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Critique de Dandine


La derniere page tournee, je cogite: comment etiquetter ce livre. Pour la premiere partie, comique de situations, tendant vers le burlesque. Pour la deuxieme, country noir. Et la fin? La fin nous assene une glose massoretique sur la situation de l'humain en ce monde. L'evangile selon Nick Corey, le heros de ce livre.


Mais pas peur! N'ayez pas peur, tout le monde dit que c'est un polar alors c'est un polar. Il s'eloigne des pionniers americains du genre, s'eloigne des grandes villes, Los Angeles Chicago ou New York, pour atterrir dans un bled perdu d'un millier d'ames. Il prend ses distances des durs bien sapes a la Sam Spade de Hammett, des preux aux principes inebranlables a la Marlowe de Chandler, ainsi que des maffieux conquerants genre le petit cesar de Burnett. Ici nous sommes chez les bouseux, et le heros, le personnage principal est tout a fait dans son element, c'est un anti-heros notoire.


Non, n'ayez pas peur, parce qu'on se marre bien. Enfin… la plupart du temps. de ce que raconte le narrateur et de la facon dont il le raconte. C'est Nick Corey, le sheriff du patelin. Il nous transmet ce qu'il pense, ce qui lui arrive et ce qui arrive autour de lui, et ce qu'il fait. Il se presente a nous comme un bon vivant, mais paresseux, apathique, un peu simplet, qui, fuyant les problemes au lieu de les affronter, est bafoue et houspille par tous, a commencer par sa femme qui le tyrannise. C'est ce qu'il nous dit et redit, mais il raconte aussi ce qu'il fait, le peu qu'il fait d'apres lui, entre deux siestes, et nous finissons par comprendre que nous sommes devant un manipulateur ingenieux et retors, qui ne recule devant rien pour arriver a ses fins, surement pas devant le meurtre. Ni devant les meurtres en serie. le representant de la loi est son plus grand transgresseur, il est completement amoral, le mal en personne, horripilant.


Et pourtant… Il y a des moments ou on sent une certaine empathie envers ce personnage. Au debut du livre, quand on est berne par ses boniments, son bluff, vu qu'il est le narrateur, mais aussi apres, quand on commence a comprendre, que ses actions, les actions qu'il raconte froidement, revelent sa vraie nature. Je me suis senti un peu destabilise en tant que lecteur. Comme si l'auteur, Jim Thompson, refusait au lecteur le noir et blanc, le noir ou le blanc, l'identification du lecteur avec le protagoniste ainsi que son antipode, sa condamnation totale et sans ambages. Peut-etre parce que les figures qui l'entourent, tous les personnages secondaires, ne sont pas meilleurs que lui. Thompson l'expose comme un pur produit de la societe ou il se demene. Et c'est cette societe, celle des petits patelins americains (de l'Amerique profonde?) au premier quart du 20e siecle, que Thompson entend fustiger. Une societe raciste, classiste, ou les petits blancs valent a peine plus que les noirs, sexiste, mysogine, ou la justice est une chimere.


Dans des pages a l'humour aigre Thompson prononce un requisitoire effarant, une condamnation sans appel. Ecoutons quelques bribes: “Parfois, je me dis que c'est pour cette raison, peut-etre, que nous ne faisons pas de progres aussi rapides que les autres regions de la nation : on perd tellement de temps a lyncher d'autres gens, et on depense de telles sommes pour acheter les cordes, le petrole, les accessoires indispensables, et l'alcool pour nous pinter en prevision de l'evenement, qu'il ne reste plus beaucoup d'argent ni de travailleurs disponibles pour accomplir les taches habituelles”.
Ou encore, quand il s'echauffe: “Il y a les pauvres petites filles sans defense, qui pleurent quand leur propre pere vient se glisser dans leur lit. Il y a les maris qui battent leur femme, et les epouses qui les supplient a grands cris de les epargner. Il y a les gamins que la peur et la nervosite font pisser au lit, et leurs meres qui les forcent a avaler du poivre rouge pour les punir. Il y a les visages hagards des malades, rendus exsangues par l'anemie ou marbres par le scorbut. Il y a la quasi-inanition, la sensation de n'etre jamais rassasie, les dettes qui depassent toujours les credits. Il y a les questions qui tournent dans les tetes : comment va-t-on manger, comment va-t-on dormir, comment va-t-on trouver le moyen de se vetir pour ne pas rester cul nu ? Les pensées de cette espece, quand il n'y a plus qu'elles qui vous occupent l'esprit, ça veut dire qu'il vaudrait mieux etre mort. Parce que c'est le vide qui vous les inspire, et vous etes deja mort à l'interieur de vous-meme, et vous ne faites plus rien d'autre que repandre la puanteur et la terreur, les larmes et les gemissements, la torture, la faim, la honte de votre apathie. Votre vacuite. Je fremis à l'idée qu'il a ete merveilleusement inspire, notre Createur, d'inventer pour notre monde ces abominations pures et simples, afin qu'une chose telle que le meurtre ne paraisse pas si terrible en comparaison. Oui, en verite, cetait vraiment, de Sa part, un geste extraordinaire et empreint de misericorde”.


Alors, c'est un polar? Ben voyons! Pour plagier le narrateur, un polar empreint de miséricorde. Ne le ratez pas.
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