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EAN : 9782707173690
224 pages
La Découverte (20/11/2014)
5/5   4 notes
Résumé :

Dans les discours politiques, la science est aujourd'hui de plus en plus convoquée pour énoncer des vérités incontestables. Pourtant, suite à de nombreux scandales sanitaires, un climat de suspicion s'est installé, creusant un fossé entre les chercheurs et les citoyens.

Chacun est alors confronté à ces questions essentielles s'agissant de la santé : qui croire ? Que nous cache-t-on ? À qui profite la science ?

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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
L'obligation de subir nous donne le droit de savoir, pour agir contre les crimes industriels

Dans son avant-propos, Annie Thébaud-Mony parle d'Henri Pérezat, physico-chimiste et toxicologue, son compagnon de vie et de lutte. Elle et lui ont considéré « que nos recherches scientifiques devaient pouvoir servir de support à l'action contre les atteintes à la santé dans l'activité de travail, dans un contexte environnemental dominé par les risques industriels ». Elle et lui ont « toujours refusé de dissocier notre démarche de chercheurs de l'ancrage dans une coopération avec ceux – individus ou collectifs – que nous pouvons considérer comme des sentinelles de santé ». Il s'agit dans ce domaine de « construire des contre-pouvoirs face à la mise en danger sur les lieux de travail ». Cette dimension de contre-pouvoir me semble essentielle.

En introduction, l'auteure souligne deux objectifs du livre :

« le premier objectif de ce livre est d'analyser comment les scientifiques, dans leur majorité, ont été amenés à s'inscrire dans un processus de confiscation et de corruption de la science au service des intérêts privés des grands groupes industriels et de leurs actionnaires, avec la complicité active de l'Etat ».

« le second objectif est de montrer comment une recherche fondée sur d'autres valeurs et visant d'autres finalités que celles d'un développement industriel et financier répondant aux exigences de l'enrichissement de quelques-uns conduit à engager des démarches scientifiques alternatives qui mettent en synergie des savoirs complémentaires : ceux d'« experts-citoyens » et de « citoyens-experts ». »

L'auteure parle aussi de restitution du devenir-devenu de courants scientifiques dominants, de solidarité active, d'histoire des connaissances et des falsifications, de pouvoirs et de contre-pouvoirs, d'une autre conception de la pratique scientifique.

Dans une première partie « Risques industriels et recherche en santé publique », Annie Thébaud-Mony insiste sur la « stratégie du doute » déployée par les firmes industrielles et des scientifiques, sur « l'instrumentalisation de l'épidémiologie dans la construction de l'invisibilité des victimes des risques industriels ». Elle parle, entre autres, des partis pris de la recherche, des inégalités sociales face au cancer, de la mise hors sujet du travail et des origines professionnelles des maladies, de confusion entre « rigueur » scientifique et approche quantitative et/ou mathématique, de domination de « l'idéologie comportementale » et de renvoi à des causalités individuelles, de science asservie. Elle montre le caractère dépourvu de sens de la notion de « risque acceptable ».

Dans cette partie, l'auteure traite aussi des effets toxiques du plomb, de l'amiante, de la construction méthodique du doute sur la toxicité des produits, du concept de « valeur limite d'exposition (VLE) », de la non prise en compte de l'expérience du « travail exposé », de cancers, de la nécessaire « production continue de connaissances des liens entre les pathologies observées et les facteurs de risque en cause », des victimes invisibilisées… Elle poursuit sur le nucléaire, en revenant sur le « projet Manhattan », les victimes des bombes et des retombés radioactives des essais nucléaires, de « l'indifférence affichée des responsables pour les conséquences sanitaires », du masquage des réalités derrière le secret défense, des expérimentations humaines, de l'omerta et des chercheurs et chercheuses « non-aligné-e-s »… Elle souligne la non validité du postulat « d'une dose seuil ».

Un chapitre est consacré aux périls chimiques. Annie Thébaud-Mony y analyse, entre autres, les biocides, les atteintes à la vie, la chimie et l'agro-alimentaire, « la croissance indéfinie des substances chimiques et… de l'ignorance toxique », les effets génétiques transgénérationnels, la contamination in utero, les phénomènes de résistance biologique, la fantasmagorique dose « inoffensive »…

J'ai particulièrement été intéressé par le dernier chapitre : « La « mort statistique » ou l'incertitude reconduite ». L'auteure y discute de causalité réduite à des bases statistiques, revient sur le paradigme du doute, présente une double histoire du cancer. « Cette double histoire aux variations infinies rend impossible, au moment où se manifestent les signes cliniques du cancer chez une personne singulière, la reconstitution biologique précise de ce qui s'est passé dans les cellules de cette personne au cours des trois ou quatre décennies précédentes ». Elle analyse les connaissances uniquement basées sur la mortalité, les méthodologies statistiques, les « excès de cas de cancer » en écho avec la fameuse « dose tolérable »… le doute doublé par le doute statistique pour restreindre les recherches… sans oublier les entraves construites par les industriels aux actions des institutions, aux chercheurs et chercheuses non asservi-e-s. « Les mathématiques complexes utilisées pour cette production de l'incertitude donnent à la démarche l'apparence de la rigueur, de l'objectivité, pour tout dire de la science. Surtout, elles rendent quasi impossibles l'échange et la discussion entre, d'une part, les travailleurs et citoyens, victimes d'empoisonnement par ces toxiques, et, d'autre part, les scientifiques qui jonglent avec les chiffres, abstraits et anonymes, de milliers de cas de cancer. La « mort statistique » fait écran à la connaissance des catastrophes sanitaires engendrées par les risques industriels ».

Dans la seconde partie de l'ouvrage, « Contre-pouvoirs scientifiques et luttes citoyennes contre le doute et l'invisibilité », Annie Thébaud-Mony parle de contextualisation, d'épidémiologie « qui ne reconnaît que peu ou pas la relation entre travail et cancer », de mécanismes de contamination, de l'inhalation, de formes oxydantes, de processus d'action des molécules, des inégalités de santé, de santé publique, des accidents chez les sous-traitants permettant à certaines grandes entreprises, comme EDF, d'afficher un taux d'accidents sans rapport avec la réalité…

Elle poursuit sur les relations entre précarisation sociale et santé, insiste particulièrement sur l'histoire du combat contre l'amiante, l'invisibilisation des victimes,. Elle interroge les expert-e-s et leur fameux doute… Elle souligne aussi l'effacement des traces, comme dans le secteur minier, les logiques assurantielles des politiques de « réparations » des maladies professionnelles.

Il faut comme l'auteure nommer les choses, il s'agit bien de crimes industriels

Le chapitre sur la négation « scientifique » des conséquences sanitaires du risque nucléaire est solidement argumenté. L'auteure insiste sur la réduction à un seul type d'exposition, sur le masque du « secret-défense », sur les productions des chercheurs et chercheuses dissident-e-s, sur la protection à organiser contre « la mort nucléaire » pour notre génération comme pour les suivantes.

Annie Thébaud-Mony montre bien le rôle de la sous-traitance dans les travaux de maintenance des centrales nucléaires, de la sous-traitance en cascade, et l'impossibilité organisée de recensement des salarié-e-s travaillant dans ce secteur. Elle interroge : jusque quand les soit-disant « expert-e-s » vont-elles/ils rester prisonnier-e-s du mythe de l'atome sans danger, de leur enfermement dans un rôle mortifère.

Elle parle aussi des risques chimiques, du droit de tuer que se sont octroyé les industriels du secteurs.

L'auteure termine sur le refus du « hors-sol » et donc la nécessaire prise en compte des relations travail-cancers, car les maladies professionnelles, sont des maladies éliminables. Elle souligne des expériences concrètes de co-constructions de connaissances.

En conclusion, Annie Thébaud-Mony revient sur le mépris des « expert-e-s » engagé-e-s dans la justification « scientifique » de l'industrie, sur les politiques de privatisation de la recherche publique, sur le droit des victimes à obtenir justice et réparations… le titre de cette note est extrait de la dernière phrase de cette conclusion.

La parole scientifique n'est jamais située dans un espace objectif auto-référentiel et désincarné. Les arguments « scientifiques » ne sauraient être hors de l'histoire, des rapports sociaux, de la politique comme choix démocratique…

De ce point de vue, il est plus que temps, que les industriels, les actionnaires et les scientifiques soient redevables devant la justice des conséquences, sur la vie d'autrui, de leurs actes. Car il s'agit ici de pratiques mortifères, d'empoissonnements, de meurtres plus ou moins lents…
Lien : https://entreleslignesentrel..
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Une livre indispensable qui montre bien les liens qui peuvent exister entre les multinationales et les pouvoirs publics, au détriment de la santé des consommateurs et des travailleurs, que ce soit au niveau de l'amiante, du nucléaire, des pesticides, etc. le plus choquant qui en ressort est qu'à chaque fois les dangers étaient très bien connus à l'avance, mais les multinationales, avec la bénédiction des autorités, ont préféré s'engager quand même dans cette impasse mortelle... et ce n'est qu'au prix de milliers de morts, de vies brisées, de témoignages accablants... que nos gouvernements consentent à faire demi-tour... pour s'engager dans une autre voie à l'issue tout aussi mortelle que la précédente. Comme si le profit était systématiquement plus important que les vies humaines.
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
Les mathématiques complexes utilisées pour cette production de l’incertitude donnent à la démarche l’apparence de la rigueur, de l’objectivité, pour tout dire de la science. Surtout, elles rendent quasi impossibles l’échange et la discussion entre, d’une part, les travailleurs et citoyens, victimes d’empoisonnement par ces toxiques, et, d’autre part, les scientifiques qui jonglent avec les chiffres, abstraits et anonymes, de milliers de cas de cancer. La « mort statistique » fait écran à la connaissance des catastrophes sanitaires engendrées par les risques industriels
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La survenue, le 26 avril 1986, de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl en ex-URSS a marqué une rupture dans la représentation sociale du nucléaire civil, donnant réalité à l'impensable : l'accident majeur. Pourtant, le lobby nucléaire international réussit ce tour de force de ne pas s'intéresser à ses conséquences.
Pour un chercheur non aligné comme Roger Belbéoch ,"le crime nucléaire a un statut juridique tout à fait original. Généralement, il y a crime lorsqu'on a découvert la victime et l'identification du criminel est la tâche de la justice. Avec le rayonnement, les criminels sont connus mais les victimes demeureront inconnues. On pourra seulement les dénombrer mais ce n'est pas la tâche de la justice est l'impunité est grande".

(page 230)
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Mes recherches et surtout les contacts avec le GISTI [Groupe d’Information et de Soutien des Immigrés,] et l'ATMF [Association des Travailleurs Marocains en France], puis avec les mineurs marocains eux-mêmes attirent mon attention sur le système de recrutement et d'emploi des travailleurs marocains "importés" directement, depuis les années 1960, du sud du Maroc. Ces mineurs marocains, recrutés jeunes et en bonne santé, obtiennent seulement des CDD de 18 mois renouvelables. Au moindre signe radiologique pouvant laisser supposer une pneumoconiose, leurs contrats ne sont pas renouvelés. Évidemment, de la pneumoconiose naissante identifiée, cause d'un non-renouvellement de contrat, il n'en reste pas de trace dans les dossiers médicaux et administratifs des houillères. En revanche, les traces de pneumoconiose dans les poumons des mineurs marocains altèrent irréversiblement leur fonction respiratoire.

(page 209)
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La confiscation des résultats, la mise en débat d'hypothèses fantaisistes et l'instrumentalisation des scientifiques - au premier rang desquels les statisticiens - dans le déni des réalités pourtant tangible des maladies industrielles on fait naître ce que j'appelle de "vraies fausses controverses". Dans le cadre de véritables controverses scientifiques, les chercheurs peuvent s'opposer sur des hypothèses, des méthodes et des procédures d'investigation, ainsi que sur des cadres théoriques d'interprétation des résultats. Mais lorsque ceux qui détiennent le pouvoir de l'argent et de la raison économique interfèrent à tous les stades de la production de connaissances en santé publique sur les risques industriels et leurs conséquences, les règles du débat scientifique sont remises en question. En effet, ce débat est amputé des connaissances occultées, détruites, voire non produites. Par ailleurs, les chercheurs indépendants de l'industrie se trouvent acculés à justifier la rigueur de leur propre démarche, face à des collègues - tenants du paradigme du doute et sous influence des industriels - qui savent donner à leur discours l'apparence de la compétence et du savoir.
(pages 68-69)
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Le premier objectif de ce livre est d’analyser comment les scientifiques, dans leur majorité, ont été amenés à s’inscrire dans un processus de confiscation et de corruption de la science au service des intérêts privés des grands groupes industriels et de leurs actionnaires, avec la complicité active de l’Etat
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Vidéo de Annie Thébaud-Mony
L'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen jeudi 26 septembre a dégagé un épais nuage de fumée noire sur l'ensemble de l'agglomération. le site est classée Seveso. Que signifie cette classification ? Quelle est la réglementation française concernant les risques industriels ?
Guillaume Erner reçoit Annie Thébaud-Mony, sociologue de la santé, directrice de recherche honoraire à l?INSERM, spécialiste des maladies professionnelles et environnementales.
La Question du jour de Guillaume Erner - 27 septembre 2019 À retrouver ici : https://www.franceculture.fr/emissions/la-question-du-jour/saison-26-08-2019-29-06-2020
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