Ecrire un ouvrage fantaisiste, comprendre : qui laisse une grande part à l'imagination, aux digressions narratives tout en restant stimulant, est une gageure.
Diderot et Sterne, que
Pierre Thiry admire beaucoup, en sont devenus les maîtres du genre.
Lélu et Berthet s'y emploient avec succès. Cependant, pour Thiry, l'exercice de style se transforme en brouillon narratif.
Il y a trop et trop peu dans ce roman. Trop de jeux stériles qui ne sont ni amusants ni pertinents (chansons à recomposer) ; trop de points d'exclamations qui modifient cet ouvrage en discussion 2.0. Pas assez de profondeur dans les personnages ni de création artistique.
Il y a aussi une forte hésitation quant au public ciblé : de 10 à 110 ans ? Non. le lecteur adulte s'ennuie rapidement de ces facéties qui conviennent mieux à l'improvisation d'un conte inventé avec un enfant, au coucher. Elles ne peuvent convenir à un lecteur exigeant, adulte ou enfant, car ce dernier est parfois bien plus intransigeant que ses aînés. C'est pourquoi les notes en bas de page semblent insultantes pour le lecteur et, qui plus est, aléatoires donc dénuées de sens (« bucolique » est défini mais pas « patibulaire»). Dans le même ordre d'idées, l'utilisation abusive et répétitive des mêmes références culturelles (
La Fontaine, Harry Potter, pour ce citer que ceux-là), trop souvent données au lecteur dans des notes de bas de pages lorsque le plaisir vient justement de leur reconnaissance, réduit à rien leur intérêt.
Par ailleurs, le conte fonctionne mal car il met en scène des situations et des personnages qui ne trouvent pas leur place dans le récit. Les péripéties empruntent aux histoires pour enfants (transports, personnages, moyens « techniques » pour se sortir de la situation) sans leur attribuer la valeur symbolique, le rôle d'émancipation ni la réflexion qui leur donne leur sel. de plus, si Alice et son lapin se demandent quel rôle ils ont pu joué dans le récit, le lecteur se le demande également, tant ils sont transparents. Au contraire, Sterne leur aurait consacré un chapitre pour les étoffer et jouer subtilement avec le lecteur. Mais les jeux sont trop visibles et le lecteur sollicité trop grossièrement.
Enfin, le plus décevant est la plume même, qui manque de saveur, de dynamisme et de finesse. L'auteur aime les livres et les mots, mais ne parvient pas à les manipuler avec légèreté. L'ensemble est trop simple et manque de couleur. Ainsi, le dialogue initial entre le grand père et la fillette semble inutilement long, bien qu'il eût pu être une entrée stimulante dans le récit ; mais cela tombe à plat et on s'ennuie.
De fait, on voit que l'auteur a cherché à reprendre ce qui fait la force de Sterne : une plume et un ton léger, des sujets qui se désagrègent et s'emboitent jusqu'à se vider de leur substance, des ruptures narratives qui déstabilisent et enchantent. Mais, chez Sterne, l'écriture est riante et faussement précieuse, les histoires grotesques trouvent une cohérence dans la biographie de Tristram Shandy, les délires sont très construits mais pris au second degré.
En somme, il s'agit d'un premier roman maladroit mais qui, avec davantage de rigueur, pourrait devenir plaisant.