"Space Adventure Cobra", mon manga à moi. "Space Adventure Cobra", mon inépuisable antidépresseur personnel… Si vous n'avez jamais connu les années 1960 et 1970, le mangaka
Buichi Terasawa, plus qu'une piqûre de rappel, vous offre une véritable cure de jouvence ! Petite musique pour se mettre dans l'ambiance : http://www.youtube.com/watch?v=niEYaeYa72U
Au vu des standards d'aujourd'hui, les dessins sont initialement moyens et plutôt inégaux (la différence de qualité entre les charadesigns féminins et masculins pique les yeux hein !). Ils sont très/trop typés manga seventies (et c'est bien normal vu que saga a commencé en 1977), mais ne font que s'améliorer dès le tome 1 pour atteindre un niveau de qualité parfois impressionnant passée la moitié de la série. Bref, comparé à ses contemporains (Osamu Tezuka, Leiji Matsumoto, Shotaro Ishinomori, Go Nagai, Monkey Punch…), force est de constater que le mangaka est graphiquement en avance sur son temps ! Encore qu' il partage tellement de trucs avec les auteurs de "Cyborg 009" et d'"Albator", qu'ils ont forcément dû bourlinguer ensemble à un moment ou à un autre (genre au Studio Tezuka, où ils ont travailler ensemble… blink). Et parmi les rares mangakas à lui tenir la draguée haute dans les années 1980, on retrouve par le plus grand des hasards son propre élève Tetsuo Hara ("Hokuto no Ken")… ^^
Pionnier du DAO (qui lui permettra de continuer à dessiner malgré les graves séquelles de son traitement d'une tumeur au cerveau), très occidentalisé dans son imaginaire, le mangaka a toujours eu du mal à trouver sa place au Pays du Soleil Levant, allant jusqu'à nommer son studio Black Sheep.
Il mélange dans son oeuvre tous les auteurs de SF qu'on aime bien (Edgar Rice Burroughs, Edmond Hamilton, Robert Heinlein, Isaac Asimov, Frank Herbert, Philip K. Dick et tous ceux qu'un bien meilleur sfiste que moi identifiera forcément) aux histoires de peplum, de mille et une nuits, de cape et d'épée, de pirates et de flibustiers, de samouraï et de ninjas, de cow-boys et d'indiens, de policiers et de gangsters, d'espions et de traîtres… On est clairement dans un chouette pot-pourri : les détournements sont légions, et c'est du caviar pour les amateurs d'easter eggs ! L'auteur parvient même à transcender des séries B tombés dans l'oubli en transformant par exemple le sympathique "Le Bon, la brute et le karaté" en la mémorable saga de "L'Arme absolue"… ^^
Selon des épisodes, on glisse ainsi d'un genre à l'autre avec bonne humeur, parfois avec légèreté, parfois avec gravité, mais toujours avec de l'action, de l'humour et un festival de clins d'oeil à la pop culture. blink
Qui est Cobra ? Un humain ou un extraterrestre ? Un androïde ou un cyborg ? Un ange ou un démon ? Ce bandit classieux qui autrefois ressemblait à l'Alain Delon de la grande époque, ou ce hors-la-loi débonnaire qui ressemble maintenant au Jean Paul Belmondo de la grande époque ? A moins qu'il ne s'agisse que du moi fantasmé de Johnson, ce petit cadre commercial terrien trouillard qui était venu chercher l'aventure chez les marchands de souvenirs de chez Trip Movies Corporation qui avaient pour devise « tous vos rêves deviendront réalité ? ^^
"Totall Recall" ? Oui, c'est un bel hommage à la SF de Philip K. Dick, car l'auteur a toujours maintenu ambiguïté sur la réalité des aventures vécues par son personnage fétiche.
Sinon c'est gentiment macho : le héros passe son temps à sauver des pinups toutes plus bombesques et courtes vêtues les unes que les autres (souvent inspiré de Brigitte Bardot ou de Jane Fonda, ainsi que de leurs concurrentes et de leurs héritières), quand il ne se fait pas damner le pion par des garces et des vamps encore plus bombesques, ou réprimander ou tirer l'oreille par des héroïnes plus bombesques encore… Tsukaza Hojo, le papa de "City Hunter", lui a plus d'une fois rendu hommage dans ses mangas cultes…^^
Au-delà de sa fascination pour les beautés callipyges aux mensurations parfaites, peu ou prou gratifiées de poses érotiques, l'auteur cède également à quelques gimmicks qu'on lui pardonnera bien volontiers :
- les hybrides hommes/femmes animaux ou hommes/femmes machines qui parsèment l'oeuvre de bout en bout
- les emprunts récurrents au folklore japonais : daimyos, samouraïs, ninjas, oni, kappa, rokurokubi et autres hengeyokai / shuten-doji…
- quelques bouffonneries à base de géants obèses tyranniques ou de nains hideux et/ou vicieux (que lui reprendra par ailleurs Testuo Hara, soit dit en passant)
- quelques détournements complètement barrés de la culture yankee, comme ces pom-pom girls démoniaques qui se déplacent à dos de quarterbacks géants à 3 yeux, ou ces rockeurs / rockeuses mercenaires et leurs guitares mitrailleuses…
- quelques incohérences aussi dans l'histoire de Crystal Bowie et Lady (androïdes ou cyborgs ?)…
"Le Secret du psychogun" :
Jigoro, un mafieux alien passe-muraille spécialisé dans la traite des blanches se pique de voler à Cobra le secret du psychogun en exploitant les penchants de chevalier blanc de notre Bébel intersidéral en envoyant l'innocente Bibi l'espionner... Un récit court et rythmé, mais en deçà des grandes sagas du manga.
"Voulez-vous un robot ?" :
Un récit très/trop court qui traite du thème désormais traditionnel de la révolte des machines contre les humains. L'originalité vient du traitement qui donne pas mal l'impression d'être dans un survival horrifique à la
George Romero avec des morts-vivants semant la mort et la destruction. Depuis le "Frankenstein" de
Mary Shelley il y a toujours eu des liens forts et fructueux entre SF et Horreur, et ce lien a été revivifié par le cinéma dans les années 1970-1980 ("Mondwest", "Alien", "The Thing", "Terminator"…). Face à Zabal 0 l'arme de destruction massive aux faux airs de bouddha démoniaque, Cobra ne peut plus compter que sur le petit robot amnésique Belma R-78 : une seule solution, remonter le temps pour empêcher sa réactivation… Robots et voyages dans le temps : plus SF tu meurs ! ^^
"La Planète foudroyée" :
Cobra et son vieil ami Véga se font passer pour un professeur et son assistant pour voler un joyau dans un musée ultra protégé sur la planète Rune où de violents orages interdisent tout appareil volant à sa surface… Et là, le mangaka nous fait du "Jurassik Park" avant "Jurassik Park". Yeah ! (encore que les spécialistes sont persuadé que
Steven Spielberg a largement pioché dans une histoire de "Judge Dredd", impression encore par le scénario de "Jurassic World", et comme
Buichi Terasawa a déjà montré qu'il connaissait la série phare des comics rock'n'roll anglais de 2000AD, chacun tirera les conclusions qu'il voudra… ^^)
Le fait que la véritable apparence de Vega soit proche de celle du Satan de
Go Nagai, élève de son pote
Shotaro Ishinomori, est un bien bel hommage à celui qui a révolutionné l'univers du manga dans les années 1970. (l'anime précise que les deux compères voulaient ramener sur sa planète d'origine un symbole national pour redonner courage au peuple de Véga exploité par pirates de l'espace qui voulait se venger du monde qui avait donné asile à Cobra pourchassé par la Guilde… ce qui amène un joli pathos à cette coutre histoire)
"Le Visiteur des souterrains" :
Cobra décide de se rendre sur la planète minière Rilfle pour rendre visite à Jingoro, le concepteur et de son vaisseau. Sur place Cobra est confronté à quelques péripéties tirées du western "Mon Nom est personne" (1973) réalisé par Tonino Valerii (et ce n'est qu'un début, j'en reparlerai dans les chroniques des tomes suivants ^^), avant d'apprendre que Jingoro est décédé et que sa petite fille Yuko a été enlevé par les Mobile Riders, fers de lance de la Guilde sur Rifle équipés d'engins fouisseurs. Grâce à Harvey (alter ego du R2-D2 de "Star Wars" ^^), Cobra prend les commandes de la Taupe, l'engin conçu par Jingoro pour vaincre définitivement les Mobiles Riders !
Cobra finit par retrouver Yuko parmi les esclaves lobotomisées qui exploite le minerai Rodo, qui permet d'élaborer un des drogues les plus prisées de la galaxie. Là Cobra est énervé, et quand Cobra est énervé il fait tout péter, cette-fois-ci en sabotant la centrale géothermique des Mobiles Riders… Et pour ne rien gâcher l'histoire se terminer sur une belle planche tiré du jamesbondesque "On ne vit que deux fois" (1967)…
"Rugball" :
Tout simplement culte ! L'auteur détourne le film "Rollerball de Norman Jewison (1975)… ^^ Pognon, sport et star system sont associés par une ligue fermée dédiée à un sport ultraviolent : le Rugball, nouvel avatar des Jeux du Cirque destinée à lobotomiser la plèbe et à lui servir de défouloir. Les joueurs sont donc des célébrités aussi adulées que des rockstars, mais passé un certain seuil de popularité ils sont considérés comme un danger pour le système bien rôdé… Dans cet épisode nous assistons à une triple confrontation :
- celle entre les têtes brûlées de l'équipe Z et les vedettes de l'équipe première des Saxons Rouges
- celle à distance entre Joe Gillian, capitaine de l'équipe Z, et Mr Rand, propriétaire l'équipe des Saxons Rouges
- celle, intérieure, entre Cobra l'homme de devoir qui a une mission à remplir à tout prix et Cobra l'homme d'honneur qui a promesse à respecter quel qu'en soit le prix
Car notre Bébel bionique est en mission pour Dominique Royal et les tocards de la Police de l'Espâce (il doit récolter des preuves permettant d'utiliser Mr Rand d'utiliser le stade des Saxons Rouges, qui bénéficie des privilèges de l'extraterritorialité, comme une plaque tournante pour la drogue et l'argent de la drogue), mais il a également juré de faire gagner ses coéquipiers de l'équipe Z menés par le colosse Rick Blue (une vieux pote de Cobra qui pourrait sans aucun problème passer pour un sosie de Wolverine des X-Men s'il ne mesurait pas 2m70…) Et je suis presque sûr que le batteur Sarembo a été conçu a partir de héros de peplum et/ou de blackploitation, et que le lanceur Léo est un hommage à peine déguisé au blackjack de
Tezuka-sensei… (car après tout le mangaka a été l'élève du dieu du manga ^^)
Les joueurs des 2 équipes se retrouvent ainsi au centre d'un véritable un champ de bataille... le manga a toujours été rythmé, mais là c'est champagne ! Presque pas une planche, pas une case sans action : donc place à la baston car the show must go on !!!
PS : damned, j'ai faillé oubli l'essentiel… il s'agit ici d'une réédition en 12 volumes format « perfect edition » avec sens de lecture originel, nouvelle traduction, pages colorisées, pages non censurées et interview de l'auteur ! tour cela est très agréable à (re)lire…