, lieu reclus au large de la Sibérie, lieu de déportation où étaient envoyés les prisonniers. Il en tire un ouvrage de plus de 500 pages, simplement baptisé L'Île de Sakhaline, et modestement sous-titrée Notes de voyage.

Des motivations d'Anton Tchékhov, nous ne saurons que très peu de choses, ce qui frustre quelque peu le lecteur : aventure littéraire ? soif d'aventure, de dépassement ? curiosité scientifique ? Roger Grenier, dans sa préface à l'édition Folio, nous relate que Tchékhov, dans une correspondance avec son ami Souvorine, aurait donné l'explication suivante : « Après l'Australie jadis, et Cayenne, Sakhaline est le seul endroit où il soit possible d'étudier une colonisation formée par des criminels ».

En effet, l'Île n'est pas seulement un bagne où les prisonniers sont là pour purger une peine : ils ne sont pas voués à repartir, ils deviennent paysans proscrits, propriétaires-forçats, relégués, et participent, avec les fonctionnaires et le personnel administratif et pénitencier, au processus de colonisation. Là encore, nous n'avons que peu d'informations sur les desseins de l'Etat russe : si la déportation de criminels dans une zone éloignée est un phénomène qui n'est pas unique et dont les raisons politiques sont avancées clairement, pourquoi en revanche vouloir coloniser une telle Île, dont, de pages en pages, nous découvrons le climat et la géographie hostiles, la difficulté à implanter des cultures ? (même si nous avons eu la curiosité historique de connaître cette information, nous avouons ne pas avoir poussé le zèle jusqu'à la rechercher, aussi nous prions le lecteur de ces lignes de bien vouloir nous en excuser).

Toujours est-il que l'intentionnalité de ceux que Tchékhov désigne comme « les législateurs » est avérée : l'auteur nous rappelle en effet que « Prison et colonisation sont antagonistes, leurs intérêts sont exactement inversés. La vie en dortoirs cellulaires asservit le détenu et avec le cours du temps, entraîne sa dégénérescence ; (…) plus il séjourne à la prison, plus on a de raisons de craindre qu'il ne devienne une charge superflue, et non le membre actif et utile d'une colonie. Voilà pourquoi la pratique de la colonisation a exigé avant toute chose la réduction des peines de réclusion et de travaux forcés » (p.323, édition Folio).

Car oui, les conditions des forçats sont terribles, tragiques, pénibles à lire lorsque l'on se rappelle qu'il s'agit d'un témoignage (et non d'un roman), témoignage dont la force est contenue dans les premières impressions exprimées par Tchékhov lorsqu'il découvre l'Île : « Tout autour la mer, au milieu l'enfer ». En effet, l'auteur enchaîne, avec une minutie remarquable, les descriptions des différentes prisons, des différentes villes, des modes de vie des populations (les bagnards, les fonctionnaires, les populations locales présentes avant la colonisation), et nous livre tout des conditions, des peines, des souffrances. Ces souffrances sont physiques, mais elles sont aussi morales, comme cela nous est rappelé par le récit d'une soirée de célébrations dans l'une des villes de l'Île : « Mais malgré ces réjouissances, les rues suaient l'ennui. Pas de chansons, ni d'accordéon, ni le moindre ivrogne ; les gens erraient comme des ombres, se taisaient comme des ombres. Même à la lueur des feux de Bengale, le bagne est toujours le bagne, et la musique qu'entend de loin un homme certain de ne jamais revoir son pays ne suscite en lui qu'une noire tristesse » (p.67).

Alors pourquoi vous demandez-vous, auriez-vous envie de lire un tel ouvrage ?

Il faut le lire car il s'agit aussi, voire avant tout, d'une remarquable oeuvre littéraire, alternant témoignages et informations historiques (au-delà de la situation des condamnés hommes, on apprend également beaucoup sur celles des femmes, des enfants, et des populations locales), descriptions, dialogues, retranscription de ses pensées, mais aussi une certaine forme d'humour et d'ironie, qui donne au final au livre une tonalité bien plus décalée qu'on ne l'aurait cru. Tchékhov écrit pour un lecteur, auquel il s'adresse directement et qu'il interpelle, et cela se sent dans l'écriture. Ainsi, grâce aux descriptions de l'ensemble de ce qui l'entoure, depuis les personnes et les situations, à la végétation et aux reliefs, on a l'impression d'être au contact de ce bien étrange quotidien. Et se produit alors ce que l'on aurait pas forcément pensé au départ : on embarque avec l'auteur, on croit que l'on a, nous aussi, eut l'impulsion (ou la folie ?) de partir pour explorer cet endroit hors du temps, maudit, qui semble tout aussi fou et irréel que les personnages qui le peuplent.

Si vous n'avez pas le courage ou l'envie d'aller au bout des 540 pages, cela n'est pas grave ; il est en effet possible d'en lire seulement une ou des partie(s), et d'en retirer tout de même ce que vous êtes venus y chercher. L'Île de Sakhaline est ainsi une lecture que nous recommandons, et qui permet également de découvrir une partie moins connue de l'oeuvre de Tchékhov.

Lien : http://madamedub.com/WordPre..
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Une petite pépite découverte en flânant par hasard sur internet. J'y ai appris que l'île de Sakhaline était initialement peuplée d'Aïnous, qu'elle avait fait l'objet d'âpres combats entre les Japonais et les Russes et qu'enfin, elle avait servi de bagne aux autorités impériales. Comme quoi, le goulag est une véritable tradition dans cet immense pays! le problème lié au manque de femmes dans cette île, du fait de la faible proportion de bagnardes et de volontaires est amplement traité. Cette lecture m'a évoqué, par la thématique, la chronique de la maison des morts, de Dostoïevski.
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Je m'appelle .............?..........." je suis un jeune homme de dix-sept ans, laid, maladif et timide", je passe mes étés dans la "maison de campagne des Choumikhine", et je m'y ennuie.

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