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Critique de LesPetitesAnalyses


La relation entre signifiant et signifié fait naître des locutions cocasses. Par exemple ce « motocyclette à panier adjacent » a un côté pratique et descriptif, à la limite du mignon. Je vois déjà une vieille mémé au guidon de sa mopette, fichu sur la tête, se rendant au marché; le « panier adjacent » ne serait pas autre chose que son panier de courses accroché à l'épaule. La définition réelle de cette locution est bien différente puisqu'il s'agit d'un rutilant side-car prêt à avaler les kilomètres de bitume pour le plaisir de deux personnes, l'une étant aux commandes tandis que l'autre à la place du mort – dans le panier.

C'est ainsi que Sylvain Tesson a relié Moscou à Paris en motocyclette à panier adjacent en empruntant le même chemin que pris Napoléon lors de sa Retraite de Russie en 1812. Cela donne le livre Berezina. Analyse.

Le titre du livre est bien évidemment celui de la bataille épique qui opposa l'empire français au russe sur les rives de la rivière Berezina. La débâcle qui suivi est entrée dans le jargon populaire. C'est la Berezina! Qui d'autre que Sylvain Tesson pour nous conter cette histoire à cheval sur la culture russe et française. Ce dandy franchouillard. Cet amoureux de l'âme slave. Ce casse-cou un brin réactionnaire jamais à court d'aphorismes:

« En Russie, l'art du toast a permis de s'épargner la psychanalyse. Quand on peut vider son sac en public, on n'a pas besoin de consulter un freudien mutique, allongé sur un divan. »

Au niveau purement historique, l'auteur français nous apprend qu'une des raisons clés, qui a transformé cette Retraite de Russie en débandade, est le mépris avec lequel Napoléon traitait la météorologie, croyant plus en sa destinée qu'aux lois rugueuses de l'hiver. Il avait beau être un fin stratège, c'est finalement une trop haute estime de lui-même qui entraînera sa chute.

Sylvain Tesson, en coupant le moteur de son side-car Oural dans des endroits stratégiques de l'ancien bloc de l'Est rend non seulement hommage à Napoléon et Koutouzof, ainsi qu'aux centaines de milliers d'hommes morts sur les champs de bataille mais aussi au nombre incalculable de chevaux morts, dépecés, mangés, dont la peau a été utilisée comme vêtements de secours. Ainsi la peinture de Bernard-Edouard Swebach, sobrement intitulée Retraite de Russie, donne une représentation de l'atmosphère générale même si elle ne va pas aussi loin que Tesson dans la description de cette boucherie équine:

« Ils furent les grands martyrs de la Retraite. On les creva sous les charges, on les écorcha vifs, on les bouffa tout crus, à même la carcasse ou bien en quartiers, braisés au bout d'un sabre. Pour les bâfrer, on ne prenait pas l'égard de se détourner des bêtes encore vivantes. »

Au delà de nous conter certaines facettes de l'Histoire, Sylvain Tesson nous livre le récit de son voyage sur les routes de l'Europe de l'Est où il se gèle les miches toute la journée sur son side-car en compagnie d'une poignée d'acolytes eux aussi motorisés. Cela se termine chaque soir, dans un bistro paumé où la joyeuse bande d'adolescents se verse des rasades de vodka jusqu'à plus soif comme dans un film d'Andreï Zviaguintsev. Cela refait le monde à chaque toast, cela se chamaille comme une bande de bons potes et ça décuve, le lendemain, sur les routes de l'Europe de l'Est en espérant que les motocyclettes à panier adjacent ne tombent pas en panne jusqu'à la prochaine étape.

Avec Berezina, Sylvain Tesson nous plonge avec brio dans les détails de cette désastreuse Retraite de Russie où s'est joué le début de la fin pour Napoléon. Grâce à ses digressions personnelles sur le paysage et la géographie de ces mille-quatre-cents kilomètres, l'auteur français (géographe de formation si je ne m'abuse) a réussi à me donner envie d'en savoir plus, non seulement sur ce pan de l'Histoire napoléonienne mais aussi sur ces pays que sont la Biélorussie et la Pologne.
Lien : https://lespetitesanalyses.c..
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