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Critique de sguessous


Misère. Les revoilà. Les douloureuses. Les répugnantes. (Gobe un gramme de paracétamol et 80 milligrammes de fer en maugréant.) Les innommables. (Bat en retraite sous la couette.) Les maudites.

Avez-vous remarqué comme mon verbe se tarit, comme mes mots se pétrifient à l’évocation des règles ? C’est incroyable. À trente-deux ans, je ne peux pas parler de mon cycle menstruel sans m’étouffer de honte. (Respire bruyamment dans un sac.)

Si le tabou des règles pèse sur votre cage thoracique – exagérer, moi ? Jamais de la vie -, si saigner chaque mois pendant l’essentiel de votre existence vous agace prodigieusement, vous devriez lire le libérateur Ceci est mon sang d’Élise Thiébaut.

Libérateur car l’autrice y raconte ses « quarante ans de menstruations » avec un naturel, une décontraction qui font un bien fou.

« Il était temps de s’attaquer à ce tabou qui s’exerce de toute éternité ‘contre’ les femmes, et de transformer la complainte des ‘ragnagnas’ en chant de libération », écrit Élise Thiébaut, pour qui il était « absurde de parler des règles comme s’il s’agissait d’un phénomène étranger – telles la fonte des glaces ou la vie des paysans du Moyen Âge au bord du lac de Constance. »

N’y allons donc pas par quatre chemins !

Les règles, c’est quoi, au juste ?
C’est du « sang suspendu dans un mélange de mucus cervical, de sécrétions vaginales, d’eau et de tissus organiques issus de l’endomètre (…) à chaque cycle, le sang menstruel évacue également un ovule non fécondé, fabriqué à partir d’un ovocyte. »

Peu ragoûtant, dites-vous ? Attendez de lire la suite : « Le fluide menstruel (…) possède un nombre considérable de bactéries permettant de préserver l’équilibre de la flore vaginale, en vue de protéger le vagin et l’utérus des infections. »

Avouez que ça commence à devenir intéressant ! Si, en plus, je vous dis que les règles contiennent des cellules souches, vous savez, les fameuses cellules à l’impressionnant potentiel de guérison et de régénération ? Je ne sais pas vous, mais moi, je ne suis pas loin de leur organiser une cérémonie de réhabilitation, à mes ragnagnas longtemps frappées d’indignité.

« Odeur de marécage et de violettes fanées »
Et c’est peu dire. Dans le chapitre Sang peur et sang reproche, Élise Thiébaut passe en revue les innombrables préjugés avilissants associés aux règles. Des propos qui, émanant de Simone de Beauvoir, ont de quoi choquer : « C’est alors que chez la fillette naît ou s’exagère le dégoût de son corps trop charnel. Et passé la première surprise, le désagrément mensuel ne s’efface pas pour autant : chaque fois, la jeune fille retrouve le même dégoût devant cette odeur fade et croupie qui monte d’elle-même – odeur de marécage, de violettes fanées », écrit le Castor dans Le Deuxième sexe.

Ces mots teintés de mépris de soi sont pourtant d’une exquise subtilité lorsqu’on les compare avec ceux, totalement flippants, de Pline l’Ancien : « Difficilement trouvera-t-on rien qui soit aussi malfaisant que le sang menstruel. Une femme qui a ses règles fait aigrir le vin doux par son approche, en les touchant frappe de stérilité les céréales, de mort les greffes, brûle les plants des jardins ; les fruits de l’arbre contre lequel elle s’est assise tombent ; son regard ternit le poli des miroirs, attaque l’acier et l’éclat de l’ivoire ; les abeilles meurent dans leurs ruches ; la rouille s’empare aussitôt de l’airain et du fer, et une odeur fétide s’en exhale. Les chiens qui goûtent de ce sang deviennent enragés, et leur morsure inocule un poison que rien ne peut guérir. (…) Ce flux d’une telle virulence revient chez la femme tous les trente jours, et il est plus abondant tous les trois mois. » Je prie de toutes mes forces pour que Pline l’Ancien se réincarne à l’infini en cellule endométriale.

Briser le tabou des règles
Je vous laisse imaginer l’impact de ces croyances immémoriales sur l’inconscient des femmes. « Parce qu’elles ont leurs règles, parce que les règles font l’objet d’un tabou, les femmes subissent une forme d’oppression qu’aucun homme ne connaîtra jamais. C’est parce que le sang menstruel est tabou que les femmes souffrent sans remède depuis des millénaires. C’est parce que le sang menstruel est tabou qu’on leur a longtemps interdit de prendre la mer, de chasser, de voter ou d’être élues, de parler en public ou d’assumer des responsabilités politiques ou religieuses », écrit Élise Thiébaut.

Comment s’affranchir de ces préjugés ? Peut-être en faisant comme les Suédois : chanter à la gloire des règles ! À l’image de ce sympathique animateur qui, en octobre 2015, a entonné l’hymne trop mignon Hurra för mens dans une émission pour enfants, histoire de démystifier, dédramatiser un peu ce qui, au fond, n’est qu’un « banal » phénomène anatomique.

En attendant que de bienveillantes et rigolotes campagnes de sensibilisation soient menées sous nos cieux, lire Ceci est mon sang va déjà beaucoup vous aider à vous réconcilier avec vos ovaires, en déconstruisant un discours chargé de honte, de culpabilité et de dégoût, façonné par des siècles de patriarcat.

L’ouvrage vous apportera également des « solutions sang pour sang naturelles », si vous en avez marre des serviettes et autres tampons bourrés de pesticides et de parfums de synthèse. Pour ma part, il y a longtemps que je ne me passe plus de ce fabuleux objet, aussi pratique qu’écologique. (Respire convulsivement dans un sac.)

Je ne pourrai pas faire le tour du livre d’Élise Thiébaut en un seul billet – il faudrait, par exemple, un article complet sur la très invalidante endométriose, véritable plaie dans la vie d’une femme sur dix, et pourtant le cadet des soucis des chercheurs, probablement occupés à résoudre les problèmes d’infertilité de ces messieurs… – C’est pour cela que je vous conseille vivement de vous plonger avec délices dans ces 241 pages pleines d’humour, d’érudition et de réconfort.

Critique parue sur le blog : http://sanaguessouspro.wordpress.com/
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