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3,84

sur 1519 notes
Brillant. Carrément brillant.
Et je ne parle pas que de la couverture de l'édition de poche.
Je parle du roman, et de son auteur Steve Tesich, paix à son âme pour notre plus grand malheur à nous, pauvres lecteurs désormais privés de son talent.
Mais en aucun cas je ne parle du personnage principal, Saul Karoo, quinquagénaire plutôt peu reluisant. Ou alors il faudrait dire de lui qu'il brille par son cynisme, sa lâcheté et son égoïsme. Un type pathétique et détestable. Ce qui n'empêche pas la « profession » de lui reconnaître depuis longtemps un talent certain : Karoo est doué pour réécrire des scenarii de films de façon à les calibrer « purs produits hollywoodiens grand public », quitte à massacrer des chefs-d'oeuvre en puissance.
Ce stéréotype de l'antihéros, qui se rêve en Ulysse au coeur d'une odyssée futuriste, est un raté. Son mariage, son fils adoptif, son assurance-maladie, sa santé, tout lui échappe. Même l'ivresse se refuse à lui, malgré les litres d'alcool qu'il ingurgite à la moindre occasion. Limite cinglé mais terriblement lucide sur lui-même, Karoo est incapable de sincérité. Menteur patenté, à force de manipulations et d'hypocrisie, il perd de vue la réalité, aveuglé par son déni. Jusqu'au jour où un éclat de rire sur une cassette-vidéo le bouleverse et laisse espérer que sa carapace de superficialité va bientôt exploser.
Et là, de détestable, Karoo en devient presque touchant. En tout cas pour le lecteur. Parce que sa future ex-femme continue à le trouver ridicule et méprisable.
Sur la voie de la rédemption (croit-il), Karoo tente alors de sauver les meubles de sa vie, de recoller quelques morceaux, de remplir le vide intersidéral de son existence. Il se voit en artisan d'un happy end en guimauve technicolor, grâce auquel le vrai Saul Karoo serait enfin révélé au monde.
Critique féroce d'une certaine industrie cinématographique cheap et sentimentale made in US, mais aussi d'une société superficielle, égoïste et décadente, ce roman pourrait être désespérant. Mais l'humour – noir, cynique – est présent à toutes les pages. Entre Ulysse et Oedipe, le roman de Karoo est une tragédie moderne dramatiquement drôle, avec des moments de réelle tension, voire d'émotion.
Un grand roman américain, magistralement écrit et traduit.
Virtuose.
Saisissant.
Brillant.

De la littérature, quoi.
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Une pépite, carrément !
Embarquée dans cette aventure américaine d’environ 600 pages tout de même, je n’ai pas vu le temps passer. C’est dire combien l’histoire m’a parue palpitante. J’attendais la baisse de régime, le coup de mou…et bien non, même la chute finale est imprévisible, maitrisée.
Ce roman original - un scénario peut-être - est très bien construit, entièrement narré par un héros à bout de souffle, en pleine crise de la cinquantaine, qui finit presque par devenir sympathique alors qu’il a vraiment tout pour inspirer le rejet. Il faut dire que l’auteur, Steve Tesich, décédé en 1996, peu après avoir achevé ce roman, a été scénariste, ce qui explique sans doute l’efficacité du récit et de son écriture. Je tiens d’ailleurs à souligner que la traduction doit être remarquable, tant la lecture est fluide.

1991, entre New-York, L.A. et Pittsburgh, j’ai donc suivi sans trop le lâcher, un « script doctor » à succès d’Hollywood, Saul Karoo, la cinquantaine friquée, alcoolique, sans scrupule, perpétuellement en instance de divorce, un fils adoptif délaissé, et un nombre incalculable de névroses, maladies. Bref, l’homme instable à fuir, d’où probablement son vide affectif chronique.
Le roman démarre sur un constat : quelque soit la quantité d’alcool ingurgitée, il lui est devenu impossible de s’enivrer, lui, l’alcolo notoire. Il ne supporte plus non plus aucune forme d’intimité. C’est sûr, il file un très mauvais coton et…il le sait parfaitement.

Entre fuites en avant permanentes et tentatives de rédemption, Saul Karoo va tenter tant bien que mal de sortir de l’impasse où son mode de vie l’a mené.
C’est cynique, incisif, souvent drôle et extravagant, fort intéressant aussi car sous les excès pointent des bribes de réflexion et de sagesse inattendues.
Pour moi, c’est évident, Steve Tesich avait « le talent et l'élan créateur pour devenir écrivain ».  
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J'ai pris ma dose de Karoo chaque soir, un peu comme une dose d'héroïne. Injectée dans le sang. Un plaisir intense et brulant. Un poison violent qui nous fait sombrer dans la dépendance. Ce roman de Steve Tesich est un magnifique pavé comme on a trop peu l'occasion d'en trouver.

Karoo est le personnage principal de l'oeuvre. Il est un anti-héros. Physiquement plus proche d'Homer Simpson que de l'Ulysse d'Homère. Pourtant l'Odyssée imprègne ce roman et la destinée de Saul Karoo. Une « Space Odyssée » assez Kubrickienne en fait. Il y a pléthore de références à l'oeuvre Homérique ; mais celles au cinéma sont plus nombreuses encore.

Le cinéma justement. Saul Karoo est un repriseur de scenario. Reconnu comme un expert dans son domaine et ayant fait fortune à Hollywood, il découpe et recoud des films mal fagotés. Il recompose à la perfection des scripts ou des montages mal fichus, mais pour sa vie qui part en lambeau, il est bien incapable de faire montre de la même dextérité. Chez lui, tout part à vau-l'eau. Son ex-femme le méprise, il est incapable de montrer le moindre signe d'affection à son fils, sa santé se détériore de façon tout à fait préoccupante et il n'arrive même plus à se saouler malgré des quantités astronomiques d'alcool ingurgitées…

Un instant il entrevoit une destinée enfin heureuse lorsqu'il rencontre une femme dont l'image (et le rire) le touche profondément. Il l'a découvre dans une oeuvre cinématographique parfaite qu'il décide délibérément de massacrer pour la mettre en valeur et pour répondre aux exigences d'un producteur que pourtant il hait. Tous les ingrédients de la tragédie sont posés.

Steve Tesich nous plonge dans une chute sans fin, bouleversante et furieusement drôle. Un puits à la profondeur vertigineuse. On y jette un caillou, aucun son ne nous indique qu'on n'en touchera jamais le fond. On s'y précipite néanmoins.

14 octobre 2012
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Est-ce l'histoire d'un homme ou est-ce l'histoire d'un monde ? En tant qu'homme, Karoo s'est toujours senti isolé. Il tire son sentiment d'existence de cette solitude monadique qui l'empêche de communiquer avec les autres. Voilà sa force, mais voilà aussi son désespoir, voilà pourquoi Karoo oscille sans cesse entre badinerie et ironie.


Alors qu'il aimait se payer des cuites régulières, Karoo réalise un jour que plus aucune substance ne parvient à le tirer hors de lui-même. Les verres de whisky peuvent bien s'aligner, sa lucidité reste d'une précision alarmante. Toutefois, Karoo continue à simuler l'ivresse pour satisfaire les attentes de ses congénères. Alcoolique il fut, alcoolique il restera, tel est le blason qu'il doit continuer à porter car le monde est un grand plateau de cinéma sur lequel chacun doit jouer son rôle du début jusqu'à la fin de son entrée sur scène. La métaphore est bien connue mais Steve Tesich la décline sur des modes variés qui offrent une souplesse de visualisation rare. Trois niveaux s'imbriquent : sur la scène de la vie, Karoo retape des scénarios de cinéma pour produire des soupes commerciales, jusqu'au jour où il tombe sur une vidéo dans laquelle il reconnaît Leila, la mère de son fils adoptif Billy. Non seulement Karoo décide de rechercher cette actrice pour l'inclure dans sa vie au premier niveau, mais aussi afin de transformer cette mauvaise scène du père fuyant qui renie son fils en scène du père aimant. Karoo concrétise ses ambitions mais avance toujours avec hésitation, conscient de la précarité de ses réalisations. Il suffirait d'une grimace pour que l'ensemble du jeu s'effondre. Concentré sur le rôle qu'il doit jouer, il se ferme sur la plupart des informations qui proviennent de l'extérieur. Karoo ne parvient jamais à sortir de lui-même et plus il voudrait aimer, moins il y parvient, parce que les objets de son élection sont trop inconsistants et s'évanouissent plus vite qu'une figure de cinéma.


Karoo est à la fois médiocre et brillant. Brillant, parce que l'évidence eschatologique lui brûle les yeux, l'infinie complexité de l'univers recréant le chaos cosmique dans sa façon d'appréhender les événements anodins d'une existence. Rongé par cette affirmation que « la vie […] n'est pas dépourvue de sens » mais qu' « elle est au contraire tellement pleine de sens que ce sens doit constamment être annihilé au nom de la cohésion et de la compréhension », Karoo essaie d'épurer le flux d'informations qui lui parvient, et c'est à cet endroit qu'il se montre médiocre. Pourquoi s'évertue-t-il à épurer en ne gardant que les aspects négatifs qui lui parviennent ? Pourquoi ne parvient-il pas à se transcender d'une manière qui soit satisfaisante pour lui, et donc pour les autres ? Karoo est peut-être un homme imbu de lui-même, à moins que ses congénères ne soient véritablement pas à la hauteur de ses conceptions. Son histoire se hissera bientôt jusqu'à la conversion religieuse, non pas tant que Karoo se sente soudainement proche de certains dogmes établis précis, mais parce qu'il rejoint l'illumination archétypique des prophètes, en tant que celle-ci exprime, dans son sens profond, la vie secrète et inconsciente de chacun, mais dont seuls quelques élus peuvent être conscients.


Karoo ne pouvait pas aimer seulement une femme, ou un fils, ou un ami ni même une profession ou un idéal de vie. Karoo trop médiocre pour le monde, ou le monde trop médiocre pour Karoo ? L'itinéraire reproduit les frasques d'un Zarathoustra nietzschéen : il faut aller très loin pour revenir apaisé. C'est peut-être, aussi, le sens primordial du message christique.

Lien : http://colimasson.over-blog...
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Il en est de la littérature comme de la conversation : certains sont plus doués que d'autres. On connaît ces champions des soirées entre amis qui accaparent l'attention quelque soit ce qu'ils vous racontent. Un talent de conteur. L'écriture peut donner lieu à ce phénomène : un don subtil pour captiver le lecteur. Steve Tesich est un magicien du genre. Plus de 600 pages pour un récit à la première personne pour une histoire qui pourrait tenir dans les quelques pages d'une nouvelle. Oui mais voilà, le narrateur donne rapidement l'impression de faire partie de la famille. Pas de forfanterie, ni de complaisance. Au contraire, Saul Karoo est suffisamment lucide pour dresser de lui-même un portrait au vitriol, qui le rend attendrissant. Il cultive l'autodérision à l'extrême. Quant aux portraits des relations de Karoo, ils sont dressés avec un sens aigu de l'observation, sans aucune méchanceté.

Le décor est essentiellement new-yorkais avec quelques incursions sur le reste du territoire américain, et les personnages évoluent dans le milieu du cinéma.

Karoo, persuadé de n'avoir aucun don de création réussit à merveille dans la correction de scénarios. Il est en train de divorcer et éprouve des difficultés pour prouver à son fils adoptif qu'il l'aime.
Si l'on ajoute à cela les soucis d'un corps malmené après quelques décennies d'excès en tout genre, la vie n'est pas une sinécure, le comble étant une soudaine insensibilité aux effets de l'alcool, qui lui interdit ce refuge de paradis artificiel. Jusqu'à ce qu'un film à édulcorer vienne bouleverser le destin de moultes personnes.

Cette intrigue cornélienne prend son temps. Elle se met en place peu à peu, on a le temps de voir arriver les drames qui se dessinent, tout en savourant le portrait doux-amer, avec quelques pointes d'une acidité grinçante

Finalement si l'on compare au dernier livre de James Salter, le thème et les personnages ne sont pas si différents et pourtant la lecture est infiniment plus séduisante ( à mon humble avis), que dans Et rien d'autre, qui n'avait pas réussi à me convaincre.

Un roman qui justifie le battage médiatique qu'avait occasionné sa sortie en France.


Lien : http://kittylamouette.blogsp..
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Attirée et séduite par la remarquable couverture sable en relief et par ce titre mystérieux (on découvrira très vite que c'est le nom du principal protagoniste), je n'ai pas été déçue (bien au contraire !) par ce roman posthume d'un auteur totalement inconnu (dramaturge et scénariste , il a été récompensé d'un Oscar pour le scénario de la bande des quatre, de Peter Yates). On ouvre Karoo pour être immédiatement happé par le style unique, l'ambiance faussement feutrée et la férocité du livre. Un livre aux multiples facettes, fascinant et insaisissable, sans cesse surprenant au fur et à mesure que l'on avance dans la lecture. Karoo, ou l'histoire à la fois burlesque et tragique d'une déchéance.

Saul Karoo, l'une des petites mains qui oeuvrent dans l'ombre des producteurs d'Hollywood, vit dans les milieux huppés new-yorkais. Capable de transformer le moindre projet de film en un succès planétaire, la moindre ébauche de scénario en un script parfait, Saul transforme la maladresse en talent, l'art en dollars, sans remords ni complexes, avec lucidité et cynisme s'il le faut. Pourtant la vie de Saul Karoo est un désastre. Il n'a plus vingt ans, loin de là, et son corps le lâche petit à petit. Dernière maladie en date: l'impossibilité de s'enivrer, même en ingurgitant des litres d'alcool à l'infini. Son mariage est un champ de ruines, et son divorce au point mort. Souffrant d'une forme de phobie de l'intimité, il néglige son fils et le fait souffrir. Saul a tout trahi, manipulé chacun de ses proches, rendu irrespirable la vie à ses côtés. Mais Saul a des envies de rédemption, et un jour une chance s'offre à lui d'effacer une partie de son ardoise, du moins l'espère-t-il. Car à force de se prendre pour Dieu, il se pourrait bien que tout finisse par lui exploser à la figure…

Truffé de références pertinentes au patrimoine culturel mondial, servi par une construction narrative impeccable et une écriture étincelante Karoo s'impose comme un roman très américain sur le mensonge, la culpabilité et la rédemption ainsi que sur l'agonie d'une époque en nous replongeant dans l'Amérique des années 90. Est-ce le détachement à toute épreuve affiché par notre héros éponyme, son humour grinçant ou le pétrin dans lequel il va se mettre alors qu'il croyait si bien maîtriser les choses ? Toujours est-il que ce roman signé par Steve Tesich est complètement addictif. Un livre très dense, tout à fait étonnant, absolument foutraque, cynique, brillant, inventif, à l'humour corrosif, féroce, captivant. Totalement hors norme. Avec des scènes formidables : celles des repas de Karoo avec Dianah, sa femme et avec Cromwell, producteur véreux, au cours desquels tous se donnent en représentation, celle où il passe un examen médical, celle où il rend visite à sa vieille maman, sans oublier les 20 pages finales hallucinées dans lesquelles Karoo revisite l'Odyssée. Derrière ses allures de roman échevelé, Karoo se lit comme une fable morale désabusée. 607 pages d'un récit qu'une fois commencé on ne peut lâcher. 
 Un régal !
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L'écriture de Tesich est extrêmement imagée et a la capacité d'aller fouiller dans les méandres obscurs de notre inconscient pour réveiller des souvenirs, des sensations ou des pensées…
Parfois un simple mot, une tournure de phrase ou une description suffisent à déclencher une sensation de "déjà-vu" et on se met à trouver des parallèles et des rapprochements avec des situations vécues.

J'ai une admiration sans bornes pour ce type d'écriture, qui m'a rappelé Herzog de Saul Bellow ou La conjuration des imbéciles de J.K Toole.

Il y a une sorte d'intelligence palpable dans la construction des personnages qui va au-delà de simplement raconter une histoire.
Les personnages ne sont finalement que des objets au service de l'auteur pour exprimer sa vision de la société et de ce que peuvent devenir les hommes dès que la foi en quelque chose de plus grand les quitte et dès que la médiocrité et la banalité prennent possession du monde qui les entoure.

L'incapacité à nouer des relations intimes avec des gens que nous aimons le plus est traitée ici avec désillusion et cynisme, mais laisse un goût amer de vérité.

La désintégration psychique qui ronge Saul Karoo nous a certainement déjà frôlée au moins une fois de près ou de loin et nous savons cette menace réelle et dangereuse.

Réécrire des scénarios de films comme si nous pouvions réécrire tous les chapitres ratés de nos vies, leur apporter les améliorations nécessaires, effacer les culpabilités et les erreurs… une jolie utopie pleine de bon sens!

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Saul Karoo est bien étrange : insensible à l'alcool alors qu'il voudrait tellement être ivre, fermé et malgré tout plein d'humour, aimant son fils mais ne supportant pas le voir en tête à tête, détestant l'homme qui lui procure son travail mais lui passant ses quatre volontés…J'arrête ici, je ne veux pas dévoiler cette histoire sidérante.

Ce type bourré de contradictions nous mène en bateau pendant 592 pages. En tout cas, moi, malgré son air cynique aux yeux de tous, je l'ai trouvé attendrissant, surtout face à sa harpie d'ex-femme.
J'ai adoré suivre sa vie dans ses méandres les plus tortueux : car quand le producteur de cinéma (qu'il déteste, n'oublions pas) lui propose un travail crapuleux, il va tomber sur des écueils de taille, à commencer par l'amour.

On a comparé Steve Tesich à Philippe Roth, je vais lire Philippe Roth.
J'ai été plongée au coeur de l'Amérique, de ses faux-semblants, de son hypocrise et de ses mensonges.
Steve Tesich n'est pas tendre avec ses contemporains, non. Et pourtant, j'ai l'impression qu'il les aime, quand même.

Vous ne me croyez pas ? Eh bien lisez ce roman éblouissant, jusqu'à la dernière ligne.
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Tout a été dit déjà :
Extrait :«  Saul sait tout sauf ce qu'il faut faire avec ce qu'il sait ».
Le narrateur évoque aussi : «  La soupe psychique de mon esprit. »

Ou l'odyssée féroce , sans concession du naufrage d'un homme pathétique, cynique et malsain , peu sympathique au demeurant , dont la déchéance dés le début de l'ouvrage semble inéluctable.

Les 200 premières pages très drôles bousculent le lecteur. ...

Portrait d'un personnage pathétique à la personnalité très particulière , gros, gros fumeur et alcoolique , «  écrivaillon » soi - disant sans talent ,riche consultant, qui «  réécrit » des scénarios et «  sauve » le travail des autres.
Mais ce n'est pas si simple ...

Cet handicapé du sentiment ,instable, imbu de lui - même , manipulateur ,odieux , sans ami, pétri de paradoxes, se ment à lui- même et sa vie est faite de mensonges jusqu'à ....mais je n'en dirai pas plus...

Un anti-héros , ou l'auto - portrait d'un narrateur quand il comprendra «  ne plus être un être humain » une chute sans fin qui bouleverse, semblable à un puits , où l'on jette un caillou qui ne rejoindra jamais le fond ...

Une fiction alerte, sarcastique, vertigineuse, originale , extravagante qui critique vertement la société américaine et l'industrie cinématographique au sein d'une société superficielle et décadente...
Un livre atypique trop long ...et la phrase «  je fume une cigarette ou j'allume une autre cigarette » sans cesse répétée...Lassant ...


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On n'est jamais le scénariste de sa propre vie.

Les Grecs nous apprennent que l'hybris guette et rattrape celui qui à l'instar de Saul Karoo, après des années de sous-estimation de soi, se prend soudain pour Dieu et croit pouvoir réparer, parce qu'il a quelque talent pour cela, le scénario bancal et les manques douloureux de sa propre vie. Et les vieux mythes de ce même peuple grec - celui d'Oedipe qui meurt d'avoir voulu orchestrer sa vie et la mène au désastre et celui d'Ulysse qui s'absente si longtemps de la sienne qu'à force de la rêver, il la perd pour toujours quand il croit enfin la rejoindre-ces vieux mythes éternels, donc, parrainent dignement cette moderne résurgence de la Tragédie Humaine.

Comme me l'annonçait pourtant la première de couv' raffinée des éditions Monsieur Toussaint Louverture, avec ses étranges pugilistes jumeaux, cravatés et sans tête, je viens de me prendre un grand coup de poing dans la gueule et je crois que je vais, séance tenante, changer un de mes six- livres- pour –une- île- déserte : Karoo va de toute évidence évincer l'un d'eux et prendre, dans mon panthéon littéraire, une place de choix.

. Karoo – le pays de la soif en khoïkhoï nous dit plaisamment l'éditeur- est la plus forte émotion, le plus grand coup de coeur littéraire depuis bien longtemps. Les 5 étoiles ne suffisent pas à en évaluer les qualités : il y faudrait une pléiade…mais la constellation est déjà prise !

J'ai évidemment commandé Price, le tout premier livre de Tesich, après cette révélation tardive -bien des babeliotes avisés l'ont connue avant moi. Mais je sais déjà que rien ne pourra m'étonner, me faire rire, pleurer, me séduire, me bouleverser, me faire réfléchir comme ce dernier livre-là. Car Tescih est mort brutalement peu après sa parution. C'est donc une sorte de testament, plein d'humour et de déchirante tendresse, mais c'est le mot de la fin..Je ne pourrai qu'aller à reculons à la découverte de ce grand écrivain, scénariste de cinéma- La bande des quatre, le monde selon Garp,…- qui se croyait écrivaillon alors qu'il avait tant de choses à dire et avait trouvé un ton si particulier pour le dire- j'ai pensé à Philip Roth, mais avec une émotion tout à fait différente : le rire est moins grinçant, la rigolade est toujours toute proche d'un redoutable pincement au coeur…

Qu'y a-t-il de plus extraordinaire que de s'attacher, comme à un très vieil ami, à Saul Karoo, cet antihéros dérisoire et à bien des égards odieux- n'est-il pas lâche, mythomane, pusillanime, d'un égocentrisme crasse ? - et plus étonnant encore de souffrir avec lui de toutes ses turpitudes tant il se montre d'une impitoyable lucidité à l'égard des rapports humains qu'il entretient ...avec une stratégie très au point de l'évitement ?!

Mauvais père, mauvais époux, excellent scénariste mais incapable de résister aux sirènes de la flatterie qui l'engagent dans tous les mauvais coups, Karoo est frappé d'étranges « maladies » qui sont comme la somatisation du regard décapant qu'il jette sur lui-même : il boit comme un trou mais ne ressent même plus l'ivresse, qu'il est contraint de feindre pour satisfaire la compassion méprisante de son entourage ; il redoute l'amour des siens- celui de son fils adoptif en particulier- et le fuit dans toutes les échappatoires que lui offre le cortège des Banalités, merveilleux dérivatif aux conversations profondes et aux face-à-face sincères. Il craint la maladie, la décrépitude mais fait en sorte de ne pas être assuré contre leurs atteintes et la déchéance qu'elles entraînent…

Un jour, le hasard- mais y a-t-il un hasard dans ce récit fait au moule de la tragédie antique, même s'il a souvent le ton de la farce ?- le hasard, donc, lui offre la possibilité de donner un sens à sa vie, de sauver ceux qui ont son amour en le leur témoignant, enfin, de façon éclatante – mais au prix d'une trahison qui n'engage justement que sa probité et son talent professionnel.

Pas grave : l'Art a si souvent sacrifié les individus, c'est bien à son tour de l'être pour que les individus soient sauvés.

Mais tel Oedipe fuyant l'oracle qui le menace, et se jetant dans la gueule du loup, Saul précipite la catastrophe en scénarisant la vie des siens, et celle-ci s'accomplit comme dans la tragédie le meurtre du père, au carrefour des Trois Routes, au confluent des trois fleuves de Pittsburgh..

Ne reste plus , alors, qu'un vieil Ulysse malade, recru de fatigues et de douleurs qui ne retrouve à Ithaque ni ses rêves, ni son foyer, ni lui-même.

Cette grande ombre philosophique et pensive de la Tragédie donne au récit sa profondeur, son vibrato

Mais Karoo n'est pas une lecture au sérieux rebutant : le ton ironique, la formulation à l'emporte-pièce souvent réjouissante d'insolence, les portraits acidulés des personnages- une ex-épouse aux robes « zoologiques » pontifiante et emmerdante à souhait, une actrice ratée, pathétique et attendrissante, un producteur diabolique et manipulateur, un fils désarmant et désarmé –pimentent délicieusement cette gravité.

L'agencement subtil des épisodes et le talent incontestable de scénariste de Steve Tesich font de cette lecture un véritable « page-turner » : voici 600 pages, que j'ai pour ma part dévorées en deux jours, entre le rire salvateur et la tristesse poignante.

Comme dit Karoo, il n'y a pas de petits chefs d'oeuvre : en voici donc un grand, un total, qui satisfait à tous les critères : le goût du style, la pénétration de l'analyse, la richesse de la pensée et l'intemporalité des références.

* Merci à l'amie Caro qui m'a fait découvrir Karoo, et m'a aiguillée sur Babelio , afin d'écouter le chant des Sirènes : Piatka, Viou, merci à vous!
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