Pour ce qui concerne la partie texte de cet album, le procédé narratif utilisé par Pajak m'a un peu désorientée : James Joyce en personne déroule l'histoire de sa vie sur un ton livresque, sans réflexion qui pourrait paraître personnelle et "faire vraie" : d'autant que cet écrivain fantasque et créatif n'aurait pu écrire un récit aussi convenu émanant manifestement des sources biographiques établies après sa mort.
Quant au torrent d'alcool et de vin blanc qui coule à travers le livre, il a fini par me donner la gueule de bois par procuration et un peu de dégoût envers le personnage. Parfois il n'est pas bon d'approcher les idoles de trop près. En tous cas mieux vaut les dissocier de l'oeuvre. Pourquoi n'ai-je pas ressenti la même aversion pour Van Gogh, sujet du volume 5 du Manifeste incertain ? Parce que Van Gogh était un personnage dostoïevskien, entre Mitia, Alouchia et Karamazov : c'était un être de transe qui ne s'appartenait pas. Alors qu'il y a quelque chose du créateur cérébral, conformiste et bourgeois chez Joyce qui a toujours su, lui, où il allait. Pourtant l'oeuvre de Joyce aurait-elle été aussi forte sans l'abus d'alcool qui l'a rendu aveugle et qui a fini par le tuer ?
Pour ce qui concerne le graphisme, il est d'une magnificence à couper le souffle : Pajak utilise, ce qui est rare chez lui, la couleur, et quelles couleurs ! Ah ces ocres déclinés, ces gris, ces jaunes, cette lumière scintillante de l'eau, la posture des personnages, voilà du grand art. C'est sévère, c'est sensuel, c'est beau beau beau.
Quel talent !
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Lecteur, écrivain, dessinateur, Frédéric Pajak déploie son imaginaire depuis 2012 dans un livre sans fin, "Le Manifeste incertain " : au rythme d'un volume par an, cette entreprise littéraire s'achève cette année avec la parution de son 9e volume "Avec Pessoa". Si chaque volume est consacré à la biographie d'une figure que L Histoire a longtemps malmené, ils tissent entre eux une toile plus vaste, l'incertitude comme fil rouge.