Un écrivain cherchant l'inspiration pour un personnage d'aventurier, décide de partir sur les traces de Jean Thadée Dybowski, explorateur et ingénieur agricole français de la fin du 19e et du début du 20e siècle.
Issu de l'histoire coloniale française, il est notamment le créateur du Jardin d'essai colonial de Nogent sur Marne situé (perdu quelque part ?) dans le bois de Vincennes. C'est dans ce lieu, un peu oublié que l'écrivain rencontre un étudiant en histoire, dans la trentaine, qui aura pour mission de lui faire remonter le temps vers notre passé colonial, un peu oublié et désuet.
Il est assez difficile de qualifier ce livre, on y apprend beaucoup de petites choses, mais on aurait du mal à en parler comme un livre d'histoire ou même simplement « sur l'histoire ». Finalement, j'y ai vu plutôt une sorte d'errance philosophique et historique, loin d'être déplaisante, étant un peu une ode à la sérendipité, où les découvertes nous viennent au gré d'autres chemins que ceux que l'on voulait emprunter à l'origine.
Il pourra peut-être lasser certains ou en déconcerter d'autres, mais pour ma part, je me suis laissé charmer par ce petit ovni.
Commenter  J’apprécie         20
Etonnant, envoutant mais décevant. Une étrange histoire (en creux) de la colonisation et de la place immense qu'elle a eu dans l'imaginaire et la réalité française.
Commenter  J’apprécie         10
Un historien et un écrivain, doubles décalés des auteurs, devisent avec érudition sur la colonisation, l’immigration et nos temps agités, à la lisière du bois de Vincennes qui réserve quelques surprises.
Lire la critique sur le site : LaCroix
C'est l'état d'urgence en France, depuis des mois, parce que c'était une urgence d'État de répondre à la menace invisible du terrorisme par des mesures visibles, peut-être inefficaces mais bien visibles. Le plus gros de nôtre force militaire est occupé sur nôtre propre territoire à surveiller des lieux de culte, des écoles, des gares et des grands magasins. Les soldats ont obtenu le droit d'avoir un chargeur plein de munitions, tant que la première balle n'est pas engagée dans la chambre. Ils ont obtenu le droit d'intervenir sans attendre d'ordre de leur commandement, si une menace précisément identifiée l'impose. Je trouve que ça se voit, qu'ils sont sur les dents. Ils sont , leur disent leurs hiérarchies, des cibles vivantes en faction, sur le qui-vive, comme en territoire ennemi. Ceci n'est pas un exercice. Ils sont en France comme en territoire ennemi, parce que la France est un théâtre d'opérations militaires. Nous sommes en guerre. Ils dorment mal. Les fusiliers marins loin de leurs bateaux. Les chasseurs alpins sans leurs skis. Ils sont fatigués. Ils ont un peu peur. La menace, c'est n'importe quelle mère de famille avec un foulard sur la tête, ou n'importe quel groupe de jeunes qui s'approcheraient en parlant fort en arabe.
Il finira par y avoir une bavure, c'est certain. Les banlieues s'embraseront. Par leur violence, elles donneront rétrospectivement raison à l'État policier... Alors, on les nettoiera pour de bon, avec des chars, pas avec des Karcher. Et tout ira encore plus mal. Le monde sera encore plus triste et méprisable. C'est de la science-fiction, évidemment, mais si je peux l'écrire c'est que c'est possible, et l'on vit une époque où très peu de choses ne se réalisent pas, dès lors qu'elles sont possibles. Peut-être même que je l'écris pour conjurer le sort, pour que ça n'arrive pas.
Pourtant en venant ce matin au lieu de rendez-vous, en prenant le métro, je me suis retrouvé à la correspondance, à République, sur le quai à côté d'un jeune homme coiffé d'un petit bonnet rond au crochet, barbe plastronnant sa poitrine, robe blanche jusqu'aux genoux, pantalon s'arrêtant à mi- mollet, sandales. Il sortait tout droit d'un documentaire sur les Frères musulmans. Il portait un sac de sport noir. Ça m'a mis en colère. j'ai eu envie de l'interpeller, de lui demander si ça le faisait rire de mettre son déguisement pour faire peur aux gens, en ce moment, s'il croyait que c'était mardi gras, j'ai eu envie de l'insulter et j'ai compris qu'il me faisait peur. Je n'en suis pas fier, parce que j'ai fait quelque chose de vraiment absurde. Je mes suis contenu, je n'ai rien dit, je me suis contenté de garder ma peur pour moi sans réussir à m'en débarrasser non plus et, comme je ne savais pas trop quoi en faire, j'ai laissé passé un métro.
Et je me suis dit : " Merde, si tu penses qu'il peut y avoir une bombe dans son sac, pourquoi tu n'as pas appuyé sur le signal d'alarme ? "
Je me suis dit : " Si c'est vraiment stupidement paranoïaque, de suspecter n'importe qui, comme ça, pourquoi tu n'es pas monté dans le même métro que lui ? "
Je mes suis dit :" Merde, pourquoi il s'habille comme ça aujourd'hui ? C'est de la provocation ." Et j'étais prêt à interdire le port de la barbe en public.
Je me suis dit : " Si tout le monde le regarde avec autant de méfiance, avec autant de colère, il va se déguiser de plus en plus. " Peut-être que ça avait débuté comme ça, pour lui.
Je me suis dit : " Si on regarde les Arabes comme si c'étaient des musulmans, alors autant qu'ils portent la barbe. "
Évidemment, il y avait un prolongement assez peu rassurant à cette idée : " Si on regarde les musulmans comme si c'étaient des terroristes, alors autant qu'ils mettent des bombes. "
Quel monde de merde !
C'est cela au fond, la mort, c'est quand l'affreuse solitude vous rattrape, avec son masque blanc et sa partie d'échecs, comme dans un film de Bergman. Et toujours loin, si loin de l 'héroïsme et des discours. (p.12)
Je savais que la mode était à la course à pied. Tous les ans, trente-cinq à quarante mille personnes s'alignent au départ du marathon de Paris, reproduisant dans un geste pathétique, cherchant à se prouver qu'ils sont encore vivants, la course d'un héros grec mort pour annoncer une défaite. Les panneaux publicitaires vantant les mérites ambigus d'un sport de salle censé rendre plus performant - ou productif - ne m'ont pas échappé non plus. On y lit les corps en sueur et les visages douloureux du masochisme hygiéniste de l'époque. Mais ordinairement je ne fréquente pas les parcs et les bois. Je ne m'étais pas rendu compte qu'on en était là. Partout autour de nous, les promeneurs ont tous été remplacés par des joggers.
Ce ne sont pas quelques coureurs isolés profitant du cadre bucolique d'un parc familial, c'est le contraire : le lac Daumesnil est à présent un stade, une piste que le promeneur solitaire ne fait qu'embouteiller de sa présence importune. Ceux qui n'ont plus l'âge de galoper, ou qui se sont déjà abîmé les genoux en se prenant pour des sportifs, se contentent de se déhancher au pas de course en agitant des bâtons en fibre de carbone. Ils sont tous habillés, si l'on peut appeler ça ainsi, dans des tenues ridiculement moulantes, aux couleurs criardes, qui soulignent leurs os saillants ou les bourrelets qui leur restent. Ils courent, ils courent autour du lac, en rond, dans les deux sens, comme les voitures sur le périphérique, sans but apparent, sans logique, ils courent, mécaniques, la bouche ouverte, les sourcils froncés, les traits crispés dans l'effort, comme des poissons sur le point de se mettre à crier.
Et dans le fond quoi de plus naturel, dans un décor, que de se donner ainsi en spectacle ? Sans doute, les quelques vieux en pardessus qui restent et déambulent deux par deux en commentant l'actualité jouent-ils aux vieux en pardessus, eux aussi. On est dans une époque comme ça.
Et pas un, sauf à faire exprès de les observer, ne pourrait dire quels arbres il a croisés ni de quelles couleurs sont les feuilles de ce début d'automne. Où sont les escargots de Prévert ? C'est le monde entier qui n'est plus qu'un décor.
Quand je pense que le lac a été nommé d'après un ancien gouverneur du fort de Vincennes, Daumesnil, qu'on appelait Jambe-de-bois parce qu'il avait eu la jambe arrachée à Wagram ! Au moment de l'invasion du territoire, cependant qu'il défendait vaillamment son fort, il répondait aux généraux ennemis qui réclamaient sa reddition : " Quand vous me rendrez ma jambe, je vous rendrai la place ! " pauvre Daumesnil, si tu savais ce que les gens font de leurs jambes aujourd'hui, autour du lac qui porte ton nom !
Mon voyage le plus aventureux, je crois bien que c'était une marche, une randonnée d'une dizaine de jours à travers la lande irlandaise, que j'avais entreprise avec des amis lorsque j'avais vingt ans. Nous n'avions croisé presque personne, et c'était cela le miracle, d'être enfin seuls (...)
enfin seuls, sur une terre où ça n'arrive plus. Seuls et prêts à vivre comme une aventure le simple fait de rencontrer quelqu'un. (p. 24-25)
Thomas B. Reverdy, professeur de lettres et écrivain présente son dernier ouvrage, le grand secours paru chez Flammarion. Il a reçu le prix Landerneau des lecteurs 2023 pour ce titre.
Pau, le Parvis, 17 janvier 2024.