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Critique de hervethro


« Quelle passion de la grandeur et de l'absolu nous a fait fuir la douceur de vivre pour violet l'orgueilleuse solitude de ce désert vertical ? »
Ce récit, paru pour la première fois chez Gallimard en 1961 et dès lors, constamment réédité avant de tomber dans la prestigieuse collection de chez Guérin, l'éditeur Chamoniard par excellence, est considéré comme LE livre de montagne.
La littérature des cimes se résume en se divisant en deux catégories bien distinctes : le roman de montagne dont « Premier de Cordée », à peine imaginé par Frison-Roche, reste la référence absolue et les nombreuses biographies ou récits d'ascensions des plus grands alpinistes.
- Pourquoi gravissez-vous ces montagnes au risque de votre vie ?
A cette question définitive des béotiens ou journalistes en tout genre, Mummery, un anglais de l'âge d'or de l'alpinisme (seconde moitié du XIXème), que l'on considère comme l'inventeur de l'alpinisme moderne, avait eu cette réponse tout aussi formelle :
- Parce qu'elles sont là.
Il faut reconnaitre que parmi les nombreux ouvrages mettant en scène les hauts faits des plus grands noms de l'alpinisme, la grande majorité ne présente un intérêt que pour les amateurs d'azurs purs, d'aubes glaciales, d'un rocher franc et sain, d'étendues de glace et de neige et d'un dépassement de soi. Car, comme le fait si bien remarque Terray, on ne combat pas la montagne mais ses propres faiblesses. Toujours le même canevas : l'appel des cimes, la volonté comme itinéraire, le combat avec le rocher et les conditions météorologiques, enfin la victoire… ou l'échec. le tout agrémenté de détails et précisions techniques un peu trop rébarbatives pour de simples amoureux de mots et de phrases.
De fait, s'il doit ne rester qu'un seul ouvrage relatant les aventures de funambule entre ciel et terre, ce sont bien ces « conquérants ».
D'abord le titre. S'il évoque les orients lointains chers à Malraux, il résume parfaitement la situation. Il n'y a rien, en effet, de plus beau et de plus grand que l'acte gratuit. Et cela était déjà une gageüre dans les années d'après guerre. Je souris malgré moi quand Terray déplore le ronronnement de la civilisation lorsqu'il virevolte sur les aiguilles de Chamonix, toutes situées juste au-dessus de la capitale de l'alpinisme. Que dirait-il aujourd'hui ?
Si la lecture des « conquérants » peut être abordée par n'importe qui, c'est, d'une part, parce que l'auteur n'utilise pas (ou peu) des termes trop techniques et que, surtout, sa prose est fluide et élégante. On sent le goût immodéré de la lecture chez cette force de la nature. Car, contrairement à certains de ses contemporains, Terray n'a rien du pur grimpeur se jouant du vide dans de superbes chorégraphies, semblant survoler le granit, danser avec la roche. Non, Terray, c'est du lourd, du costaud. Capable d'enchainer les marches d'approche, les longues liaisons glacières tout en gardant le tonus nécessaire pour passer en force là où un Lachenal, animé des mêmes idéaux et pourtant si différent, utiliserait toute l'élégance et la grâce dont il était capable.
Terray ne s'enferme pas dans ses montagnes Chamoniardes. Avec lui, on traverse la période d'occupation parmi les résistants du Beaufortain, on séjourne une saison au Québec, on participe à l'aventure du Premier Huit Mille et on traverse même l'Atlantique pour aller se frotter aux cimes d'Amérique du Sud. Un récit qui sonne comme un roman, la finesse d'une sacrée plume en plus. Dans ses voyages sur les plus hautes montagnes du monde, on sent bien que Terray se passionne autant pour les gens que pour les sommets.
« Enfin le rêve prenait forme, l'Himalaya était là, déjà nous pouvions toucher les premières vaguelettes de cette tempête que la terre a lancé à l'assaut du ciel ».
Et puis, il est question de cette corde, qui symbolise si bien l'union de deux volontés face à l'adversité. Car Terray ne concevait pas la montagne en solitaire.
Son équipage avec Lachenal (dont j'ai mentionné ici même les excellents « carnets du vertige ») reste légendaire.
Il raconte sa rencontre avec le phénomène, dont la naissance n'est séparée que d'une semaine pile et d'une petite centaine de kilomètres, Terray voyant le jour dans la cuvette Grenobloise tandis que Lachenal ouvrait ses yeux si curieux au bord du lac d'Annecy en ce même mois de Juillet 1921. L'un comme l'autre ne connaitra pas les joies d'une retraite paisible (du reste, l'auraient-ils supporté ?). Lachenal est avalé par une crevasse dans le massif du Mont Blanc en 1955 tandis que Terray lui survécut pile 10 ans de plus avant de dévisser dans le massif du Vercors.
Voici comment Terray parle de leur première rencontre. Ca se passe à Annecy.
« Ne sachant comment occuper mon temps, j'errais dans les rues, lorsqu'un jeune homme pauvrement vêtu, poussant une vieille bécane d'une main et tenant un bidon de lait de l'autre, s'approcha de moi en me dévisageant sans discrétion :
- Est-ce que vous n'êtes pas Lionel Terray ? me questionna ce curieux interlocuteur.
Ce visage pâle et maigre où brillaient deux yeux très vifs ne me rappelaient rien, et l'aspect assez minable de ce garçon me fit, un instant, penser à un chômeur. Après avoir répondu par l'affirmative, je lui demandai son nom. »
Rien que de très banal, n'est-ce pas ?
Pourtant, voici la version de Lachenal (le livre est cosigné par Gérard Herzog, frère de Maurice) :
« Un jour, après avoir fait quelques emplettes, il se promène dans la rue, un pot de lait d'une main, de l'autre un cabas suspendu au guidon d'une bicyclette, lorsqu'un militaire l'interpelle :
- Lachenal !
Louis s'approche, et, reconnait Lionel Terray. «
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