Il y a quelques temps
L Express faisait sa une avec un gros titre tapageur : "les pervers narcissiques", et consacrait une partie du dossier à un livre sorti en février en France : Les
confessions d'une sociopathe de M.E. Thomas
Qu'est-ce que la sociopathie ?
Le dictionnaire nous dit : "affection du sociopathe, difficulté à nouer des relations avec autrui."
Que nous dit la société ? Que le sociopathe est un individu dangereux et violent qu'il faut fuir comme la peste après avoir appris à détecter sa présence dans notre entourage (en atteste le nombre fou de livres sur le sujet). On associe facilement sociopathe et psychopathe, très proches dans leur sens et souvent confondus entre eux à cause de la distinction introduite assez récemment dans le langage courant où psychopathe continue d'être employé pour désigner de façon générique quelqu'un de malade mental.
En réalité pour comprendre la sociopathie il faut l'abstraire de toutes les représentations sociales que nous en avons. Il s'agit donc pour cela d'écarter nos craintes de tomber sur ce genre d'individus et de commencer à voir le monde avec leurs yeux. Voilà pourquoi, à mon avis, l'article que l'Express consacre à ce livre n'en est pas représentatif. Il attise une curiosité malsaine et voyeuriste qui m'a fait acheter le livre mais ne cite que les passages les plus clichés. Bref, l'article est réducteur.
Ce que l'auteur propose dans ce livre est unique : son auto-analyse. La maladie vécue et vue de l'intérieur. M.E Thomas n'est qu'un pseudonyme derrière lequel se cache une jeune femme d'une trentaine d'années. Elle est avocate et enseigne le droit. Elle est très intelligente et sa carrière en témoigne. Mais elle ne peut se révéler au grand jour sous peine de tout perdre.
On apprend dans ses confessions que la sociopathie est un trouble psychologique qui se caractérise par un manque d'empathie, pour part due à la génétique, pour part à l'enfance du sujet, qui empêche les sociopathes de ressentir tout un éventail d'émotions positives (compassion) comme négatives (peur), ce qui fait d'eux des individus centrés sur eux-mêmes, profondément à l'écoute de leurs envies mais également dangereusement efficaces car dénués de remord. Un handicap dans les relations humaines, une qualité dans le monde professionnel.
L'assurance que l'auteur affiche est parfois agaçante et semble surfaite. C'est d'ailleurs ce qu'il ressort des extraits de L'Express. Ce qui est la force de l'essai -la vision intérieure d'une personne qui se sait atteinte de sociopathie- est également ce qui fait sa faiblesse : le manque de recul et d'objectivité de l'auteur.
L'expérience est bien plus enrichissante que ce que je supposais pourtant. L'auteur, qui anime un blog consacré à la sociopathie et aux sociopathes, s'est également intéressée de près à de nombreuses théories et oeuvres de psychologues qui ont étudié cette affection.
Entre les souvenirs d'enfance, les anecdotes au travail, les faits divers, les relations humaines compliquées et l'histoire de l'étude médicale de la sociopathie, l'auteur balaie l'horizon large d'une vie de manipulations, de destruction de l'autre mais aussi de quête de stabilité et de connaissance de soi.
Derrière un anonymat tout relatif -l'auteur nous propose de lui envoyer un mail si l'on désire connaître vraiment son identité- M.E. Thomas cherche à démythifier la sociopathie : dans la société actuelle dit-elle, elle pourrait perdre son travail et se voir internée à vie si son diagnostic venait être connu de ses employeurs. C'est pourtant le sort que l'on réserve à ses congénères (dont une grande partie mène une vie rangée) dans une société qui associe sociopathie et crimes violents.
Les sociopathes manipulent, mais qui ne le fait pas ?
Les sociopathes ne ressentent pas d'empathie mais beaucoup de non-sociopathes aussi.
"L'humanité n'est peut-être qu'une vaste et longue palette dont quelques uns occupent les extrémités et la majorité le centre."
Voilà le message de l'auteur : les sociopathes ne sont pas si différents de nous que ça et tous ne sont, ni ne seront, des criminels. La société tire parti de leurs compétences et pour cela il faut apprendre à connaître leur maladie.
"Je suis moins un mythe qu'un être humain"
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