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Critique de berni_29


S'abandonner à vivre, déjà le titre à lui seul est beau. C'est une invitation à un voyage et j'y suis venu. Je me suis abandonné dans ces dix-neuf récits où l'essentiel est dit, pas un mot de trop, tout est là, rien de plus ne s'impose, chaque texte se suffit aux mots qu'il rassemble, un texte réduit à l'os. Je découvre tardivement ce recueil de nouvelles paru en 2014. Déjà six ans...
Je connais Sylvain Tesson davantage pour ses récits autobiographiques, mais son talent de conteur ici me fait dire, - et lui dire par la même occasion si par bonheur il venait à lire cette chronique -, qu'il devrait s'essayer davantage à ce style.
J'aime cet auteur avec son à propos, ses aspérités et les vertiges qu'il nous donne à voir. Ici il fut dit par d'autres lecteurs avant moi son art de la formule qui fait mouche, son art aussi de la chute, essentiel dans la nouvelle. L'art de la chute c'est aussi pouvoir se raccrocher aux branches, aux gouttières, aux gargouilles des cathédrales, aux phrases qui tiennent lieu de chemin. L'art de la chute dans une nouvelle nous renvoie aussi à la cruauté de nos existences, à l'envers du miroir, nous n'avons pas toujours la chance de retomber sur nos pieds. Au fond, nous voudrions être des funambules merveilleux et rester toujours en équilibre sur ce fil improbable qui relie deux mondes : celui où on ne sait pas trop bien d'où l'on vient et l'autre en face où on ne sait pas trop bien encore où l'on va...
L'art de la chute, Sylvain Tesson ne l'a pas toujours eu dans sa vraie vie. Il faillit même y perdre la vie, un beau soir ou peut-être une nuit... Cela s'est passé la même année qu'était publié S'abandonner à vivre. Je me suis d'ailleurs demandé, notamment à la lecture de la nouvelle succulente intitulée « La Gouttière », si celle-ci avait été écrite avant ou après cette terrible chute qui faillit lui être fatale... Si quelqu'un peut m'éclairer, je lui en saurais reconnaissant...
Son écriture est à la verticale de nos vies.
Sylvain Tesson aime les sommets, les parois rocheuses qui jettent un défi pour celui qui les regarde d'en bas, autant attiré par la manière d'offrir des interstices à ses doigts ivres d'émotion que pour le ciel saturé d'azur qui sera là-haut comme une délivrance. Les murs des villes ressemblent aussi pour lui à d'immenses parois vertigineuses, courir sur les faitières des toits, cheminer sur les zincs auréolés du ciel de Paris, parfois l'art de l'équilibre sur les toits se conjugue avec l'amour de la vodka. Tiens ! Comme c'est drôle, j'y pense tout d'un coup, le zinc c'est aussi un autre endroit pour s'auréoler d'ivresse et d'étoiles...
Sylvain Tesson, à travers ses dix-neuf récits, parfois tendres, parfois cyniques, parfois tragiques, parfois tout cela à la fois, s'essayeraient-ils ici à illustrer une description de ce que peut être le stoïcisme ?
Dans ce recueil, nous voyageons sur une immense carte géographique qui nous amène depuis la pointe du Finistère en Bretagne jusqu'au fin fond de la Sibérie en passant par le Sahara, l'Afghanistan ou encore la province chinoise de Hunan, soit plus de douze mille kilomètres. Dix-neuf manières de voyager dans des vies intérieures où parfois le vertige qui nous éprend est aussi grand qu'un des sommets de la chaîne de l'Everest... Dix-neuf manières d'accueillir les aléas, ces « oscillations du destin », où nous avons peut-être ici encore moins prise pour poser nos doigts éperdus que sur la paroi vertigineuse d'une falaise ?
Dix-neuf récits façonnés de rêves, de partances, ou d'envie de partir, de solitudes, d'ennui, d'inertie, de refus de partir aussi...
Dix-neuf nouvelles où le sens de l'esthétique prévaut, où l'érudition est une jubilation, où chaque occasion est saisie avec justesse pour décrier le grotesque de la bêtise humaine. À ce titre, j'ai adoré la nouvelle évoquant la reproduction de la bataille de Borodino... Un délice !
M'est avis que ces histoires sont furieusement empreintes des pérégrinations de l'auteur.
Pour être funambule, faut-il trouver l'élégance infinie dans ce geste d'équilibre qui cherche à s'agripper entre le vide et le plein, entre l'absurde et le sens ?
J'ai aimé les personnages féminins d'Anastasia, Tatiana, Svetlana... entendre leurs voix, ce sont des prénoms qui me sont chers, dont l'un est le prénom de la fille de mon épouse que nous appelons plus communément Nastia... Je redécouvre ainsi un goût prononcé de l'auteur pour l'âme slave...
J'ai adoré le regard cruel et lucide de l'auteur sur le téléphone portable. Et de surcroît son apologie de la correspondance, des échanges épistolaires.
J'ai aimé venir à la rencontre improbable des fées sur une dune que je connais bien (je parle bien entendu de la dune), en presqu'île de Crozon.
J'ai aimé la nouvelle de la Gouttière, j'y ai ainsi appris qu'une fracture du calcanéum est désignée sous le nom poétique de « fracture des amoureux » : elle survient quand l'amant saute trop vite du balcon pour échapper au mari.
Et puis, comment ne pas fondre devant neige des steppes au soleil devant quelques aphorismes qui font désormais un peu partie de l'empreinte artistique de l'auteur :
« Quand elle a joui, elle a fermé les yeux et j'ai cru que le vent avait soufflé mille bougies. »
« Il est rare en voyage de vivre des jours conformes aux idées que l'on s'étaient forgées avant les grands départs. D'habitude, voyager c'est faire voir du pays à sa déception. »
« Une histoire d'amour, ce n'est lorsqu'aucun des deux n'a mieux ailleurs. »
Un seul point m'oppose à Sylvain Tesson lorsqu'il écrit dans une de ses nouvelles : « Je n'ai jamais aimé faire l'amour dans la nature ». Mais tout cela n'est qu'affaire d'expérience et de géologie... Ma pudeur m'empêche ici de donner quelques détails bucoliques qui seraient par ailleurs hors sujet...
Je retiens de ce recueil une ode à la fraternité.
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