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Ce recueil est tissé de traces. Esther Tellermann nous prend par la main et nous entraîne à travers les failles, les siennes, celles qu'elle a su ouvrir avec ses mots. Failles du temps. Tout n'est qu'impression. Impression par l'effet que les poèmes produisent sur nous, par l'empreinte, la trace laissée, qu'il nous faut découvrir et également par l'imprimé : sur la croix, sur les arbres, sur la peau... Je n'ai pas cherché du sens, mais je me suis laissée guider. Je me suis vue au pied de la croix, en un temps où les hommes et pas seulement celui que l'on nomme fils de Dieu, y étaient suspendus, à regarder la trace... « Le voilà sur la colline fendue et dans les labyrinthes de la chute où pourrissent les peines et les blessures le voici égaré dans les chants funèbres et les cartes battues pour longtemps de ses paumes vint la lourdeur avec le poids un nom poussé qui grandit » Je me suis vue près des eaux du Gange, le jaune du safran recouvrant toute chose ? le jaune, ce jaune scandé en mesure jusqu'à ce que montent à nos narines des odeurs : celles d'un pays, de plantes, de sucs, … aux noms tout droit sortis de textes surannés. Là, au premier abord, j'ai soupiré en croisant ce vocabulaire qui m'a semblé si lourd et « pompeusement » obsolète. Mais le charme opère. L'or, l'onyx, l'améthyste, les huiles et les onguents impriment le caractère sacré, précieux... Nous croisons Ophélie et quelques autres dans ce temps, inconnu de nous, qui sous-tend nos présents. Puis, page après page, L'auteure se penche avec nous et nous montre du doigt d'autres traces : celles des chairs, les voix à rayures sur le bruit des rails. Nous cherchons comment épeler les noms, nommer, donner un nom. « une voix sur une voix enfouie. » Et sur la dernière strate, nos pieds sont sur cette terre d'Europe que nous connaissons bien, recouverte par la neige qui magnifie toute chose, qui cache et dissimule aussi : efface. « Europe dé- souillée aurait enchevêtré ses eaux ses forêts sourdes depuis que la lumière trouve le ciel défait l'odeur caresse l'églantine dessine la courbe en magnificat J'ai supposé vos neiges une langue de mort. » Sommes nous réconciliés avec tous ces épisodes du temps que nous apercevons entre les failles ? Avec toutes ces traces qui nous ont été révélées ? Que voyons nous sur la photographie, quelle impression reste figée sur le papier, nos rétines, nos chairs ? « mémoire contre mémoire je me porterai témoin du lieu de chaque enfance » Nous poursuivons la danse, nous poursuivons nos pas dans l'espace : nous vivons sur, là où en d'autres temps nous survivions. Contre l'épisode. Tout contre. Peut-être suis-je passée tout à côté, peut-être n'est-il question de rien ou de si peu de tout cela. Mais c'est ainsi que j'aime la poésie. Pouvoir m'approprier les mots. Et pour cela, il faut qu'ils soient vivants, qu'ils soient emprunts de la sensibilité de l'auteure, de tout ce trop plein d'émotions qui déborde dans une prose tout en finesse, portée par ce vocabulaire des poètes d'antan qui malgré cela, grâce à cela, nous donne un supplément d'âme. + Lire la suite |