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Critique de gabrielleviszs


Je remercie Joël ainsi que la maison d'éditions Taurnada pour cette nouvelle lecture.

Je rattrape tout mon retard et vous allez encore avoir quelques chroniques pour cette maison d'éditions que j'adore, avec de très bons livres et d'autres un peu moins. Pour "Les eaux noires" c'est une sacrée claque que j'ai pris avec l'impossibilité de lâcher cette histoire qui fait plus vraie que nature. Ayant découvert cet auteur avec un autre titre de la même ME (la peine du bourreau) c'est avec une joie non dissimulée que j'ai continué et le pari est plus que réussi. Comment un si petit livre peu faire autant de dégâts ? Je parle du fait de toutes ces remises en questions que nous faisons et une fois la dernière page lue, on relativise énormément, mais surtout on se demande jusqu'où nous aurions pu aller si cela avait été notre enfant ? Dans ce thriller psychologique, l'auteur décrypte un écosystème qui peut-être n'importe où : peu de voisins, un sens unique, peu d'échanges, un semblant de huit-clos pour cette baie des naufragés qui porte que trop bien son nom. Yprat est devenu l'endroit à abattre, le lieu qu'il ne faut pas prononcer, celui-là même qui dérange. Dérangeant, c'est tout à fait le mot, la mère de Suzy, Susu pour les intimes dérange par le fait que sa fille est morte. Dérange parce qu'elle ne partage pas sa peine avec les autres, dérange parce qu'elle va tous les jours depuis des mois à la police pour connaître le moindre détail de cette enquête qui n'avance pas. Dérange par son aspect négligé alors qu'elle a autre chose à faire que se pouponner. C'est dérangeant d'avoir une personne proche de chez soi, un voisin, un ami qui est toujours triste, agressif, donne des claques à des journalistes peu scrupuleux qui veulent le beurre, l'argent du beurre, le pot et la crémière au passage. C'est dérangeant de travailler avec quelqu'un qui a vécu un drame et qui fait la tête h24...

C'est le récit d'une femme qui a déjà perdu son mari, veuve, elle se voit contraint de changer ses horaires de travail pour subvenir aux besoins de sa fille, de payer la maison, d'avoir quelque chose à soi de correct. On ne demande pas la lune, juste un toit sur la tête. Alors Jo prend les horaires de nuit pour gagner plus et laisse une clé de chez elle à un voisin, pour se rassurer elle et sa fille pour le cas où. le choix est vite fait, Jo ne peut pas rester de jour dans la station service, les moyens diminuent, la peur de perdre le peu qu'elles ont est bien présente. Ce choix qui lui fait mal, parce qu'elle n'est pas présente la nuit, aux cotés de sa fille qui devrait dormir. Une jeune fille de 17 ans qui part chez une amie pour le weekend, une jeune Susu qui ne reviendra pas le dimanche matin comme elle l'avait promis. Son corps est retrouvé plus tard... Un corps meurtri par les eaux noires de cette baie sauvage, insouciante, asociale aussi. le microcosme dans lequel les deux femmes vivent est malsain sans vraiment qu'il le soit. Les secrets des voisins ? Tout le monde en a, à plus ou moins grandes échelles, mais la vie privée des gens ne regardent qu'eux, pas vrai ? Sauf si cela pourrait mettre derrière les barreaux celui ou celle qui a tué cette pauvre fille. Quelques maisons, quelques hommes et femmes qui n'ont rien vu ce soir-là. Soit ils n'étaient pas présents, retour de vacances, rentrés chez eux, soit ils dormaient, à moins que... L'enquête n'est pas bâclée, mais pas de témoins, pas d'indices, pas de meurtrier ! Alors il faut chercher autrement, les rumeurs, les on-dits, les m'as-tu-vu pour se faire mousser et pourquoi la mère ne parle pas ? Pourquoi elle a viré tout le monde de l'enterrement de sa fille ? Pourquoi autant de secrets autour de sa vie ? Et un coupable idéal apparait, avec une liste longue comme le bras de cadavres, c'est lui ou pas ?

Les gens parlent à tort et à travers, menant les enquêteurs dans une impasse, celle de la baie des naufragés. Jo ne cesse de vouloir trouver qui a fait cela, quitte à tout perdre, qui à se perdre elle-même et faire de mauvais choix. Les jours, les mois, deux ans ont passé. Deux années que l'auteur nous décortique avec tout ce qui se passe dans la tête de chacun. Les aigris, les malmenés, les pervers, les curieux, 5 parties composent le récit avec sa vision des choses et c'est si proche de la vérité que cela fait mal. Entre celui qui a vu quelque chose, mais qui se tait, par peur ou tout simplement parce qu'il n'en a rien à faire, de toute façon elle est morte hein, à quoi bon remuer le sable ? Jo est DÉRANGEANTE (ça vous l'avez compris, pas vrai ?) avec son air maussade et sa façon de poser des questions à tout va, sans oublier les petits mots disséminés ça et là. Il suffit d'un rien pour mettre le feu aux poudres et les autres personnages vont bien s'en rendre compte. Qu'importe si Jo est malheureuse, elle est celle qui est montrée du doigt, celle par qui tous les maux de leur petite ville arrivent, celles qui a osé se taire en silence après la mort de sa fille, qui n'avait peut-être pas une vie si parfaite. C'est si facile d'écouter les ragots, de faire sa propre opinion, mais il faut comprendre qu'une histoire à deux côtés et s'il n'y en a qu'un seul qui est entendu, cela ne servira à rien, si ce n'est faire encore plus de mal. Et ce MAL est puissant. Les mots sont affreux, les gestes comptent, le désespoir est bien plus imposant, pouvant amener à faire des choix catégoriques. Celui qui se tait est forcément le coupable idéal, il doit cacher des choses malsaines, des événements qui sont liés. Et si tout était faux ?

Et si la morale de cette histoire était tout simplement que chacun s'occupe de ses fesses, parle quand il le faut sans pour autant dénigrer quelqu'un, comme cette pauvre Suzy qui est morte et cela serait bien fait ? Et si cela allait bien plus loin encore ? La peur fait paniquer les gens et ce récit démontre bien que les esprits restreints ont peur de ce qui n'est pas comme eux. La victime c'est Suzy, une jeune fille de 17 ans qui a cru au bonheur le temps d'un moment fugace. Un jardin secret que sa mère ne connaissait pas (d'où le terme de secret), des voisins qui ne sont pas si sereins et cette mère qui a tout perdu. Les habitants ne sont pas bienveillants, ils veulent de la joie, du rire et ne pas penser qu'une presque femme a perdu la vie dans ce recoin de leur ville qui n'a pas bonne fréquentation. L'oubli est facile lorsque cela ne nous touche pas personnellement, rayer de la carte un lieu, un visage, afin de continuer à vivre sournoisement dans nos propres réflexions. C'est une véritable descente aux enfers pour Jo qui fait le vide autour d'elle, qui n'avait déjà pas beaucoup d'amis véritable. Ces derniers s'accrochent, enfin surtout Cédric s'accroche, mais au bout du compte, comment faire pour tenir le coup ? Jo est un personnage qui n'est ni fort, ni faible, il est vrai, avec ses faiblesses, son envie de savoir, cette vérité qui ne ressort pas et ce meurtrier qui vit depuis deux ans tranquillement. Les mois l'ont affaiblis, mais elle reste toujours la même. Lorsqu'un nouveau "chef de la police" débarque un semblant d'espoir renait. Si ce n'est que ce Thomas Casano est froid, impersonnel et s'en fou de ce que les autres pensent. C'est un point de départ intéressant, un homme qui ne va pas hésiter à fouiner, à poser des questions, à surveiller, faire semblant. Acteur ? Il aurait pu et sa façon de travailler est une sacré épine dans le pied de ses sous-fifres. Pour autant cela ne se fera pas en un claquement de doigts.

Pus de deux ans pour avoir le fin mot de l'histoire, plus de 24 mois pour cette femme qui a vécu l'enfer sur terre sans avoir le droit de pleurer autant de temps qu'elle le voulait la perte de sa fille. Et vous savez quoi ? L'auteur m'a tellement embrouillé l'esprit avec tous les petits secrets de ses voisins, les flics qui n'en ont plus grand chose à faire, les habitants de la ville qui la montre du doigt que je n'avais pas le bon en tête. (En réalité, j'hésitais lourdement entre l'assassin de Suzy et un autre personnage) Et ce corbeau qui n'a pas le plumage désiré qui lance des mots par email je vous prie ! Des mots, des maux, les pages en regorgent et ne cessent de nous enfoncer un peu plus dans la vase. C'est une enquête qui ne laisse pas indemne, des mois d'incertitudes, de doutes, de matraquage sur la vie supposée de sa fille. Un combat qui ne sera pas à la loyale, une population locale qui ne veut pas de malheur à ses côtés. Jo est devenue la femme à abattre et non la mère de la victime.

En conclusion, un thriller psychologique où les secrets les plus honteux seront dévoilés. La mort d'une jeune fille n'émeut plus personne, les vieilles histoires remontent à la surface tels des corps échoués après un naufrage. Nul n'est à l'abri et les dommages collatéraux vont élaguer le terrain. Un récit où celle qui aurait dû être soutenue par ce drame se retrouve lapidée devant des hommes et des femmes qui ne comprennent pas pourquoi la perte d'un enfant est si douloureux. Ce qui est malsain ce n'est pas la façon dont réagit Jo, c'est la manière dont elle est traitée et les propos tenues par des gens qui ne savent pas ce qui se passe derrière une porte fermée. L'auteur a su m'emmener dans cette enquête intense et diabolique montrant un aspect de la société qui fait froid dans le dos !

http://chroniqueslivresques.eklablog.com/les-eaux-noires-estelle-tharreau-a211956249
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