Mettre les gaz, manger la route, vider son vin et s'écrouler le soir sur le bord d'un fossé. Serait-ce moins noble que de vouloir passer à la postérité ? (p. 209)
Rêver d'abord. Agir ensuite. Se créer des souvenirs, rafler des impressions.
Nous traversions des plaines d'insomnie où même nos rêves gelaient.
Il y a beaucoup de gens sur la route :
Ceux qui se prosternent devant Dieu
Ceux qui s'aplatissent devant le Prince
Ceux qui se dressent révoltés
Ceux qui s'en vont tristes et las
Ceux qui s'asseyent à la table des puissants
Ceux qui s'agenouillent devant la beauté
Ceux qui se couchent au pied des motos.
Si l'on croise une silhouette blanche, c'est le fantôme de Lawrence qui se prend pour Hamlet. Il cherche l'équation impossible : comment faire entrer le rêve dans l'Histoire ? Comment promettre sans trahir ? Comment vaincre le Turc sans bafouer le Bédouin ?
Non, monsieur ! l’avenir ne se trouve pas
Dans les boules de cristal, les fausses promesses,
Les rances espérances. Il se trouve dans l’imprévu,
L’imprévu se cache sur la route et la route nous attend.
La moto: seule amante à vous conduire quelque part sans jamais vous demander où vous allez.
Le monde est dans un tel désordre que c'est déjà quelque chose d'avoir un moteur en marche.
Nous décampâmes. Nous partîmes vers les horizons, avec une fièvre dont nous pensions que l’accumulation des kilomètres serait l’antidote alors qu’elle s’en révéla l’excitant. Mais le mouvement apaisait quand même quelque chose. Il atténuait notre mélancolie de n’avoir rien fait de nos vies, d’être nés trop tard et d’avoir tout raté.
Qui prenions-nous en croupe ? Le chagrin ? Notre propre pitié ? Une amie ukrainienne ? c’était plus simple : nous embarquions avec nous le désir d’avancer. Car avancer c’est fuir. Et nous avions beaucoup de choses à laisser dans notre dos. Le fardeau de l’ennui d’abord. Et ce sentiment que les vêtements étaient trop serrés, les fenêtres trop verrouillées, que tout allait trop lentement dans les villes du 21ième siècle, que les temps étaient lourds et le présent notre prison.
L'air du dehors te fera du bien, dis la maman à son petit garçon. On ne le revit jamais.