Perles de bagagistes

« Monsieur ! Avez-vous enfin retrouvé ma valise ?

– Euh… Qui êtes-vous, monsieur ? Et quand avez-vous perdu votre bagage ?

– Je m’appelle Lanterne, Jean Lanterne. Je suis arrivé cet après-midi de Bruxelles et je dois récupérer ma valise au plus vite.

– Oui, monsieur Lanterne, c’est moi qui vous ai répondu tout à l’heure, lors de votre arrivée à Athènes. Écoutez, la compagnie aérienne fait des pieds et des mains pour retrouver votre bagage le plus rapidement possible.

– Vous ne comprenez pas, monsieur. Dans cette valise il y a des médicaments que je dois absolument prendre avant minuit.

– Je comprends, monsieur, mais nous tentons toujours de localiser votre bagage. Dès que nous aurons des nouvelles, je vous rappellerai.

– C’est une question de vie ou de mort, monsieur. Faites vite ! »

Au moins dix fois, entre vingt heures et minuit, j’ai reçu cet appel de ce M. Lanterne. Puis, plus rien. Silence radio. Nous n’avions toujours pas retrouvé son bagage. Les employés de la compagnie aérienne se démenaient pour comprendre ce qui avait pu se passer. Ce n’est que vers quatre heures du matin que le bagage fut retrouvé. Au lieu d’être débarqué à Athènes, il était resté à bord de l’appareil qui avait ensuite décollé vers Istanbul, en Turquie. Un employé de l’entreprise de livraison, qui travaillait à l’aéroport Atatürk, me le confirma : la valise prendrait le premier vol pour Athènes et je l’aurais vers onze heures du matin. Il était tard et je n’ai pas osé rappeler le client.

Avec la précision d’une horloge suisse, la valise m’a été remise le lendemain à onze heures et quart. J’ai examiné le formulaire de réclamation qu’avait rempli M. Lanterne la veille, sur lequel figurait son numéro de téléphone. J’ai hésité quelques secondes avant de le composer. Certes, je ne m’occupais que de la livraison du bagage, pas de son transport aérien, et je ne pouvais assumer la responsabilité de ceux qui l’avaient égaré par mégarde ou par négligence, néanmoins j’espérais qu’il n’était rien arrivé de grave à cet homme.

« Allo ! répondit avec une étrange allégresse une voix féminine.

– Bonjour, madame, dis-je d’une voix empreinte de solennité. Puis-je parler à monsieur Lanterne, s’il vous plaît ?

– Il est parti jouer au golf, monsieur. Souhaitez-vous lui laisser un message ?

– Nous avons retrouvé son bagage et nous nous ferons un plaisir de le lui livrer au dix-neuvième trou.

– Pardon ?

– Bonne journée, madame. »

Après avoir raccroché, j’ai apporté la valise de M. Lanterne au douanier en service. L’agent fouilla tout le contenu du bagage pour ne découvrir qu’une petite boîte contenant une dizaine de pilules bleues. Il faut croire que l’homme avait des besoins pressants…