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EAN : 9782843032448
219 pages
La Dispute (12/09/2013)

Note moyenne : /5 (sur 0 notes)
Résumé :
L’institution scolaire a pour fonction de transmettre les éléments de la culture écrite. Elle y parvient aujourd’hui de façon trop inégale : ses échecs sont de plus en plus problématiques, et il n’y a aucune bonne raison de les accepter.
Entrer dans l’écrit de manière satisfaisante, permettant des études longues, serait-il hors de portée des élèves en difficulté ? Plutôt que d’invoquer une fois de plus les prétendus déficits socioculturels des familles, Jean-... >Voir plus
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« La transmutation d'une pensée sans l'écrit à une pensée qui se meut dans son univers s'est opérée progressivement dans l'histoire de l'humanité à partir de l'invention du système d'écriture, il y a quelque cinq millénaires, en Mésopotamie. Les membres des jeunes générations d'aujourd'hui doivent, chacun pour son propre compte, accomplir à leur tour ce cheminement, l'institution scolaire ayant charge de la conduire à bien ».

Les élèves en difficulté sont souvent présenté-e-s comme ayant un déficit comparativement aux autres élèves. Jean-Pierre Terrail propose d'inverser le questionnement, partir des ressources propres de chacun-e, « insuffisantes, celles-ci expliqueraient leur échec ; suffisantes au contraire, elles inviteraient à porter le regard sur la difficulté de l'institution scolaire à les mobiliser, en sorte d'assurer la réussite de tous ses publics ». Il nous rappelle, entre autres, que « comme tous les humains, les élèves les plus étrangers à la culture écrite sont des êtres de langage », qu'elles et ils « se sont approprié le maniement oral d'une langue ». Ce faisant il tient « son fil rouge » pour l'enquête : « que peut-on « entendre » quand on a accès à la parole, qu'en est-il autrement dit des rapports universels entre langage et entendement ? ».

Comme l'auteur l'indique en note, son précédent ouvrage de l'oralité. Essai sur l'égalité des intelligences, La Dispute 2009, "abordait déjà une partie de ces questions. Celui-ci étant épuisé, j'ai préféré le refonder plutôt que le rééditer, en allégeant l'analyse des ressources de l'oralité d'une partie de son appareil critique, et en argumentant les conséquences que l'on peut en tirer concernant les apprentissages scolaires de la culture écrite ».

Je n'arborerai que certains thèmes traités dans le livre.

Jean-Pierre Terrail analyse les changements induits, pour la pensée, par l'invention de l'écriture, « écrire est tout autre chose que transcrire », le déploiement de l'esprit critique, le volontarisme de l'énonciation, les relations intelligibles aux autres. Il nous rappelle aussi que le maniement et l'apprentissage des signes graphiques « sont nécessairement des activités séparées, à l'écart ». Les enfants n'accèdent pas par eux-mêmes au propre de la culture écrite. L'écriture est une technologie qu'il faut assimiler « la disposition de l'instrument ouvre un champ de possibles… qui se réalisent si l'on s'en sert ».

L'auteur analyse l'idéologie du « don », et de ce qui est mal-nommé « handicap socioculturel ». Il souligne que « l'héritage des uns ne justifie pas l'échec des autres » et que la seule question en matière d'échec est celle des ressources propres dont disposent les élèvent concerné-e-s.

Pour sa démonstration sur ces ressources propres, Jean-Pierre Terrail critique, entre autres, les conceptions de Jean-Jacques Rousseau, le logocentrisme occidental « L'imaginaire occidental adore s'arroger l'exclusivité du concept et de la raison ».

J'ai particulièrement été intéressé par le chapitre sur le « langage et l'entendement », l'abstraction, le raisonnement logique (« bien avant d'entrer dans le lire-écrire, l'enfant a appris à manier le pourquoi, le parce que et le puisque, et il est soumis à leur pouvoir de contrainte : savoir parler, c'est pratiquer le raisonnement logique, connaître et accepter sa force »), la réflexivité (« Cette propriété majeure du langage humain – la réflexivité de la langue – a une très grande portée. Elle implique que la pensée réflexive ne saurait être considérée comme l'apanage de la culture lettrée ») comme effets de pensée. Il conclut : « l'entrée dans le langage donne accès au maniement de l'abstraction, du raisonnement logique, de la pensée réfléchie ».

Jean-Pierre Terrail aborde ensuite les sociétés sans système d'écriture et leurs capacités à penser le monde, interpréter les événements, classer les êtres, mettre l'espace en schéma, à faire usage des mathématiques, au plaisir de la logique. Il montre ainsi « la proximité des formes de l'esprit humain » en ajoutant que « Séduisante par son balancement, l'opposition entre maîtrise pratique et maîtrise théorique ne saurait constituer un principe différenciateur des cultures ». Il poursuit par des analyses sur le langage, sur ce que sont les cultures orales. Je souligne les beaux passages sur les arts poétiques, les formes de la parole, les jeux de mots.

L'auteur traite ensuite de « l'oralité dans les sociétés littératiennes », de l'enfant et du langage. Il critique les biologismes de Noam Chomsky et de Jean Piaget. L'enfant est toujours dans le langage, sa perception est structurée par la langue, le langage permet les apprentissages de la pensée. Je souligne le passage sur la dynamique des acquisitions. Parler est autre chose que mémoriser une liste de noms : « c'est apprendre à agir verbalement, à des fins d'expression, de communication, de réflexion ; et pour cela l'enfant a d'emblée besoin de la syntaxe ». Ou pour le dire autrement « apprendre à parler est une activité intellectuelle ».

Les enfants apprennent à parler, ce qui leur donne « accès aux ressources universelles du langage humain ». Et l'auteur montre que les différences sont trompeuses, que les écarts dans le maniement de la langue ne devraient pas faire « obstacle à une scolarisation normale ».

Il y a donc égalité des intelligences, malgré la volonté de certain-e-s de dénier cette intelligence, hier aux femmes, aux esclaves, aux colonisé-e-s, ou aujourd'hui aux enfants des classes populaires, aux enfants d'immigré-e-s, etc. Égalité des intelligences et non identité des intelligences. L'auteur insiste « les compétences intellectuelles de l'oralité s'avèrent insusceptibles, par quelque bout qu'on les prenne, d'être opposées aux compétences lettrées comme une maîtrise purement pratique du langage pourrait être opposée à sa maîtrise symbolique ». Il faut donc rechercher non les insuffisances des ressources dont disposent les enfants pour apprendre à lire et à écrire mais rendre compte des échecs dans la scolarisation réellement existante.

Jean-Pierre Terrail analyse la fabrication des inégalités scolaires, sans traiter celle entre les filles et les garçons. Il nous rappelle l'école unique n'est pas une école égalitaire mais « une école de l'égalité des chance » dans des rapports sociaux qui créent et renforcent les inégalités, que la règle aujourd'hui est de donner moins à celles et ceux qui ont moins. Il propose des pistes pour une démocratisation de l'école, dont la suppression des classements, des sélections, des notes, la mise en place d'un tronc commun jusqu'à la fin de la scolarité obligatoire à 18 ans. Voir sur ces sujets,GRDS : L'école commune. Propositions pour une refonte du système éducatif,La Dispute 2012. « C'est cette culture de l'échec qu'il s'agit de battre en brèche pour réussir la démocratisation de l'école».

L'auteur propose aussi une indispensable mutation pédagogique et l'abandon d'«une pédagogie du manque et de la compensation ». Il convient de partir des capacités abstraites et logiques dont disposent les élèves, de ne pas « ruser avec les exigences des apprentissages intellectuels ». Il s'agit d'un « refus radical du renoncement pédagogique ».

Un livre important tant pour ses analyses que pour les pistes d'émancipation tracées.
Lien : http://entreleslignesentrele..
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
C’est cette culture de l’échec qu’il s’agit de battre en brèche pour réussir la démocratisation de l’école
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« bien avant d’entrer dans le lire-écrire, l’enfant a appris à manier le pourquoi, le parce que et le puisque, et il est soumis à leur pouvoir de contrainte : savoir parler, c’est pratiquer le raisonnement logique, connaître et accepter sa force »
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les compétences intellectuelles de l’oralité s’avèrent insusceptibles, par quelque bout qu’on les prenne, d’être opposées aux compétences lettrées comme une maîtrise purement pratique du langage pourrait être opposée à sa maîtrise symbolique
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Cette propriété majeure du langage humain – la réflexivité de la langue – a une très grande portée. Elle implique que la pensée réflexive ne saurait être considérée comme l’apanage de la culture lettrée
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Ne pas accepter de ne pas comprendre, ne pas accepter de ne pas se faire comprendre
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Video de Jean-Pierre Terrail (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Jean-Pierre Terrail
Conférence de Jean-Pierre Terrail à Nantes, le 2 décembre 2010. Partie 2.
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