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Madeleine Thien, écrivaine canadienne d'origine chinoise, nous déploie à travers l'histoire d'une petite fille chinoise immigrée au Canada dans les années 80, un vertigineux roman épique qui englobe plus de quarante ans d'Histoire de la Chine communiste. Des carnets (« The Book of Records ») trouvés à la mort du père et déchiffrés par une jeune exilée chinoise accueillie par la mère sera le fil rouge et la source de cette histoire, qui est aussi celle de deux soeurs, deux familles de musiciens, et du père disparu, pianiste de renommé en Chine.....des histoires individuelles encastrées les unes dans les autres, sur fond de la grande Histoire.
La narratrice est la petite fille devenue une jeune femme de trente-cinq ans, mathématicienne. Un livre qui regorge de musique et de poésie mais aussi beaucoup d'amertume, de tristesse, d'injustice et de cruauté dû à l'avènement d'un nouveau régime, qui au nom de reconstruire une "nouvelle" société décima tout sur son chemin, y compris le riche patrimoine culturel et ses enseignants. Des milliers de gens furent enfermés dans "des camps de ré-éducation ", pour crimes contre-révolutionnaires, des crimes que même leurs bourreaux eux-mêmes peineront à définir, comme la possession de livres de musique ou de poésie.

Un livre, symbol d'immortalité, dont les trente et uns carnets symboliques copies d'originaux voyageront dans le temps et l'espace jusqu'à nos jours, comme gardiens de la mémoire pour l'éternité.
Un livre sur l'importance de nos racines, dont ce monde où la mondialisation
et les flux migratoires ont brouillé les pistes de nos appartenances aussi bien en bien qu'en mal.
Un livre dont j'ai adoré tous les personnages féminins, sans exception, dont Big Mother Knife et Old Cat !
Un livre dont je n'ai juste pas compris le sens du titre français, tout autre que l'original, "Do not say we have nothing", "Ne dit pas que nous n'avons rien", qui n'a rien à voir avec "Nous qui étions rien", dont je n'ai pas bien compris le sens dans le contexte du livre. Une des protagonistes, aprés que les Gardes rouges eurent tout décimé dit " Toutes ces choses que nous n'avons plus sont rien comparés à toutes les choses que nous avons eu" ,("All these things that we don't have are nothing compared to the things we did have.")....., d'où je pense vient le titre original, très touchant et profond.
Un livre intéressant, une magnifique prose ( v.o.) aux envolées lyriques, mais très frustrant. Frustrant, la dualité du caractère humain, la description de la stupidité des masses ( les lynchage m'ont particulièrement révoltée et dégoûtée ), d'un peuple soumis, crevant de faim, qui ne perd pas foi en son bourreau, et docile continue à faire son autocritique ( pour se faire encore plus humilier ? ) , allant jusqu'à dénoncer sa propre famille, comme lui impose le Parti, creusant de ses propres mains son propre tombeau....bien que l'auteur finalement en arrive à l'abrutissement de l'individu par ces régimes autoritaires qui éradique toute volonté et tout désir de lutter chez l'homme, la peur étant devenu la constante de base, si bien qu'il n'est même plus perçue comme Peur. L'absurdité de cette violence et soumission qui achève le propre de l'individu, a finit par me donner la nausée, malgré la beauté du texte et des passages terriblement émouvants ( “J'ai choisi ma vie, Ai-ming” dit-il, “J'ai choisi la vie que j'étais capable de vivre”).
C'était un tout petit peu long et émotionnellement fatigant pour moi......



“The stupidity we went through, a whole generation slapping its own head … how come we keep arriving at the same point?”
( Notre propre imbécilité , toute une génération à cogner notre propre tête.......comment fait-on pour en arriver toujours au même point ? )


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Avec Nous qui n'étions rien, Madeleine Thien plonge son lecteur dans cette Chine populaire qui nous a inquiétés, choqués, scandalisés, fait rêver parfois, affolés aussi au cours du XXe siècle, tout cela sur un fond musical d'une richesse et d'une érudition extrêmes.
Le livre, comme l'auteure, base son point de départ au Canada, à Vancouver, où des familles chinoises ont trouvé refuge, fuyant un régime niant toute initiative individuelle et qui embrigadait son peuple. Jiang Kai, le père de Marie Jiang ou Jian Li-ling, la narratrice, était un pianiste célèbre mais on apprend qu'il s'est suicidé à Hong-Kong, en 1989. Déjà, sont évoquées les manifestations tristement célèbres de la place Tian'anmen, à Pékin, la même année.
Marie Jiang part ainsi à la recherche des membres de sa famille, compare les caractères, signale qu'on ne parle pas tout à fait la même langue d'un lieu à un autre de cet immense pays et remarque : « Sur la table, les papiers de mon père ressemblaient à de l'écume surgissant à la crête d'une vague prête à exploser sur le tapis. »
C'est l'arrivée d'Ai-ming, le 16 décembre 1990, une Chinoise qui a fui son pays par le Kirghizistan, sans passeport, qui va précipiter les choses mais la quête sera très longue et passera pas des allers-retours pénibles entre le présent et un passé d'une densité folle et compliquée entre de nombreux personnages. Certains ont gardé leur nom chinois mais pour d'autres on a francisé et c'est ainsi que l'on fait connaissance avec Pinson, Grand-mère Couteau, Vrille sa soeur, Wen le rêveur son mari, Ours volant… la liste serait trop longue. D'ailleurs, il a été nécessaire de mettre un petit arbre généalogique au début du livre et je m'y suis reporté de temps à autre.
Ce roman est une gigantesque fresque durant laquelle, je l'ai dit, la musique revient sans cesse. Si Jiang Kai était pianiste, Pinson était compositeur, Zhuli une formidable violoniste et le conservatoire de Shanghai où ils habitent, est le centre de nombreux événements jusqu'à ce que la Révolution culturelle de sinistre mémoire ravage tout.
J'ai trouvé lassant cette analyse constante de la musique ou alors, j'aurais bien aimé pouvoir entendre en même temps les oeuvres signées Bach, Prokofiev, Beethoven, etc… même comme c'est si bien écrit : « La musique accompagnait les naissances, les rituels, le travail, les défilés, l'ennui, les affrontements et la mort ; la musique et les histoires, même en des temps comme ceux-là, étaient des refuges, des passeports, partout. »
Dans ce beau livre des éditions Phébus découvert grâce à Babelio, le Livre des traces sert de trame romanesque. Il suffit de remplacer les noms imaginaires par leurs noms réels pour connaître l'histoire de la famille.
Enfin, c'est lorsque débutent les manifestations des étudiants rejoints par les ouvriers dans Pékin et sur la place Tian'anmen comme dans d'autres villes du pays, que le roman prend toute son envergure. Ai-ming, la fille de Pinson, raconte. Elle est au coeur de ce qui se passe avec Yiwen, son amie, et c'est passionnant, bouleversant et tellement important pour ne pas oublier ce qu'ont vécu tous ces gens qui ont démontré un courage extraordinaire

Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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Une jeune femme, Marie, née au Canada de parents chinois, essaie de reconstituer son passé, ses racines chinoises. Elle est en quelque sorte guidée par une jeune fille, Ai-Ming, qui passe quelques temps chez eux. Ai-Ming fuit la Chine en 1989, après les événements de la place Tian'anmen, son père Pinson ayant été très proche du père de Marie, Kai. Ai-Ming raconte à la petite fille qu'est Marie, la vie de sa famille, de sa grand-mère Couteau, son grand-père Ba, de Vrille sa grand-tante...Après le départ de Ai-Ming, Marie voudra et ne pourra la retrouver, mais à travers des lettres, des témoignages, des objets, des rencontres et voyages, elle va reconstituer la vie de la famille de Ai-Ming et aussi un peu de celle de son père, mort jeune. Une histoire soumise aux vicissitudes de l'Histoire de la Chine du XXe siècle, guerre civile, les Cent fleurs, le Grand bond en avant, la Révolution culturelle, Tian'anmen … Une histoire cruelle, dans laquelle personne n'a été épargné, tout le monde devient victime à un moment ou un autre.

Nous suivons successivement les vies mouvementées des personnages, avec en contrepoint le regard de Marie. La famille d'Ai-Ming est une famille de musiciens, qui vivent passionement leur rapport à cet art, pour qui elle est source de bonheur, qui pourrait être une consolation. Mais même l'art peut devenir suspect et dangereux dans un régime qui veut tour régenter, y compris les pensées. Tous les personnages auront à faire à un moment des choix, même si au final, il en n'en existe pas de bons.

Madeleine Thien tisse petit à petit une vaste fresque polyphonique, donnant voix à des multiples personnages, en brossant sans doute à travers eux un tableau du peuple chinois dans son ensemble, pendant ces années difficiles, dans cette histoire tourmentée. Comme un musicien, elle construit plusieurs mouvements, des motifs qui reviennent, des leitmotivs, des sonorités disparates qui se rejoignent. Des moments de violence sont précédés de moments joyeux ou tendres, la tristesse cède la place à la sérénité. Ce n'est pas un résumé d'événements historiques précis et détaillé on y croise pas vraiment de personnages célèbres, il s'agit plutôt d'évoquer les résonances de ces événements sur des gens ordinaires, qui y ont participé bien malgré eux, qui ont été entraînés, parfois détruits par l'onde de choc. L'humain, le sensible, sont ici au premier plan, plutôt qu'une analyse historique à proprement parlé. C'est émouvant sans trop tirer vers le pathos et l'émotion facile.

L'approche est poétique, il y a des ellipses, des métaphores, des symboles. Comme celui de ce livre, que plusieurs personnages du roman recopient par morceaux tour à tour, en les inventant, en y opérant des changements, en participant à sa création ininterrompue. Un livre qui n'aura pas de fin, comme nous ne connaîtront pas le destin dAi-Ming. La fin demeure ouverte, c'est au lecteur, et à l'histoire future de continuer à raconter la suite.

Un grand merci à Babelio et aux Editions Phébus (décidément l'un de mes éditeurs préférés) de m'avoir proposé ce merveilleux livre, que je n'aurais peut-être pas lu sans cela, ce qui aurait été dommage, tant j'ai passé un beau moment en sa compagnie.
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Puissant et très émouvant ! Musique et persécutions rythment la vie d'une famille chinoise, de la guerre sino-japonaise à la répression de Tian'anmen. Ils aiment et jouent (très bien) Bach, Beethoven, Prokofiev et Ah Bing (que je viens de découvrir avec beaucoup de plaisir grâce à ce roman). Une famille de musiciens que nous suivons sur trois générations. Trois générations sacrifiées sur l'autel d'une idéologie qui voulait créer un Homme Nouveau et qui n'aura réussi qu'à en massacrer cruellement plusieurs dizaines de millions.
Le titre anglais (ne pas dire que nous n'avons rien) en dit plus que sa version française. Les personnages sont dans l'impossibilité de se plaindre des misères et de l'injustice qui leur sont faites. Non seulement, ils doivent souffrir en silence, sans pouvoir clamer leur innocence, mais on les force à avouer des fautes qu'ils n'ont jamais commises. Ceux qui refusent sont exécutés ou poussés au suicide. Au fil des pages, à travers le destin tragique de ces modestes et attachants personnages, qui ne souhaitaient qu'aimer leur famille et travailler le don dont ils avaient hérité, mais qui seront tous brisés par cette effroyable mécanique, l'auteure règle le compte du Maoïsme, effroyable usine à malheur et à cruauté, tapie derrière des grands mots poétiques dont la Chine a le secret : Grand Bond en Avant, Cent Fleurs, Révolution Culturelle. C'est fort !
Commençons par la musique, à la fin des années 40 : « C'était une époque de chaos, de bombes et d'inondations, où les chansons d'amour coulaient des radios et sourdaient dans les rues. La musique accompagnait les mariages, les naissances, les rituels, le travail, les défilés, l'ennui, les affrontements et la mort ; la musique et les histoires, même en des temps comme ceux-là, étaient des refuges, des passeports, partout. »
« A l'époque, un village pouvait changer de mains toutes les deux ou trois semaines, un jour dans celles des communistes, l'autre dans celles des nationalistes, et le lendemain, des Japonais… Mais dans les salons de thé, tout le monde pouvait partager quelques chansons. Les gens savaient que la famille et les liens du sang étaient réels, racontait Mère Couteau. Ils savaient que la vie ordinaire avait déjà existé. Mais personne ne pouvait leur dire pourquoi, du jour au lendemain et sans raison valable, tout ce qui leur était cher avait été réduit en poussière. »
Vous avez raté l'évolution politique de la Chine sur les soixante-dix dernières années ? Ce roman vous remettra à jour d'une façon que vous n'oublierez pas.
Ils n'ont que la solidarité familiale et la musique pour affronter les cataclysmes qui vont s'abattre sur eux pendant soixante-dix ans. Grand Bond en Avant, Cent Fleurs, Révolution culturelle. Jusqu'à l'espoir noyé dans le sang de la place Tian'anmen (Paix Céleste !). En guise de fleurs ou de bonds en avant, il n'y a que dénonciations, spoliations, séances d'autocritiques, seuls face à la foule haineuse et violente, défilés en ville pour subir insultes, crachats, coups pendant de longues heures, déportations, camps de travail et de « rééducation », exil à l'autre bout du pays sans espoir de revoir ses proches, famines effroyables, obligation de dénoncer les propres membres de sa famille.
« (Zhuli) allait apercevoir les pancartes qui séchaient sur la table de la cuisine. Da Shan et Ours Volant avaient été forcés de critiquer Zhuli, Vrille et Wen le Rêveur. Ces dénonciations seraient affichées au matin. Traitez-la de fille de sale droitiste, leur avait ordonné Ba Luth. Il le faut. Allez écrivez. Ne me regardez pas comme ça. Ce n'est rien, seulement des mots. Da Shan, si tu ne dénonce pas Zhuli, ce sera encore pire pour elle. Ils reviendront en disant qu'elle est un démon, qu'elle s'est infiltrée dans nos vies. Laissons-les nous humilier, si c'est ce qu'ils veulent. Mieux vaut être humble, tu ne crois pas ? Tu ne voudrais pas que ton pauvre père, que tes frères perdent la vie ? L'adolescent trempa son pinceau en tremblant. Avec soin, il traça le nom de Zhuli.»
La fin du roman est d'une telle intensité, les personnages tellement émouvants qu'on finit par tourner les pages à la vitesse d'un bon polar. Que peut-on accepter de faire pour continuer à vivre lorsqu'on est déjà un survivant ? Jusqu'où peut-on s'oublier et tendre la main à celui qui est en danger?
A lire absolument, si possible en écoutant de la musique traditionnelle chinoise qui, avec erhu, dizi et pipa, accompagne tellement bien ce voyage aussi éprouvant que poétique.
Mes remerciements à Babelio et aux éditions Phebus qui m'ont permis de découvrir en avant-première ce magnifique roman.
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Un récit magnifique, puissant, intense, qui nous plonge dans la Chine de la Révolution culturelle, jusqu'aux manifestations de la place Tian'anmen. Il ne s'agit pas d'un livre d'histoire centré sur les faits mais plutôt d'un livre d'ambiance centré sur les gens. On prendrait grand plaisir à le lire, même s'il s'agissait d'une pure fiction. Je vous le recommande très chaudement !

Je suis dépité à l'idée de rédiger un commentaire qui ne sera pas à la hauteur de ce que ce livre mérite. Car je l'ai lu dans de mauvaises conditions: non seulement j'étais fort fatigué et en plus, mon temps de lecture à été morcelé par divers imprévus. Bref, à mon grand regret, je n'ai pas pu donner toute l'attention qu'il m'aurait fallu donner.

Je me suis laissé bercer par le texte, mélangeant parfois les personnages, oubliant parfois certains faits. Mais, c'est remarquable, le livre autorise aussi cette lecture-là. Je veux dire que j'ai pris plaisir à apprécier les portraits de musiciens se retrouvant à travailler en usine, ou des portraits de militants, des portraits de jeunes étudiants, des portraits de personnes plus âgées…

J'ai pris plaisir à me sentir plongé dans une sorte de rêve poétique où la musique a une place prépondérante. Plusieurs personnages du récit sont des artistes passionnés. On les voit chercher à tout prix à poursuivre leur travail de composition, on les voit prendre plaisir à écouter ou à interpréter des compositions européennes, malgré toutes les embûches semées par le régime politique. Voir ces gens guidés par leur passion est pour moi une source d'énergie d'une grande valeur.

L'auteur excelle également à faire ressentir combien la Révolution culturelle a été vécue différemment dans les grandes villes par rapports aux campagnes.

Ma connaissance de cette période de l'histoire de la Chine se réduit à peau de chagrin. Je ne m'aventurerai pas à porter le moindre jugement sur la valeur historique du livre. S'il dépeint fidèlement la réalité de l'époque, tant mieux. Mais si ce n'est pas le cas, peu importe: sa valeur littéraire est une raison suffisante pour en entamer la lecture. Une lecture d'hiver, dirais-je, une lecture pour s'installer bien au chaud et s'évader de longues heures dans un autre monde.

Je remercie les éditions Phébus de m'avoir fait découvrir cet ouvrage et son auteure dans le cadre d'une opération Masse critique de Babelio. Je suis déjà curieux d'entamer d'autres ouvrages de Madeleine Thien.
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Madeleine Thien, l'auteure de Nous qui n'étions rien, est née à Vancouver. Ses parents appartiennent à l'importante diaspora chinoise installée en Colombie-Britannique, sans doute à la fin du bail emphytéotique de Hong Kong. Elle s'est probablement inspirée de la vie, des épreuves et de l'exil de ses proches pour créer sa galerie de personnages, tous très complexes, attachants pour la plupart, sensibles ou apparemment indifférents, prétendument forts ou extrêmement fragiles.
***
Li-Ling (Marie) vit à Vancouver avec sa mère. Kai, son père, est retourné à Hong Kong (1989) où il s'est suicidé au plus grand désarroi des deux femmes qui s'interrogent sur le motif de son acte. Alors que Marie a dix ans, malgré leurs difficultés financières, sa mère accueille Ai-Ming, une jeune réfugiée sans passeport, obligée de fuir la Chine après les événements de la place Tian'anmen à Pékin (1989). En fait, il s'agit de la fille de Pinson, qui a parrainé Kai, le père de Marie, au conservatoire de musique de Shanghai dans les années 60. Marie, grâce à Ai-Ming et au Livre des Traces, va pouvoir reconstituer une bonne partie de la vie de sa famille et, partant, de l'histoire de la Chine. le Livre des Traces voyage secrètement de main en main et de lieu en lieu depuis la génération des grands-parents de Marie. Au fil du temps, il est modifié, codé, et comme son nom l'indique, il pose des jalons qui sont autant d'indices qui permettront de remonter jusqu'à son origine. Marie n'obtiendra pas toutes les réponses à ses questions, mais elle découvrira certaines choses qu'elle aurait sans doute préférer ignorer…
***
J'ai eu de la difficulté à entrer dans ce magnifique et ample roman. Non que les sauts dans le temps m'aient dérangée, j'y suis habituée et ce type de construction me plaît à cause des variations qu'elle induit et des liens qu'elle fait souvent ressortir, ce qui est presque toujours le cas dans cette oeuvre. Qu'un personnage porte plusieurs noms m'a déroutée, d'autant plus que mon manque de connaissance de la culture chinoise ne me permettait pas de savoir qui était une fille et qui un garçon. L'arbre généalogique qui se trouve au début du texte m'a été très utile, même si un seul des noms de chaque personnage y apparaît, et je l'ai consulté plusieurs fois. Presque tout dans ce roman a un lien avec la musique, que ce soit la musique occidentale ou chinoise. Pinson est un compositeur doué, Kai un pianiste reconnu, Zhuli une violoniste exceptionnelle. Ils vouent une passion à Glenn Glould, le génial pianiste canadien dont les interprétations de Bach continuent à être une référence. Les personnages de Madeleine Thien sont devenus tellement vivants au fil de la lecture et tellement intégrés à la dramatique trame historique que, à plusieurs reprises, je n'ai pas pu m'empêcher de déplorer un tel gâchis : tant de morts, tant de disparus, tant de talents brisés, tant d'espoirs anéantis par des politiques absurdes et absurdement récurrentes ! Une magnifique et tragique histoire qui, je le sais, devait m'émouvoir autant, voire plus, quand je relirai ce beau roman.
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« du passé faisons table rase. Foule esclave, debout! Debout! Nous qui n'étions rien, soyons tout! »
Un des cris de ralliement du prolétariat entonné par le peuple chinois à l'ère du communisme, une saga familiale racontée par Madeleine Thien dans ce roman historique et commémoratif aux victimes des manifestations de la place Tian'anmen au printemps 1989.
Jian Li-Ling (Marie) a dix ans lorsque son père, Jiang Kai, pianiste virtuose, se suicide à Hong-Kong. Sa mère et elle habitent alors à Vancouver et lorsque sa cousine éloignée Ai-Ming débarque chez elles au début des années 1990, Marie découvre petit à petit un pan caché de sa famille élargie chinoise. C'est donc l'histoire de Grande Mère Couteau et de son mari Ba Luth, leurs enfants Pinson, Da Shen, Ours Volant, la tante Vrille et son mari Wen le Rêveur, leur fille Zhuli, qui défile, tel un conte des mille et une nuits, au temps du Grand Bon en Avant, de la Campagne des Cent-Fleurs et de la Révolution culturelle, que proclame Mao pour faire renaître une Chine nouvelle. le peuple chinois en passera par toutes les peines, les peur, les remords, le mépris, les humiliations, le dégoût et la haine pendant toutes des années de reconstruction.
« - Nos livres regorgent de récits d'erreurs sur la personne, d'amours maudites, de longues séparations. » Et les quelques longueurs du roman n'affectent en rien la fluidité de l'histoire, au contraire, elles me sont apparues, finalement, vitales à sa structure.
À lire pour mieux comprendre la vie quotidienne sous la dictature communiste chinoise.
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S'agit-il de synchronicité, de coïncidence ou d'une certaine intertextualité avec l'histoire qui s'écrit ces jours-ci? J'étais plongé dans la lecture de ce magnifique roman influencé par la musique de Bach et un mystérieux assemblage de calepins réunis dans le Livre des Traces, dans ce récit personnel et familial où une narratrice mathématicienne se met à la recherche de soi et de ses racines prenant pour décor l'aventure chinoise, de la révolution culturelle aux événements de Tiananmen quand les journaux télévisés rapportent de similaires agitations à Hong Kong.

C'est par les yeux de celles et ceux qui le vivaient que nous sont racontés le soulèvement et les manifestations de la place Tiananmen. Cela s'incarne ainsi d'une façon plus intense et il est impossible, ensuite, de porter le même regard sur cet élément d'histoire comme sur l'actualité qui en prend la forme.

C'est la quête de Marie et celle d'Ai-Ming pour reprendre contact avec leur passé qu'on retrouve dans Nous qui n'étions rien, mais c'est également une odyssée chinoise où les malaises, les douleurs et les rêves d'une multitude de personnages attachants, dont plusieurs sont musiciens, nous sont révélés à l'aide d'une plume qui semble s'inspirer de la pensée chinoise comme de la musique. Elle présente une admirable fluidité.
Lien : http://rivesderives.blogspot..
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Nous qui n'étions rien fait le pari de reconstituer la destinée mouvementée d'une famille de Shanghai sur plus d'un demi-siècle, depuis la mise en place du communisme jusqu'à aujourd'hui. Peut-on disparaître sans laisser de traces ? L'Histoire peut-elle effacer, sous son poids, le sort de millions d'individus qu'elle a balayés dans les soubresauts des révolutions ? Madeleine Thien répond à ces questions dans un roman ample, tumultueux et cependant d'une indéniable maîtrise.
Dans l'épopée qu'elle retrace, temps long et temps court se chevauchent constamment, le lecteur étant propulsé de l'un à l'autre par une sorte de dialogue entre le passé et le présent. Quand le livre s'ouvre, Li-ling, qui s'appelle aussi Marie, convoque ses souvenirs. Elle revit le moment de la mort de son père, Jiang Kai qui, après avoir quitté la Chine et rejoint le Canada, avait abandonné femme et enfant pour retourner à Hong Kong où il s'était suicidé. Dans les mois qui suivirent cette tragédie, le modeste foyer de Marie et sa mère, à Vancouver, accueillit Ai-ming, une étudiante fuyant les représailles consécutives aux évènements de la place Tian'anmen. La jeune fille devint vite une soeur pour Marie, éloignant sa solitude et calmant ses angoisses grâce aux chapitres décousus d'un mystérieux Livre des traces. Là, le récit se met à basculer vers le passé pour se recentrer autour d'une famille de chanteuses et de musiciens de Shanghai. Se dessine alors une généalogie dont les ramifications se déploient dans les plis et les replis de la Chine nouvelle. Réformes agraires, campagne des Cent Fleurs, Révolution culturelle, Quatre modernisations, Printemps de Pékin, la Chine nous apparaît comme une mer houleuse qui soulève sa masse grise dans des tempêtes qui emportent les frêles esquifs humains avant de les rejeter brisés sur le rivage.
Je me suis longuement interrogée sur la manière dont je ressentais les personnages du roman, essayant de comprendre la distance qui s'établissait entre eux et moi, comme si leurs ressorts m'échappaient à certains moments. Il me semble, après réflexion, qu'ils n'obéissent pas à ce qui détermine nos comportements judéo-chrétiens, l'idée du bien et du mal et le sentiment de culpabilité qui en découle. Leurs actes sont motivés par ce qu'ils doivent faire et ce qu'ils n'ont pu accomplir, la sanction de leur impuissance étant le renoncement. Quand Pinson échoue à protéger sa nièce Zhuli, il ne peut que renoncer à la création. Quand Jiang Kai abandonne Pinson pour suivre ses ambitions, il n'aura pas d'autre choix que de renoncer à la musique. Quand Ai-ming laisse derrière elle sa mère, elle sera incapable de vivre une autre existence loin de son pays. Seuls Wen le rêveur et Vrille en allant jusqu'au bout de leur amour n'ont pas à y renoncer.
Je ne pense pas avoir tout compris de la signification du Livre des traces dont les fragments épars relient les personnages au-delà du temps et de l'espace. Roman au début recopié par Wen le rêveur pour séduire la chanteuse Vrille, il permettra par la suite à cette dernière de le retrouver dans son errance de fugitif. Des chapitres de l'ouvrage sont aussi conservés par Grand-mère Couteau, recopiés par son mari Ba Luth, transmis à Zhuli, recopiés encore par Pinson, et Ai-ming en retrouvera une partie dans les documents laissés par le pianiste Jian Kai. Il fournit à chacun la possibilité de reconstituer l'histoire d'une lignée, d'en rassembler les membres aussi dispersés par la vie que les héros du roman. Peut-être Madelein Thien fait-elle de ce fil rouge une allusion à Sima Qian, le père de l'histoire chinoise qui a vécu aux IIe et Ier siècles avant J-C. Ce chroniqueur et scribe de l'empereur chercha à recenser l'ensemble des personnages mythiques ou réels des époques précédentes pour en faire une synthèse historique. Il s'attela à la tâche monumentale de sauver de l'oubli des fragments très curieux de la littérature ancienne et de redonner à des personnages discrédités la sagesse, l'honneur et le sens de la justice qui les caractérisaient. Il remarqua que « ayant aimé la retraite et l'obscurité par-dessus tout, ils effacèrent délibérément la trace de leur vie.» Madeleine Thien a choisi elle aussi de se faire la chroniqueuse minutieuse de ceux qui ont été emportés par les rigueurs capricieuses de l'Histoire.
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Merci à BABELIO et aux Editions PHEBUS pour cette découverte.

Il est des romans si denses, si profonds, soulevant des questions existentielles qu'ils ne peuvent être lus rapidement ou alors on a l'impression de passer à côté de quelque chose.

« Nous qui n'étions rien » fait partie, pour moi, de ces romans.

La jeune Marie, adolescente d'origine chinoise, est née et vit à Vancouver. Sa mère accueille en leur domicile, Ai-Ming, étudiante à Pékin devant fuir la répression consécutive à la rébellion de la place Tian'anmen.

Apparemment la jeune fille serait la fille du meilleur ami du père de Marie, récemment disparu à Hong-Kong. Marie ne connaît rien de la Chine qu'elle va découvrir à travers l'histoire qu'Ai-Ming va lui raconter : celle de la famille de son père.

Pinson, c'est ainsi qu'on l'a surnommé dès l'enfance, naît après la Révolution Culturelle dans une famille où la musique a toujours tenu une très grande place. le statut de son père, héros de la révolution, lui permettra d'étudier et d'enseigner au Conservatoire.

Mais, la contre-révolution dans les années 1960 et son lot de violence viendra chambouler sa vie : il deviendra ouvrier dans une usine de fabrication de transistors. C'est ce qu'on appelle alors la rééducation par le travail. Pendant des années, Pinson ne pourra plus écouter ses compositeurs favoris (Chostakovitch, Bach et Beethoven), ni même composer.

Le désir de liberté, initié par les étudiants, qui se met à souffler sur la Chine à la fin des années 1980 laisse espérer un renouveau. Les espoirs seront bien vite brisés.

Il y a deux choses qui ont retenu mon attention dans ce roman :

la dictature faite au nom du Peuple qui a conduit à la famine, à la misère du plus grand nombre, à l'éradication des intellectuels et des artistes, à la terreur engendrant elle-même des dénonciations et des exactions, au rejet de l'individualité et à l'impossibilité de toute vie privée : « La vie était comme ça à l'époque, a-t-elle fini par dire. Les gens se perdaient du vue. On pouvait vous envoyer à cinq mille kilomètres de chez vous sans espoir de retour. Tout le monde connaissait tellement de gens dans cette situation, des gens qu'on avait envoyés ailleurs (…) Les gens n'avaient tout simplement pas le droit de vivre où ils voulaient, d'aimer qui ils voulaient, d'exercer le métier qu'ils voulaient. le Parti décidait de tout. (…) Tant de gens avaient été envoyés dans des camps de travail comme Ba Luth, arrêtés comme Vrille et Wen, réassignés dans des provinces lointaines comme Ling et Mère Couteau ; ces gens avaient été privés d'une liberté fondamentale : le droit d'élever leurs propres enfants. »
D'où mon questionnement, le Peuple a-t-il toujours raison ? Les actes commis en son nom ne sont-ils parfois pas plus terribles que ceux d'un pouvoir soucieux du respect des institutions ? Je trouve que cela résonne particulièrement avec ce que nous vivons actuellement en France (ceci n'est que mon opinion personnelle).

le pouvoir de la musique classique. J'ignorais que les musiciens cités plus haut avaient été largement étudiés, joués en Chine avant l'arrivée de Mao au pouvoir. La musique tient une si large place dans ce roman que je suis allée emprunter à ma médiathèque préféré les oeuvres citées.
» Nous qui n'étions rien » est un roman à découvrir car il permet de découvrir l'Histoire de la Chine à travers celle de Pinson, Mère Couteau, Vrille, Da-Wei et Quatre Mai, sans oublier Zhuli la jeune violoniste passionnée.

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