L'homme affiche une longue moustache, si longue qu'il la trempe souvent dans la sauce de son plat préféré - une bouillie d'haricots blancs - traditionnel chez les paysans dans cette contrée lointaine. A son appétit, on voit que l'homme est bon : il raffole tellement de son mets qu'il porte constamment, accrochées à sa longue moustache, des croutes de haricots blancs séchées. Son haleine fétide mélangée a l'effluve de la sauce avariée n'inspire guère l'amitié, alors l'homme est seul et agit seul ; mais sa tâche est honnête : il prend aux riches pour donner aux pauvres.
Jamais auteur ne s’est plus acharnée sur ses personnages et jamais lecteur n’y a pris plus de plaisir.
Ernestine et Compagnie
A sa mort, la mère n'était pas là. Sinon la mort ne serait pas venue, m'a-t-elle toujours dit, la mort ne traverse pas l'amour d'une mère. (p.150)
"Mon dieu , ô grand Dieu, enlève je te prie de notre famille la malédiction du bandit moustachu que notre aïeul a tué lâchement en le laissant crever de soif dans la cave de la cuisine! Ô grand Dieu, sois bon et généreux, enlève s'il te plaît la malédiction qui doit tomber sur la tête de mon aîné, et de son aîné à lui, et encore de l'aîné de son aîné, et ainsi de suite jusqu'en l'an deux mille ......"
Sa mère est une truie, son père est un porc, mais ils sont des cochons de race.
A son retour, son aîné, Ion Marinescu, est grand et beau, fin et cultivé, il a quatorze ans et la barbe bien fleurie. Maria la Cochonne caresse d’un doigt la moustache délicatement soignée du jeune homme, et du dos des phalanges la peau lisse de la joue. Elle regrette un instant d’être sa mère, se ravise soudain elle se rappelle la malédiction. A-t-elle réussi à tout racheter par son voyage ? Dieu lui a-t-Il rendu grâce ?… Certainement, sinon pourquoi aurait-Il mis sur son chemin ce moine entouré de pétunias et de richesses ? D’un geste las de la main, elle efface le souvenir du bandit moustachu aux haricots et décide de reprendre sa vie là où elle l’avait laissée sans plus se soucier du passé lointain de son grand-père.
Il était très calme lunaire, habité constamment par des morceaux de Schubert ou de Chopin, la nouvelle lui passa alors au-dessus comme un petit nuage blanc dans un ciel ensoleillé.
Outre parrainer la jeune Filoftea, il fallait leur envoyer l’un des cinq orphelins et, par ce geste, laver ainsi le sang sali par l’arrière-arrière-grand-père. Mais oui bien sûr ! et ne plus jamais y penser, à jamais effacé de l’histoire de cette famille. Il fallait leur offrir la petite Ana, bien entendu, la préférée, l’adorée, car on ne donne à Dieu que ce qu’on a de plus précieux. Ana la douce, la souriante, la belle, oh mon bébé chéri, le plus merveilleux enfant au monde, Ana qui n’a que quatre ans et demi, Ana ira au monastère pour grandir et marcher sur le chemin de Dieu, et puis pour tenir compagnie à cette pauvre petite paysanne prénommée Filoftea. Il ne me reste plus qu’à en parler à Sergeï, que va-t-il me dire, mon Sergeï, son coeur blessé, mais il n’y a pas à choisir, à sa demande elle avait implorer la saint Vierge Mère de Dieu et celle-ci lui avait montré la voie, bien sûr, il n’y a pas de doute, il n’y aura pas à discuter.
A quinze ans, Ion-Aussi obéit encore à son père adoptif, tolère encore sa tante - car c’est ainsi qu’il voit Agrippina -, ignore complètement ses frères et soeurs; bien évidemment, il n’a aucun ami parmi ses camarades d’études. Sergeï s’inquiète de le voir ainsi aller d’un pas décidé vers le rang de ceux qui ne lui plaisent pas - comment rattraper cet enfant qui avait tout de même un bon fond, comment lui apprendre l’amour, la bonté?
Et une fois le coït consommé, bien-sûr, "Très chère, voulez-vous m'épouser ?"