En vandalisant un monument, qui lui-même vandalise, depuis des décennies parfois, depuis des siècles souvent, la mémoire des vaincu·e·s, je veux dire la mémoire des génocidé·e·s, des colonisé·e·s, des esclavagisé·e·s, de tou·te·s les exclu·e·s de la mémoire nationale étatisée, lesdit·e·s exclu·e·s de la mémoire se donnent leurs propres espaces et leurs propres temps de commémoration, leurs propres monuments et leurs propres cérémonies – bref : les coordonnées existentielles indispensables pour tenir debout malgré un passé traumatique, vivre le présent et se tourner vers l'avenir. En l'absence de journées fériées et de cérémonies officielles conséquentes, on s'invente des monuments de “cérémonies populaires“comme le déboulonnage, qui défraie la chronique et interpelle une collectivité nationale amnésique, ignorante ou indifférente.
Il y a donc bien une “responsabilité blanche“ : non pas à l'égard du passé, qui ne dépend pas de nous, mais à l'égard du présent. Les français·e·s blanc·he·s ne sauraient être tenus responsables de ce qu'ont fait leurs ancêtres ou leurs dirigeants dans le passé, mais ils sont responsables de ce qu'ils font ou laissent faire au présent.
Il est en somme des circonstances dans lesquelles l’extrapolation est infiniment moins fautive que l’ergotage, l’euphorisation, la dénégation et l’inaction. L’appel à la nuance et au discernement révèlent parfois moins la rigueur et la haute intellectualité que la perte de toute décence commune.
Les torts subis dans le passé ne passent pas avec le temps qui passe, mais se transforment en traumas, en rancœurs, en colères, en mille autres choses encore qui en font des torts toujours présents, actuels, réels et non "seulement symboliques". Il faut se rendre à l'évidence : dominants comme dominé.e.s, nous vivons au passé en même temps qu'au présent, avec des morts comme avec des vivants. Le passé n'en finit pas de ne pas passer, et les morts s'invitent chez les vivants, pour le meilleur comme pour le pire. (12)
Une statue est un objet mémoriel et non historique, dont la vocation est de célébrer un personnage et non de livrer une connaissance objective et exhaustive sur le passé. L’histoire s'inscrit dans des livres, et non dans des monuments ou des noms de rue.
Pierre Tevanian (4) immigration et partis politiques