Imaginez ...
Imaginez un ciel noir rempli d'étoiles, où scintillerait un astre en forme de croissant. A quoi pensez-vous ?
Fermez les yeux pour mieux vous représenter la scène.
Allez, un petit effort ! Quel mot vous vient à l'esprit ? Concentrez-vous bien.
Et ouvrez les yeux.
Vous avez pensé à la lune non ? Et vous savez comment je le sais ? Parce que je suis un presditi ... un prestididi ... un prestiditateur ?
Enfin un magicien quoi.
Et
Franck Thilliez est bien meilleur écrivain que mentaliste parce que sa petite illustration en guise de prologue, je ne sais pas pour vous, mais moi je n'y étais pas du tout !
C'est d'ailleurs derrière un illusionniste meurtrier que vont courir Franck
Sharko et son équipe.
Tout commence avec un prénom deviné par un individu lambda, probablement posté par le criminel, que tout commence.
Cette découverte va emmener notre enquêteur préféré dans le plus grand cabaret du monde.
Enfin un petit pavillon en forêt pour être exact. Où les mouches à viande font office de paillettes. Ils y retrouvent le cadavre martyrisé d'une femme, un meurtre à la
John Dickson Carr puisque la seule issue possible était fermée de l'intérieur.
Comme dans les autres romans de
Thilliez, les flics du 36, quai des orfèvres reconstitueront progressivement les évènements, à grand renfort de révélations chocs et de scènes intenses ou dramatiques. A chaque éclaircie un autre nuage finit par apparaître et les mystères s'inscriront dans un tableau bien plus vaste.
Mais la différence cette fois, c'est que celui qui sera surnommé "Le méticuleux" décide de tout. le tueur fait en sorte de laisser de mystérieux indices qui mèneront la police à d'autres tours de
passe passe tout à fait immondes. C'est lui qui a les cartes en main, c'est toujours lui qui va décider qui et quand va tirer la dame de pique. Il est le maître du jeu, le monsieur Loyal d'un cirque macabre dont le moindre enchaînement semble avoir été calculé au millimètre depuis des années.
Jusqu'à l'éblouissant final.
Ses prouesses confinent au surnaturel, à la sorcellerie la plus noire
Pourquoi
1991 ?
Franck Thilliez répondrait à cette question beaucoup mieux que moi.
Sans parler de nostalgie forcément, il y avait sans doute une volonté de se rappeler à quoi le monde ressemblait alors, quand l'auteur avait tout juste dix-huit ans.
Les tenues vestimentaires, les coiffures, la musique, le minitel. Les fumeurs dans les lieux publics, les jeux olympiques d'Albertville qui auraient lieu l'année suivante. L'informatique ou la téléphonie mobile qui n'en n'étaient qu'à leurs premiers soubresauts. On devait faire développer ses photos. L'ADN n'en était qu'à ses prémisses également.
C'était hier.
J'avais seize ans, j'étais en première, je lisais déjà énormément, plus encore qu'aujourd'hui.
Je commençais sérieusement à m'intéresser aux filles mais la réciproque n'était hélas pas vraie.
Mais avant tout, je pense que
1991 était l'occasion de découvrir
Sharko autrement. de donner davantage de relief au flic qui sera bientôt incarné à l'écran par Vincent Elbaz. Lui donner un passé, une histoire, par laquelle le lecteur pourra d'ailleurs commencer s'il privilégie l'ordre chronologique à l'ordre de publication.
En effet la première apparition de
Sharko dans un roman ne se fera que onze ans plus tard dans le confidentiel
Conscience animale ( 2002 ) qui sera suivi plus officiellement par
Train d'enfer pour ange rouge ( 2004 ),
Deuils de miel ( 2006 ) et les multiples thrillers scientifiques où il sera accompagné par Lucie Hennebelle.
Mais mine de rien, s'il avait trente ans en
1991, il devrait en avoir soixante cette année non ?
Oui je sais, j'ai toujours été bon en maths.
Et il devrait bientôt songer à prendre sa retraite. Il devient irresponsable. Qu'est ce qu'il va devenir dans dix ans, dans vingt ans ? Il va courir après les suspects en déambulateur ?
J'habite à une vingtaine de kilomètres de Bruay-la-Buissière, où j'ai déjà eu l'occasion de me rendre pour différents stages.
Il y a peut-être trois semaines, j'ai appris que suite aux proportions qu'avait prise une affaire criminelle sur une adolescente, qui impliquait peut-être un notaire, la commune de Bruay-en-Artois avait du changer de nom.
Elle s'appelait Brigitte Dewevre et cette jeune femme des corons, assassinée en 1972, était l'amie de
Sharko, encore enfant.
La réalité rejoint la fiction pour lui donner plus de poids. Et ça a été très étrange pour moi de retomber si peu de temps après sur cette même histoire dans un roman, incarnant le moment où
Sharko s'est promis de retrouver le coupable, et qui a déclenché son entrée dans la police et notamment au commissariat de Bruay.
Il devient un être de chair et de sang et pas seulement de papier
En même temps
Thilliez aussi est du département et évoquer cette affaire irrésolue encore très médiatisée devait lui tenir à coeur.
Le meurtre est désormais prescrit depuis 2005.
Notre jeune inspecteur voit donc son rêve s'accomplir en intégrant une des brigades criminelles les plus prestigieuses. Pas avec l'équipe que nous lui connaissons habituellement mais avec Florence, Serge, Einstein, le Glaive et leur chef Titi. Dernier arrivé il sera soumis aux basses besognes : fouiller dans les archives jusqu'à retrouver le moindre élément qui pourrait permettre de relancer l'affaire du tueur du Sud parisien, qui a déjà trois crimes à son actif. C'est déjà notre
Sharko, malin et intuitif, mais pas infaillible. Et c'est avec le sourire qu'on voit ce colosse être surnommé "Petit" par un de ses collègues.
Il est encore inexpérimenté et le voir faire des bêtises ou des entorses au règlement lui donne un côté plus humain, plus touchant. Il n'est pas encore l'homme endurci ou désespéré que nous croiserons dans les futurs romans et cette première étape est essentielle pour avoir le sentiment de mieux le connaître.
En tout cas, il est déjà le squale qu'il restera dans le futur.
"Mais un requin lui collait au train. Un prédateur qui avait flairé l'odeur du sang."
Se posera également à plusieurs reprises la question de la loyauté. Jusqu'à quel point une équipe comme la leur doit-elle rester soudée ?
Encore un très bon thriller de
Franck Thilliez dans lequel un rôle majeur est bien sûr donné au jeune
Sharko.
Il m'aura fallu dix ans quand même pour remarquer que l'auteur avait le même prénom que son personnage principal. Sur ce coup là j'ai manqué de réactivité.
L'équilibre entre action, suspense et travail sur les personnages est parfaitement géré. D'ailleurs on ne voit quasiment pas passer les cinq cent pages, toujours dans l'attente de la suite ou de la prochaine révélation. La nostalgie fait aussi son petit effet ... et j'ai quand même pris un coup de vieux.
Ce que j'ai un peu moins aimé en revanche c'est toute cette magie qui s'écroule rapidement, et qui fait retomber le livre du côté rationnel trop vite, trop facilement. Lui ôtant son aura de mystère qui aurait pourtant gagné à être approfondie, ou du moins à perdurer.
A l'inverse, comme je l'ai déjà dit, nous permettre de suivre les premiers pas de
Sharko, que ce soit en tant que flic à la criminelle, en tant que jeune amoureux de Suzanne ou qu'enfant ayant un lien fort avec Brigitte Dewevre est un vrai cadeau que nous fait l'auteur de
Pandemia.