9.
Nous fûmes légers
aériens
duvet dans la tiédeur des jours
(la nuit : cheveux de femmes fragiles, galop de chevaux
parmi les avoines folles)
d'un désir l'autre fugitifs
toujours une mousseline à nos lèvres s'entrouvrait
comme nous fûmes légers
l'instant était à venir
rien de rugueux ou de rude ne pouvait nous atteindre
nos doigts
diaphanes papillons
volaient sur des corps imprévisibles et doux
nous fûmes si légers
nous n'avions soif que de rêves
la seule vibration d'une guitare
nous faisait navires pour de si longues traversées.
combien nous fûmes légers
incommensurablement légers
volutes dansantes de futiles carnavals
à peine nuage
sur l'éclat doré d'une pomme
à peine haleine dans l'azur transparent
immensément légers
et nous voici
désormais
ici
avec notre poids de peur
de sang
et de désespoir.
p.17-18
25.
Penser la forêt dans le frémissement du frêne
la rivière dans la souplesse du saule
la clairière dans l'obscur des frondaisons
dans le balbutiement du poème
savoir la parole humaine naissante
deviner l'océan sous le va-et-vient des vagues
l'alizé sous le souffle du noroît
l'horizon sous la houle hauturière
sous l'hésitation du verbe
entendre le cri majeur des peuples bafoués
connaître le parfum parmi le pollen envolé
les larmes solitaires parmi les vastes colères
l'espérance malgré les grands cimetières terrestres
parmi les mots dévoyés
décliner
le chant
multiple et fraternel.
p.38
6.
Nous avons si longtemps craint
l'effacement de l'ombre
du corps
la pluie des cendres entre les doigts
le reflet
dans le miroir du temps des plis de la face
le déni des portes closes
si longtemps nous avons attendu
l'adieu des soldats désarmés
le murmure du passeur sur la barque sans rames
le parfum des déroutes quand retentissent
les pas pressés sur les pavés en barricades
et l'éternité absolue de nos banlieues des songes
où git
une femme vêtue d'eau et de paix
ses bras noués de larmes.
p.14
13.
Souvent l'éternité
– ce qu'ainsi nous nommons dans notre ignorance –
s'assoit aux portes du désert
compagne de nos mots éphémères
nous demandons alors aux immensités
de n'être plus
ces mendiants d'utopie
ces maraudeurs d'avenir
ces quêteurs d'espérance
tandis que par milliers rôdent sur la dune
les scarabées d'or vêtus de millénaires.
p.22
8.
Ce que nous arrachons de la terre
pas à pas
lentement
en spirales de mots
en maraude de vent
en pétales de pierre
en paroles de pollen
de nos mains de nos bras de notre patience
de nos voix murmurantes et de nos silences
n'est pas que de la terre mais de l'eau du feu
des chimères d'espoir
d'imaginables rêves
des étés infinis quelque part sur les grèves
et le poème comme un amer à l'horizon
où la vague noie un ultime soleil noir.
p.16