Sur une Oural (side-car) de l'ère soviétique des années 30, un ami assis à l'arrière, un autre dans une panière, notre auteur au guidon, trois « candidats au suicide », nous embarquent avec bicorne et drapeau impérial de la Grande Armée du 19 octobre 1812, de Moscou aux Invalides à Paris, pendant quinze jours, sur les traces de sa défaite et du repli.
Ils « embarquent » aussi les écrits de Caulaincourt, grand écuyer de Napoléon, ceux du sergent Bourgogne : souvenirs horribles, paroles de Napoléon à son « greffier ».
Deux amis russes les rejoindront distillant leur âme...russe.
Les récits des survivants donnent le ton au périple des aventuriers contemporains : charnier humain, charnier animal, cannibalisme, villes closes, suicides, massacres et le froid, le froid, ennemi n°1 d'une armée non préparée à l'hiver russe.
Mort de centaines de milliers d'hommes qui s'en furent, fiers et aveuglés par le soleil de l'Aigle.
Mort de centaines de milliers de russes opiniâtres brisés dans la poursuite de l'ennemi après le feu bouté à Moscou.
Sacrifiés pour la patrie, sacrifiés à la folie des hommes...
Les étapes de
Sylvain Tesson et de ses compagnons de route donnent un autre ton : un regard porté sur les lieux du désastre, l'effroi et l'épouvante qui y régnaient, le ressenti « confortable » de cette froidure intense, pénétrante, les perceptions et considérations sur cette déroute, le danger de l'engin piloté et des camions qui les frôlent, les lectures...
Un moment intense lorsqu'ils retrouvent dans le cimetière d'Antalkanis l'endroit où furent inhumés plusieurs dizaines de soldats de l'armée napoléonienne en 2003 ! après la découverte d'un charnier à Vilnius.
Comme toujours chez
Sylvain Tesson, ces phrases qui font mouche, une lucidité qui amène son florilège de réflexions misanthropiques ou d'observations sensibles (dans le chapitre 11, belle description du « mouvement »).
L'intérêt de ce livre réside dans l'évocation de cette guerre atroce et lointaine (transformée parfois en folklore dans notre époque avide de reconstitution...).
La réalité nous rattrape au-delà du temps grâce à l'analyse distillée par l'auteur notamment dans le dernier chapitre.
Bien sûr la vodka coule à flot, une ambiance un peu potache en ressort mais l'objet essentiel est ailleurs.
«
Berezina » - Horreur et barbarie.
Je me permets de dire ma joie de savoir l'auteur en voie de rétablissement après ce stupide accident qui fit craindre pour sa vie.
D'autres livres viendront avec d'autres sagesses, je les attends.