Mépriser la souffrance signifierait pour elle mépriser la vie elle-même, car toute la vie de l’homme consiste à ressentir le froid, la faim, les injures, les privations, et la peur hamlétique de la mort. C’est là toute la vie. On peut la trouver pesante, la haïr, mais non la mépriser.
Nous souffrons et nous endurons la nécessité parce que nous invoquons mal la miséricorde de Dieu,
Quelqu’un, Dostoïevski ou Voltaire, a dit que s’il n’y avait pas de Dieu, il faudrait l’inventer
Quand la société écarte de soi les criminels et les malades de l’esprit, et, en général, tous les gens qui la gênent, elle est inexorable
Quand l’homme pensant atteint son âge viril et entre dans sa conscience réfléchie, il se sent malgré lui comme dans un piège sans issue.
Si l’on parvient à chasser d’un endroit la saleté physique et morale, elle
se réfugie ailleurs. Il faut attendre qu’elle disparaisse d’ellemême.
On dit que la souffrance conduit l’homme à la perfection. Si l’humanité se
met à adoucir ses souffrances par des pilules et des gouttes, elle rejette par là toute religion et toute philosophie dans lesquelles on a trouvé jusqu’à présent non seulement un refuge contre tous les maux, mais même le bonheur.
Les préjugés, et toutes les saletés et vilenies de chaque jour sont nécessaires ; ils finissent par se changer, au bout du compte, en quelque chose de bon, comme le fumier se transforme en terreau.
André Efîmytch parut donc accepter le désordre avec assez
d’indifférence. Il demanda seulement aux employés de l’hôpital
et aux infirmières de ne pas coucher dans les salles, et fit faire
deux armoires pour les instruments. L’intendant, la lingère,
l’aide-chirurgien et l’érysipèle demeurèrent en place.
À son arrivée en ville pour entrer en fonctions, André Efîmytch
trouva « l’établissement de charité » dans une situation
déplorable. Dans les salles, dans les corridors et jusque dans la
cour de l’hôpital, il était difficile de respirer, tant cela infectait.
Les garçons de l’hôpital, les infirmiers et leurs enfants couchaient
dans les salles, pêle-mêle avec les malades. On se plaignait
que les blattes, les punaises et les souris rendissent la vie
intenable. Dans les salles de chirurgie, on ne pouvait pas se débarrasser
de l’érysipèle. Il n’y avait dans tout l’hôpital que deux
scalpels, et pas un thermomètre. On mettait les pommes de
terre dans les baignoires. Le surveillant, la lingère et l’aidechirurgien
volaient. On racontait que le prédécesseur d’André
Efîmytch vendait en secret l’alcool de l’hôpital et qu’il s’était fait
parmi les infirmières et les malades un véritable harem...
Après avoir examiné l’hôpital, André Efîmytch conclut que
c’était un établissement scandaleux, et dangereux au plus haut
point pour la santé des habitants de la ville
Des grilles de fer offusquent les fenêtres ; le plancher
est gris et mal raboté. Il traîne une odeur de choux aigres,
de mèche fumeuse, de punaises et d’ammoniaque, et l’on croirait
entrer dans une ménagerie.
Sur des lits, vissés au plancher, des gens sont assis ou couchés,
en capotes bleues et en bonnets de nuit, à l’ancienne
mode. Ce sont des fous.