Théodore Sturgeon est un des Grands de l'Age d'Or de la SF, le papa (entre autres) de "Cristal qui songe" (première parution française en 1952 au Rayon Fantastique) et des "Plus qu'humains" (1957 dans la même collection).
2018. Centenaire de sa naissance. C'était l'occasion ou jamais de reparler d'un des papes du genre; son empreinte sur la SF a été si forte que l'oubli aurait été erreur fatale.
Entre autres parutions hommages de circonstance: Bifrost n°92 (automne 2018) et le présent ouvrage. on note d'emblée que les deux usent de la même référence à son chef d'oeuvre pour sous titrer habilement: "Le trop humain" pour le premier, "Le plus qu'auteur" pour le second.
Le principe de Bifrost: une revue trimestrielle d'actualités SF, centrée à chaque parution sur l'évocation biographique et bibliographique (et plus si affinités) d'un auteur du genre ou d'un autre thème, la récurrence d'articles fétiches.
Le principe de "Sturgeon, le plus qu'auteur": un mook de 98 pages sous format 27x19 (c'est grand), hybride entre livre, magazine et revue, qui ici agglutine interviews, témoignages, archives, essais et analyses agrémentés de photos privées ou autres,de correspondances, d'affiches et articles de journaux (Metz 1976), unes de couverture d'éditions anglo-saxonnes le plus souvent.
Chaque intervenant nous parle tour à tour du contact privilégié qu'il a eu à un moment donné avec l'auteur, évoque parfois des instants fortuits, ou délibérés durant lesquels une collaboration envisagée s'est concrétisée, s'est réalisée ou a été abandonnée.
Noël Sturgeon, 4ème fille de l'auteur, administratrice des oeuvres et droits artistiques de son père, ouvre les débats pour un entretien où il est, entre autres, question:
_de l'écrivain vu de l'intérieur, au plus près de sa famille; de l'influence des fluctuations de sa vie sentimentale sur son oeuvre, il s'est marié 5 fois et a eu un nombre conséquent d'enfants;
_de l'importance de son beau-père haï sur son imaginaire, sur ses visions de l'enfance, des délaissés et laissés pour compte de la société;
_de sa place jugée à part dans l'Age d'Or de la SF;
_du pourquoi d'un petit nombre de romans en regard de celui, conséquent, de ses nouvelles;
_du traitement de ses thèmes de prédilection: humanisme, amour, enfance, différence... loin des moyens SF traditionnels: Space-Opera et de la hard-science;
_des rapports de l'oeuvre et de l'auteur avec la rock-culture psychédélique US et la contre-culture des 60's finissantes:
_des difficultés de l'adapter au cinéma;
_de Théodore Sturgeon, l'homme et l'auteur, de ses réactions s'il était, par magie, réinjecté dans le XXème siècle finissant et le XXIème commençant: Internet, Trump, populismes xénophobes, "Les plus qu'humains" et le Projet Pionner 10...etc
Marianne Leconte, anthologiste et préfacière du Livre d'Or de la SF qui avait été consacré à Sturgeon en 1978 (Presses-Pocket SF n°5013).
Une longue préface (ici écourtée mais illustrée) qui fait remonter, plus que tout autre article de ce mook, ce que j' "entends et ressens" en lisant Sturgeon. J'en laisse ci-après émerger certaines expressions et termes, récurrents et forts, qui tracent bien l'homme (mariages, naissances, divorces, dépressions, hyperactivité, sentiments, ressentiments, souffrances, thérapies, amour, haine..etc) et son oeuvre (empathie, humanisme, émotion, défense des laissés pour compte, fragilité, souvenirs, fantasmes, destruction de l'image du beau-père...etc) le tout emmêlé à tel point qu'on ne sait plus qui de l'homme ou de l'oeuvre en est bénéficiaire.
"Rarement, en science-fiction, un auteur aura été aussi inséparable de son oeuvre"
Cette préface est "l'Article" du mook, son axe, celui qui fouille, dissèque, laisse remonter l'essentiel, explique et argumente. Sturgeon, écrivant, s'exorcisant, plonge en lui-même, offre en rebond à son lecteur quelques solutions à des problèmes chez lui presque identiques. L'interface auteur/lecteur est réduit à sa plus simple expression, le contact est direct, d'homme à homme, osmose parfaite de l'un à l'autre. Marianne Leconte remonte toute la filière des raisonnements successifs de l'auteur: de l'immaturité au gestalt de "Les plus qu'humains" en passant par le rejet, la solitude, le besoin d'amour, la nécessité de l'association. le Tout plus grand que la somme de toutes ses parties. En corollaire apparaît l'échec d'un monde confié à l'intelligence d'une majorité, la possibilité de trouver des solutions via des raisonnements autres, ceux des rejetés, des déclassés. Sturgeon porte en lui le poids écrasant et salvateur d'une minorité d'hommes à qui la majorité ne pense jamais sinon en tant que gènes. Quelle belle idée..!
Plus loin, Philippe Hupp nous parle de la venue de Théodore Sturgeon au Premier Festival SF de Metz en 1976: des difficultés de l'organisation à le faire venir, des problèmes de l'auteur en tant qu'invité de dernière heure, de son succès auprès des fans; et surtout de la visite que lui fit Hupp l'année suivante aux USA et de sa déconvenue de trouver l'auteur emprunter un chiche train de vie inattendu au regard de son succès en France.
Suit une curiosité: Sturgeon, apparemment adepte nudiste, reçoit Tom Monteleone (?) dans le plus simple appareil. Ce qui entraîne une inadéquation, un décalage assez amusant entre un fan transi et un auteur sur un piédestal doré.
L'article suivant nous parle des rapports scénaristiques qu'entretint Sturgeon avec Star Trek.
Les trois suivants font référence à des réalisateurs cinématographiques ou télévisuels qui s'essayèrent, réussissant ou échouant, à adapter Sturgeon: Bertrand Tavernier, Christian de Challonge et Laurent Heynemann. Trois cinémas d'auteurs portés sur le réel, attirés par Sturgeon plongé sur les espaces intérieurs de l'homme ...
Sturgeon et l'image: j'ai du mal à concevoir l'association, tant l'auteur semble recroquevillé sur lui-même quand il écrit. Mais les points de vue développés dans les trois articles sont intéressants. Et puis de toute façon, cinéma et SF, me concernant, çà ne colle pas, mon avis ne compte pas, je n'ai pas le recul de la passion. La science fiction m'est mots et idées, dès qu'elle est images elle m'est déjà trop ancrée dans le réel.
Bertrand Tavernier cherchant à adapter en vain "Les plus qu'humains" et échouant pendant les négociations: "Je pense que la science-fiction a été littéralement détruite par Starwars. La Guerre des Etoiles a fait tout régresser de cinquante ans en arrière... [ ] ... Et la dictature des effets spéciaux a beaucoup contribué à effacer ce genre de littérature. Parce que pour Bradbury, Simak, Asimov ou Sturgeon on n'a pas beaucoup besoin d'effets spéciaux." On peut être d'accord ou pas, la question a le mérite d'être posée.
Le mook se termine par un port-folio de couvertures anglo-saxonnes et un bref guide de lecture.
Merci à Actusf Ed., Forum les débats, Babelio et Masse Critique.
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