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Critique de Nastasia-B


Les pièces en un acte d'Anton Tchékhov se répartissent pour trois d'entre elles en études dramatiques et pour six d'entre elles en farces. Il convient, je pense, de bien distinguer ces deux ensembles ; les premières étant, selon moi, de bonne voire très bonne qualité, et les secondes très moyennes à franchement mauvaises.

Les trois études dramatiques sont, dans l'ordre de cette édition : Sur La Grand-Route, le Chant du Cygne et Tatiana Répina. Les six farces étant : Des Méfaits du Tabac, L'Ours, La Demande En Mariage, le Tragédien Malgré Lui, La Noce et le Jubilé.

Sur La Grand-Route me semble être à la fois la plus ambitieuse et la plus intéressante de ces pièces en un acte. C'est en tout cas ma préférée et de très, très loin. On y perçoit une claire, nette et évidente annonciatrice et inspiratrice de la célèbre pièce de Maxime Gorki, Les Bas-Fonds.

C'est un théâtre rare pour Tchékhov. Lui qui nous a plutôt habitué à faire frayer ses drames parmi la petite aristocratie ou la bourgeoisie, il nous transporte cette fois-ci dans une taverne franchement mal famée et peu recommandable des bords de route où s'y croisent des pèlerines hors d'âge, des voyous patentés, des ivrognes de toute espèce, des vieillards à l'article de la mort, des voyageurs tombés en panne, etc.

La langue n'y est pas fleurie et les vies sont abîmées, frappées du sceau du destin. On y retrouve les mêmes appels messianiques que dans Les Bas-fonds, les mêmes hors-la-loi, les mêmes empoignades verbales qui peuvent à chaque instant devenir physiques. L'omniprésence de l'alcool, la précarité et la promiscuité.

Et, comme dans Les Bas-Fonds, on y rencontre un personnage surprenant, Bortsov, un ancien propriétaire foncier opulent, c'est-à-dire, un aristocrate, désormais ruiné, sali, mis plus bas que terre, plus mendiant que le dernier des mendiants, plus ivrogne que le dernier des ivrognes. Je vous laisse découvrir son histoire qui arrive même à attendrir les rudes gaillards de la taverne.

Le Chant du Cygne nous présente la grande remise en question d'un acteur âgé, sur le déclin, qui s'interroge sur son art et sur le sens qu'il a donné à sa vie durant toutes ses années de scène. Cette pièce fait écho, mais de façon plus faible, à La Mouette, où cette thématique est mieux développée.

Enfin, dernière étude dramatique, Tatiana Répina est une variation sur le thème du mariage orthodoxe. On assiste donc à une cérémonie en bonne et due forme, qui assomme tout le monde d'un puissant ennui et le décalage est donc réalisé par les voix et commérages en coulisses, sur les bancs de l'église, les remarques du marié à son témoin qui croule sous le poids de la couronne et... sur les murmures qui s'opèrent lorsqu'il semble à chacun que Tatiana Répina a fait son apparition à la cérémonie...

Viennent alors les six farces qui m'ont cordialement ennuyée sauf peut-être L'Ours, à un degré moindre.

Des Méfaits du Tabac est selon moi une pièce creuse où l'auteur n'a rien ou à peu près à nous dire, tout comme son protagoniste principal. C'est un monologue, un peu comme le Tragédien Malgré Lui, où un mari, complètement phagocyté par sa femme, tenancière d'un pensionnat-école de musique, est mandé par son épouse pour faire une énième conférence de bienfaisance. le brave factotum va donc s'exécuter, en ayant bien évidemment pas la moindre idée de ce dont il va pouvoir parler devant un auditoire qui, de toute façon, ne l'écoutera pas. Or, accablé par la férule de sa despotique épouse, il pète un câble et balance à l'assemblée les secrets du caractère de sa femme et de ses pitoyables relations avec elle. Bref, il parle de tout, sauf peut-être des méfaits du tabac...

L'Ours nous met en présence un créancier qui vient réclamer une somme d'argent à une jeune veuve. Cette dernière, plutôt prude et de belles manières, lui confesse qu'elle ne pourra recouvrer sa créance que dans quelques jours. Or, lui, a un besoin urgent de la somme aujourd'hui même. S'ensuit donc une empoignade verbale de toute beauté où fourmillent quelques belles répliques pour se finir d'une façon quelque peu inattendue.

Une Demande En Mariage surfe sur l'éternelle âpreté au gain et l'étroitesse d'esprit de ces propriétaires terriens que fustige souvent Tchékhov. Toujours est-il que toute la pièce est un crêpage de chignon sur des peccadilles, qui interdisent même au fiancé de formuler sa demande auprès de la jeune fille convoitée. Très faible intérêt selon moi.

Le Tragédien Malgré Lui, c'est encore pire, du gros, lourd et gras qui tache... Un quasi monologue où un citadin de la classe moyenne, qui vient passer son été en datcha à la campagne, égrène les mille misères que cette vie de villégiature lui cause auprès de son épouse tyrannique. On est au fond du trou de Tchékhov d'après moi.

La Noce, un peu à la manière d'Une Demande En Mariage, se prétend une caricature des classes moyennes qui veulent faire comme les " grands ", en mettre plein la vue, mais qui n'en ont ni les moyens ni les manières. le passage avec le capitaine de frégate, assez drôle au tout début, devient catastrophique et d'un lourdingue absolu vers la fin.

Le Jubilé nous transporte dans une banque où, là encore, Tchékhov s'en prend au vernis derrière lequel se cachent les personnages " respectables " et essaie de l'écailler. Mais c'est encore de la grosse mécanique redondante, pas drôle et qui ne présente pas beaucoup d'intérêt à mes yeux.

En conclusion, un recueil très inégal, qui vaut essentiellement pour Sur La Grand-Route, très intéressante si l'on souhaite comprendre l'ontogenèse des Bas-Fonds de Gorki. Pour le reste, vous pouvez sans doute passer votre route, mais ce n'est que mon avis, c'est-à-dire, vraiment pas grand-chose.
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