Comme le vin que j'ai bu ce week-end, un languedoc de 2021 qui venait d'être mis en bouteilles : une excellente attaque, à la fois fruitée et charpentée, pleine de belles promesses. Et petit à petit, peut-être parce que le vin est encore jeune, ça laisse en bouche une sensation râpeuse pas super agréable (même si les bons arômes restent présents, c'est gênant).
Mitigé. Pourtant, la première moitié m'a emballé, je l'ai dévorée avec un gros sourire aux lèvres. Jouissif, avec un mélange trash-absurde-burlesque parfaitement équilibré, bien porté par le personnage du loser antipathique et bien servi par cette narration à la première personne qui en renforce les effets.
Mais une fois le héros en Roumanie et les « ressorts » de l'intrigue dévoilés, je trouve que ça fait flop. Ces deux éléments qui faisaient la qualité du début (le héros et la narration) me sont alors apparus comme des poids et des défauts. Alors que, dans la première moitié, ils parvenaient à susciter une certaine empathie envers Bert', je n'ai plus rien ressenti ensuite, sinon une certaine lassitude. Les effets fonctionnaient mieux avec le héros dans un environnement « normal » (qui créait relief et contraste) que dans le château où, plus rien n'étant vraisemblable, la situation de Bert' ne se distingue plus et perd son intérêt. Viennent alors des révélations qui tentent d'expliquer comment il en est arrivé là : elles m'ont fait l'effet de poils de chat dans la soupe. Tout le début est absurde et se passe de sens, le fait d'en donner dénature la saveur. D'autant plus que ça tombe à la va-vite, comme si les explications s'excusaient d'avoir été formulées (« oups, désolé, j'aurais pas dû préciser ça, c'était mieux sans, pardon, j'en dis pas plus ! »). On reste alors dans un entre-deux entre le trop et le pas assez : on se dit « ok, ça tient la route, pourquoi pas », mais ça soulève des doutes et questions qui ne trouvent jamais de réponses (alors que, dans l'absurde du début, on ne se pose presque pas de questions, on se contente de savourer). Ça rejoint donc la posture du héros dans cette seconde moitié : il ne comprend qu'à moitié ce qui lui arrive, et ne veut qu'à moitié s'en sortir. Voilà ce que donne le ni-ni : des soupirs et un désintérêt. Car en tant que lecteur, j'aurais aimé qu'il me donne au moins une vague direction, soit pour le détester complètement ou pour vouloir le soutenir. du coup, je le repose et je le laisse gérer seul sa fin ouverte.
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Bertrand est un artiste incompris mais sûr de son talent, de la mauvaise foi à revendre, plein de préjugés. Misanthrope, il n'a pas d'ami, en dehors de Yann qu'il connaît depuis la fac et qu'il ne se prive pas de critiquer, bien sûr. D'ailleurs, rien ni personne ne trouve grâce à ses yeux.
Bertrand commence à développer des pouvoirs en même temps que son agressivité et sa violence augmentent. Tout laisse penser qu'il est un vampire. Mais comment peut-il l'ignorer ?
Dès les premières pages, on se dit qu'on va détester Bertrand parce tout en lui est détestable. Et pourtant, on suit avec plaisir ce personnage qui aborde les situations les plus rocambolesques sans se départir de son humour grinçant.
Un petit livre inclassable qui n'hésite à faire tomber les barrières entre les genres.
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Je ne sais plus quoi penser, je regarde la ville qui défile. C’est dingue, le nombre d’immeubles à Bucarest, on ne voit que ça ! Des tours et des tours, des milliers de balcons sur des façades infinies. Mais nous, on s’éloigne du centre-ville. On se dirige de l’autre côté, derrière la forêt. Les mains du chauffeur tremblent sur le volant. Ça a commencé quand Vacaresco lui a annoncé notre destination, et c’est de plus en plus Parkinson au fur et à mesure que la route défile. Les roues font des microzigzags sur le bitume, c’est la secousse permanente. Il ne faudrait pas rejoindre le fossé, pas maintenant ! Est-ce le nom de Barbec qui lui fait cet effet ? Je demande à Vacaresco :
– Pourquoi est-ce qu’il tremble le chauffeur ?
Il me sourit d’un air hautain, exhibant ses canines :
– Haha ! Les gens d’ici n’aiment pas trop s’éloigner du centre-ville. Bucarest est une capitale européenne, mais les chauffeurs de taxi sont restés très superstitieux. Ils détestent s’approcher de la forêt. Ils y associent tout un tas de légendes. C’est dommage. Nous venons pourtant d’entrer dans le vingt-et-unième siècle, n’est-ce-pas ?
– Heu, ouais, c’est sûr…
– Nous allons bientôt arriver.
En retard comme d’habitude, et je vois dans les yeux de Yann que plusieurs fûts ont déjà défilé. Je mets de plus en plus de temps à sortir de mon appartement, ne me demandez pas pourquoi. Je crois que j’ai des tocs, je me regarde dans le miroir et m’observe jusqu’à ce que mon visage se déforme complètement. Hypnotisé, fasciné par mes propres yeux extralucides. Merde, je deviens barge ? Dans son texto, Yann m’expliquait qu’il profitait de ses vacances pour se délester de son fric. Et il le faisait au Passage, le bar juste en bas de chez moi. Non mais, j’attendais quoi ?
Je m’assois essoufflé, j’ai failli me vautrer dans les marches. C’est la lumière de ce foutu jour qui me paraît anormale, et encore, on est en début de soirée. Il faut que je me réhabitue, ça ne va plus, au moins que je rouvre mes volets. C’est sûr, je dois ressembler à un zombi, alors que Yann est carrément frais sous ses bourrelets !
– Alors, Bert’, t’as trouvé un boulot ?
– Pfff, arrête.
– Va falloir que tu t’y mettes, hein ! Au moins, paye-moi un coup, c’est mon travail qui finance ton RSA !
Là, je blêmis parce que je n’ai absolument plus d’argent, mon compte au seuil absolu. Mais Yann éclate d’un rire énorme :
– Hahaha, je déconnais, Bertrand ! Fais pas cette tête ! Ce soir, c’est moi qui rince !
– Haha… Okay…
Vraiment, ça aurait été déplacé de sa part. D’accord, je touche le RSA, mais c’est exclusivement parce que mes parents m’ont coupé les vivres. Yann, lui, travaille dans l’armée. Autrement dit, ce sont mes parents qui le payent à présent lui, comme tous les fonctionnaires. Donc, il me paye ce coup avec de l’argent qui, en principe, me revient de droit. C’est juste un détournement, mais ce crétin est trop nanti pour se rendre compte que je ne lui devrai jamais rien. C’est vrai ! Son carnet de santé, c’est un sacré ticket pour ne rien branler : cholestérol de Jabba the Hutt, respiration de Dark Vador et le foie comme une fraise pourrie. Du coup, ce n’est pas demain la veille qu’on le verra combattre en Afghanistan : on l’a collé aux archives, ce qui s’avère plutôt peinard. Oui, le mot est faible, ne vous imaginez surtout pas qu’il farfouille dans la paperasse du matin au soir ! Tout est informatisé, alors il est collé devant son écran toute la journée, et croyez bien qu’il bosse davantage sur les dernières pornstars ukrainiennes que sur les dossiers des dernières recrues. Il se branle intégralement, et en plus on le paye, non mais je rêve. Moi, je peins du matin au soir sans argent, et je ne serai jamais subventionné. Une résidence d’artistes ? N’y pensez même pas : trop asocial, je ferais flipper tout le monde. Gardez votre fric, je finirai par vivre de mon art, quoi qu’il arrive…
Je me réveille. Mince, qu’est-ce qui s’est passé hier ? Au moins, je suis rentré chez moi. Même dans les vapes, je retrouve toujours mon appartement, le cerveau humain est une machine parfaite. Cela dit, j’ai mal partout. Il y a eu la baston, ouais. Je me suis jeté sur les Mario, mais après… ? Bon, j’essaye de me lever et, aïe, j’ai des courbatures partout. J’allume la lumière et, bordel, c’est la vision d’horreur en panoramique ! D’abord, je vois cet abruti de Yann affalé sur le sol, dans son lit en vomi. Cet irresponsable va bousiller mon plancher ! Je l’ai vraiment ramené chez moi ? Je ne ramène jamais personne chez moi ! Malgré la douleur, je me précipite pour recouvrir mes toiles, c’est mon jardin secret, n’essayez pas de me violer ! La deuxième vision d’horreur, c’est quand je baisse la tête et que je vois mon T-shirt en sang, mon propre sang, je vais mourir ! Alors, je hurle et la baleine échouée se réveille en sursaut.
– Bert’, putain, ferme-la ! Il est tôt et je suis en vacances, je te rappelle !
– Je saigne, Yann ! Ils m’ont poignardé, je suis en train de me vider de mon sang !
Les deux traits irréguliers que formaient ses yeux se changent en deux globes exorbités, et d’un seul coup, il se remet à revomir, oh non ! Ça s’embourbe entre les lattes, je sens que ça va carrément pleuvoir chez les voisins ! Le vandale a l’air mal, mais pas autant que moi :
– Je vais crever, Yann, je le sens ! Je te prierai de bien vouloir détruire mes toiles sans les regarder !
En vrai, ce salaud serait capable de tout garder pour la postérité, comme Max Brod avec Kafka. Un vrai cafard ! Yann relève la tête, son menton dégouline et ses sourcils se froncent. Il se met à m’engueuler, moi, le macchabée !
– Raconte pas n’importe quoi, Bert’ ! C’est pas ton sang, c’est le leur. Qu’est-ce qui t’a pris ? C’était dégueulasse !
– Hein ?
– Faut vraiment que tu trouves un boulot, parce que là tu deviens taré.
– Je comprends rien, Yann. C’est confus, là, j’ai aucun souvenir. S’il te plaît, dis-moi ce qui s’est passé !
– Arrête ton cirque…
– Je te jure ! J’étais dans un état bizarre, je me rappelle juste que tu draguais la fille blonde, là, et puis les gars sont arrivés, alors… j’ai voulu te défendre…
– Tu leur as sauté à la gorge, Bertrand ! Littéralement sauté à la gorge, avec tes dents ! Tu leur as… arraché des bouts de chair, bon sang ! On aurait dit une bête enragée, tu étais complètement possédé !
Ah merde. C’est l’alcool, ça. Et c’est surtout les tapas qui ne m’ont pas calé. Quand même, ça m’étonne. Devant tant de monde, en principe, je sais me contrôler…
– Ben désolé…
L'art moderne et l'art contemporain, autant de charlatans riches à millions, souvent sur argent public, que nous le voulions ou non. Regardez-moi ça, j'ouvre les livres et je vois toutes ces escroqueries sur papier glacé, le bleu de Klein, la pissotière de l'autre, le balai de la Joconde et les boules de Jeff Koons. Maurizio Cattelan passe à peu près, parce qu'au moins il joue cartes sur table : il vend l'espace qu'on lui réserve à des publicitaires, il vole les oeuvres d'autres faiseurs, another fucking ready-made. Duchamp, c'était le début de l'apocalypse. Parlez-moi de Botticelli, parlez-moi de Fra Angelico, de Bosch comme l'autre pétasse ou encore de William Blake ! Mais abattez sur-le-champ tous ces subventionnés, tous ces imposteurs dégénérés, ils nous ont sucé le sang jusqu'à la moelle. Et pendant ce temps-là, je crève de faim, moi qui suis dans la lignée divine.
Warhol a saisi l'époque, on ne pourra jamais le lui retirer. Mais c'était il y a un demi-siècle. Moi-même, je ne dénoncerai jamais la consommation, parce que tout le monde l'a déjà fait. L'art engagé n'en est pas, il est paradoxalement mou. Il me faut du cru, de la réalité, capturer une ère sur le vif. La tauromachie industrielle, les tripes qui volent et les cornes qui tombent, quelque chose comme ça. L'art est absolu ou n'est pas, la demi-mesure n'importera jamais.
- "Success story", Romain Ternaux & Johann Zarca chez Editions Goutte-d'Or.
https://www.editionsgouttedor.com/single-post/2019/01/28/%E2%80%9Csuccess-story%E2%80%9D-de-Romain-Ternaux-et-Johann-Zarca