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EAN : 9791090724426
832 pages
Monsieur Toussaint Louverture (18/01/2018)
4.23/5   216 notes
Résumé :
"Un Jardin de sable" est le cri de rage des laissés-pour-compte et des âmes médiocres à qui on ne tend jamais la main, mais qu'Earl Thompson [1931-1978] embrasse dans la brume du sordide et de l'impur.

Jacky, né au Kansas à l'aube de la grande dépression, porte le désespoir et la misère comme une seconde peau. Témoin malgré lui de toutes les turpitudes, il se nourrit d'un monde où prévalent la brutalité, le sexe et le mépris. Sa jeunesse est un comba... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (49) Voir plus Ajouter une critique
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Une seconde, je reprends mon souffle… Voilà. J'en avais besoin après 830 pages prises en pleine face, sans un seul temps mort, sans un seul moment de lassitude, sans un seul début de commencement de volonté de sauter une simple ligne. Car Un jardin de sable est un monument de littérature, de ceux qui vous marquent un lecteur et qui honorent à jamais sa bibliothèque.

Un préalable : âmes prudes, s'abstenir. Earl Thompson nous entraîne dans un monde de misère, de violence, de sexe, de stupre, de transgressions en tout genre. Et d'amour aussi…

On suit ainsi Jacky, gamin du Kansas dont la mère Wilma n'a rien trouvé de mieux pour père qu'un suédois rapidement décédé, la laissant seule alors que la crise de 29 puis la grande dépression frappe sans pitié les américains les plus pauvres. Des pauvres gens frôlant peu à peu la frontière qui les sépare des paumés, exaspérés par les discours de Roosevelt les appelant au sursaut. Tu sursautes sur quoi toi, quand tu n'as plus rien ?

Période 1 : la jeunesse de Jacky démarre dans une cellule familiale où les grands-parents Mac Deramid tentent de tenir le cap, la tête et l'honneur hors de l'eau. Tant mieux, car Wilma est loin d'être une mère parfaite, suivant le premier fêtard disposant de quelques dollars pour oublier l'espace de quelques temps sa vie misérable. Jusqu'à partir pour suivre Bill, alcoolo méprisable, laissant Jacky seul avec ses grands-parents. C'est le temps de l'apprentissage de la débrouille, ponctué d'incessants déménagements sonnant comme autant de dégringolades sociales vers les frontières de la misère. Et pourtant, malgré une certaine forme d'indifférence de la grand mère Mac Deramid, malgré la rudesse du langage du grand-père Mac Deramid, ces grands-parents seront salvateurs pour Jacky !

Période 2 : Wilma refait surface et entraîne Jacky dans un nouveau semblant de cocon familial avec Bill. Mais du Kansas au Mississippi puis au Texas, difficile d'échapper à l'inévitable descente aux enfers. Bill boit toujours plus, ne travaille toujours pas, est de plus en plus violent, de moins en moins lucide. Alors, de piaule en piaule, de bouge en bouge, vient l'heure de la débrouille : entre deux baffes, le corps de Wilma vaut bien quelques dollars ; le repas du soir vaut bien quelques larcins ; la rue, les voisins, les bars, les rencontres improbables servent d'éducation à Jacky, chantier naturel abandonné par sa mère immature.

Et puis il y a l'amour, le beau, le sublime ! Celui incroyablement généreux des grands-parents pour Jacky ; celui de Jacky pour sa mère ; celui de Wilma pour ce fils qu'elle voudrait aimer. Mais quand on ne sait pas…

Et puis il y a l'amour, le charnel ! Celui que découvre Jacky quand sa sexualité s'éveille, seul, dans la rue, dans un bar, auprès d'une voisine, d'une vision, d'un fantasme.

Et puis il y a l'amour, le sordide. Celui de la violence, du viol, de l'inceste. Celui des repères qui disparaissent quand seul l'instinct de survie commande. Celui qui seul, une fois assouvi, peut conduire au sursaut voire à la rédemption.

Earl Thompson fait le pari d'aller au bout de l'infâme, au plus profond du côté sombre de l'âme humaine, pour mieux démontrer que, même à ce niveau, on peut encore lutter, survivre, rester debout, conserver ce minimum de dignité pour rebondir et se construire un avenir.

Son écriture est simple, belle et fluide, se permettant de faire 5 pleines pages sur un simple détail qui aurait fait deux lignes chez tant d'autres. Sans jamais en faire trop. Même si chez Thompson, une bite est une bite, une chatte est une chatte et le reste est à l'avenant. C'est aussi ce qui fait la force du livre. C'est aussi ce qui choqua tant de lecteurs aux États-Unis au siècle dernier et qui en choquera d'autres en France ces prochains mois.

Mais je le répète, Un jardin de sable est une grande oeuvre, qui plus est magnifiquement éditée par Monsieur Toussaint Louverture. Bravo et merci !
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Une immersion des plus violentes qui soient au coeur de la misère lors de la Grande Dépression au Kansas et dans le Mississippi .
Une descente aux enfers ? c'est peu dire ...

Quels que soient les termes choisis pour tenter de définir ce roman social autobiographique , aucun ne semble vraiment approprié pour en qualifier l'ensemble .

On va suivre pas à pas le jeune Jacky et vivre les étapes de sa survie près de ses grands-parents pauvres ou de sa mère paumée .
Et, peu à peu, on s'enfonce lentement au coeur du sordide .
Dans un monde où on survit par le vol, la prostitution, les
trafics, les combines sans scrupules , l'enfant n'a aucun repère : il est souvent noyé dans un océan de violence .
Il est entouré d'adultes immatures ou désabusés et très vite la promiscuité devient malsaine : inceste et amour filial se confondent .
Et là, on a droit à des scènes très crues , parfois insoutenables et bien détaillées !

Après la lecture, j'ai hésité à en parler : ne me venaient que des impressions personnelles négatives dans un premier temps : ce fut, je crois , un électrochoc et dire qu'il est dérangeant est une évidence .

Mais, c'est bien écrit et à présent la force du propos domine malgré la lecture éprouvante .
Le roman est long, long comme un jour sans pain !
Un pavé fellinien de 820 pages mais qui, je crois , peut s'imprimer à vie dans la mémoire .

Une oeuvre salutaire pour l'auteur à l'époque , je suppose , une petite révolution en littérature dans une période ( 1970 ) où se revendiquaient la liberté d'expression et l'abolition des tabous ! Alors, à fond la provoc !
Du bien salace pour choquer les masses !
Réussi .

Bien qu'ayant pris connaissance du thème avant , je suis quand même tombée de ma chaise !
Pourtant , en filigrane , il y a beaucoup de sensibilité, de l'amour mal fait mais de l'amour quand même .
Une fleur sur un tas de fumier .






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Quand un livre se paye le luxe de débuter par une préface signée Donald Ray Pollock himself, 'savez ce gars débarqué d'on ne sait où et qui en à peine trois bouquins s'est hissé au niveau des plus grands auteurs de romans noirs (mais alors bien, bien noirs), on sait qu'on est devant une oeuvre qui, en bien ou en mal, va nous faire l'effet d'une bonne baffe dans la cafetière. Si en plus ladite oeuvre est publiée chez Monsieur Toussaint Louverture, sûrement la plus géniale des maisons d'édition actuelles (ici une pensée émue pour 13e Note Éditions qui, il y a peu encore, pouvait se targuer de faire concurrence), on prend son bouquin, sa cafetière et on s'agenouille devant un quelconque dieu d'osier avant d'ouvrir d'une main tremblante ce qui risque fort d'être LE livre de l'année.
Et ça traîne pas, en un rien de temps, nous voilà embarqué dans ce Jardin de Sable qu'est le Kansas des années 30. La Grande Dépression est passée par là et pour l'instant, rien n'a repoussé. C'est dans cette époque dantesque que naît Jack, fils de Wilma MacDermid et d'un suédois dont on n'aura pas le temps d'en savoir trop, poussé rapidement qu'il sera vers la sortie à l'occasion d'un accident de voiture plus comique que tragique. Jack se retrouve donc confié vite fait mal fait à ses grands parents maternels, Wilma désertant le foyer et son rôle de mère en vue d'approfondir les bases d'un métier pour lequel elle passera rapidos à un temps plein, métier connu comme étant le plus vieux du monde mais aussi et sûrement le plus dur. Pendant ce temps le petit Jacky poussera comme il peut (c'est à dire de traviole) entre appartements minables et caves puantes, et passera tant bien que mal ses minables premières années qui ne seront pourtant pas si dramatiques en comparaison de ce qui l'attend quand Wilma, doté d'un tout nouveau mari alcoolique et violent, viendra le chercher pour former ce qu'elle imagine être une vraie famille aimante. C'est dans cet environnement plus que perverti que Jack essaiera de se construire, s'accrochant à une seule idée-bouée : transformer son amour filial pour Wilma en amour physique.

Comment ne pas être dérangé par cette représentation nauséeuse d'un gamin portant le désespoir et la misère sur son dos rachitique, qui donnerait tout pour coucher avec sa mère, allant jusqu'à penser que sa vie en dépend ? On comprend vite ce qui a tant frappé Donald Ray Pollock dans la découverte de ce récit de l'Amérique des laissés pour compte – dont les limites de plus en plus floues finissent par disparaître dans le stupre, l'alcool et la violence – et le combat qu'il a mené pour qu'il soit de nouveau édité (parce que franchement, qui connaissait déjà Earl Thompson ?)

Brisant le tabou le plus dégueulasse qui soit, Thompson nous livre un moment de littérature pan-dans-la-gueule qui marque, qui fascine autant qu'il révulse et qui ne passe pas loin de se poser en référence du genre. A déconseiller aux âmes pudibondes, à celles refusant même d'imaginer que l'amour entre un fils et sa mère puisse se concevoir autrement que d'une seule et unique manière et à celles qui répugnent à suivre quelque chemin que ce soit s'il n'est pas balisé et fanalisé (quoi ?) au préalable...
A conseiller à absolument toutes les autres.
N'hésitez pas, cette fois on a eu de la chance mais il n'y aura peut-être plus jamais de réédition.
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Earl Thompson est mort en 1978, à l'âge de 47 ans d'une rupture d'anévrisme. Son roman « Un jardin de sable » est le premier tome d'une trilogie. Il parait en 1970 et l'auteur s'est largement inspiré de sa propre vie. Il raconte la jeunesse de Jacky jusqu'à son enrôlement dans la marine américaine à l'age de 14 ans.
Ses grands-parents, John MacDeramid et « Madame Mac » sont des fermiers qui peinent à boucler les fins de mois. En 1931, naît leur premier petit fils, Jacky. Sa mère, Wilma, accouche sur la table de la cuisine. Son père, Odd, est en prison à ce moment-là. Il ne sortira que pour partir chercher du travail loin de sa famille et mourir dans un accident de voiture en compagnie de Miss Wichita 1933.
Dans cette Amérique pauvre, la vie paysanne est dure et la ferme des grands-parents est rapidement vendue, jetant sur la route toute la petite famille.
« Un jardin dans le sable » est l'histoire d'une tragédie, pleine de rebondissements et racontée avec un humour corrosif et sans filtre. La cocasserie des situations n'a d'égal que le malheur des circonstances. C'est une éternelle course après le dollar qui assure la pitance quotidienne, dans laquelle vont être plongés Wilma et Jacky. le lecteur n'aura de cesse de sortir son mouchoir, bien plus pour essuyer des larmes de joie et de rire que pour sécher un torrent de pleurs. Avec la complicité de Bill, le beau-père de Jacky, ce dernier va rapidement apprendre tous les travers que nécessite la vie à la cloche de bois pour s'en sortir : mensonge, vol, escroquerie, prostitution, sexualité débridée et bien d'autres choses répréhensibles encore, mais qui donnent tout le piquant à cette épopée. L'alcool est le remède à bien des maux.
Le roman d'Earl Thompson est un fabuleux mélange de « la conjuration des imbéciles » de John Kennedy Toole (écrit en 1961 et publié en 1980) et du « Petit arpent du bon Dieu » d'Erskine Caldwell (paru en 1933). On y retrouve les mêmes ingrédients qui font de cette histoire loufoque un monument de la littérature américaine, une incontournable oeuvre et un moment de lecture particulièrement savoureux. On se demande même comment, dans une Amérique puritaine, où la pudibonderie est une seconde nature, une telle histoire a pu être éditée.
Préface de Donald Ray Pollock.
Traduction de Jean-Charles Khalifa.
Editions « les grands animaux » Monsieur Toussaint Louverture, 752 pages.
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Du 100% pur redneck ! J'ai lu Erskine Caldwell, Larry Brown, Donald Ray Pollock, Harry Crews et bien d'autres. Il faut maintenant que je rajoute à ma liste un autre grand nom : Earl Thompson.

Un jardin de sable c'est l'histoire d'un jeune garçon, Jacky, pendant la Grande Dépression. Une vie dure où la misère et le sordide ne font qu'un. Trimbalé entre le Kansas, la Louisiane et le Texas, de vieux appartements aux sous-sols de maisons pourries en passant par des claques miteux, Jacky connait une enfance pour le moins marquante.

Un père mort, une mère paumée qui ne s'occupe pas de lui, il vit avec ses grands-parents, les MacDeramid, et déménage au gré des aléas de la vie. La grand-mère travaille en tant que cuisinière puis gouvernante pendant que le grand-père cherche du boulot au jour le jour. Ils ne doivent leur survie qu'aux maigres rations de l'aide alimentaire.
Jacky passe une grand partie de son temps livré à lui même ou à la merci de ces geôliers (la voisine noire Vireena, les époux Miller, l'autre taré de Roy qui se sert de lui comme punching ball ou plus tard Bill, son beau-père).

Un beau jour, sa mère, Wilma, et son nouveau mari, Bill, l'amènent à Pascagoula dans le Mississippi. Un endroit où règne le Klan et les adorateurs de serpents. Lui qui pensait enfin être réuni avec sa mère qu'il aime tant et mener une existence heureuse bien loin des années de disette et de solitude passées au Kansas, ne sera pas déçu du voyage.

Le petit Jacky devient rapidement Jack, tant il se retrouve confronté au monde des adultes : luxure, langage ordurier, alcoolisme, violence, prostitution, vol pour survivre...
Une ambiance malsaine s'installe dans le trio à mesure que l'attirance du jeune garçon pour sa mère grandit. Bill, qui leur avait promis la grande vie, est un alcoolique violent la moitié du temps, l'autre moitié, il la passe en prison. Pour survivre, Jack trouve des petits boulots ou vole dans les magasins pendant que Wilma sombre dans la prostitution.

La vie de ce pauvre Jack est très troublante, il grandit sans aucun repère, il ne va pas à l'école, n'a pas de copains de son âge, doit supporter les frasques d'adultes irresponsables, sans parler cet amour filial pour sa mère qui se transforme en désir incestueux qui le dévore.

Earl Thompson ne prend pas de gants, les scènes sont souvent très crues et mettent le lecteur mal à l'aise mais elles sont nécessaires pour nous faire ressentir cette véritable descente aux enfers !
Un livre qui malgré ses 830 pages ne m'a pas ennuyé un instant, ici l'auteur sonde la noirceur de l'âme humaine avec un grand talent que je n'avais pas retrouvé depuis Méridien de sang de Cormac McCarthy et Rage noire de ou Jim Thompson.

Un jardin de sable est pour ceux qui ont le coeur bien accroché et l'âme à l'épreuve des balles, les autres passez votre chemin !


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critiques presse (1)
LeMonde
15 février 2018
« Un jardin de sable », roman autobiographique, raconte une enfance chaotique dans le Midwest des années 1930, entre misère, érotisme et grâce. Son auteur, mort en 1978, était ignoré en France jusqu’à aujourd’hui. Une découverte.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (68) Voir plus Ajouter une citation
"Moi, j'ai trimé toute ma vie, d'un bout à l'autre de ce pays, et jamais j'ai rencontré quelqu'un qui resterait assis sur son cul à mourir de faim ou qui laisserait sa famille mourir de faim si y voit qu'y a quelque chose qu'y peut faire. Un homme, ça veut travailler. Qu'est-ce qui peut faire d'autre de son temps ? Oh, évidemment, il aura pas envie de s'crever la paillasse pour recevoir moins que c'qui faut pour survivre. Personne a envie de patouiller dans un égout, de ramasser les ordures, des trucs comme ça. Hé, attends, tu vas sûrement me dire : "Ben, y faut bien que quelqu'un l'fasse, non ?" Pourquoi qu'y faudrait bien ? Qui c'est qui a dit qu'il fallait les ramasser, les ordures ? Donne aux gens assez pour vivre, et tu pourrais être surpris, y aura bien quelqu'un pour avoir l'idée d'inventer une espèce de chèvre mécanique à garder dans sa cuisine. Ça aussi, c'est du travail. Le problème, ça a toujours été que les gens sont pieds et poings liés par le désir d'autres gens qui veulent gagner plus qu'eux, au lieu que tout le monde s'entende pour résoudre un problème bien précis qu'il faut résoudre pour le bien de tous. Les choses devraient pas être comme elles sont, là. En fait, c'est ceux à qui on a fait croire qu'ils risquent de perdre le peu qu'ils ont s'ils ouvrent leur clapet, et les religieux qui sont tout contents d'attendre leur récompense "là-haut", c'est tous ceux-là qui disent et qui répètent qu'y faut surtout pas que les choses changent ; ceux qui pensent que le Seigneur ressemble au président des Caisse d’Épargne Fédérales. Oublie les clodos et les pochards qui traînent sur Main ou Market Street. Ce qui nous tue, c'est que les riches se payent de l'alcool et des vacances à l'étranger sur not' dos à nous. Moi, j'ai travaillé avec trop de gens différents dans toute ma vie pour ne pas avoir foi en mon prochain."
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Bon, je crois que vous feriez mieux d’aller dire à monsieur
Roosevelt que son histoire de soja, pour John MacDeramid, ça va pas être possible tout de suite. Vous pouvez lui dire que, rien que d’y penser, à arracher, brûler, couper et tuer, comme y veut me faire faire, ça me rend tellement malade que j’préférerais encore me laisser décaniller moi-même.
Vous voyez, ça m’a pris quand même quelques années pour arriver à faire de ce petit coin c’que vous voyez aujourd’hui. Oh, je sais bien qu’c’est pas grand-chose pour certains. Mais c’est tout ce qu’on a, nous autres.
Tout ce qu’on a après avoir travaillé dur. Je pense pas qu’vous pourrez comprendre ça. Vous venez de l’Est, pas vrai? J’ai pas l’impression que vous avez beaucoup travaillé la terre.
— Non, interrompit le type, impatient. Mais nous, à la Farm Security Administration, nous avons conduit des études, et je peux vous dire que…
— Tu vas fermer ta gueule! Bordel de Dieu, ces enculés de la fsa seraient même pas foutus de planter un clou tout seuls. Écoute-moi bien ! Je suis paysan depuis la guerre de Sécession. J’ai labouré des pentes tellement raides qu’y fallait bander les yeux des mules pour qu’elles y aillent. J’ai arraché des souches qu’auraient pété les vertèbres à quatre percherons pour nettoyerun champ à planter. Si on mettait bout à bout toutes les mottes que j’ai r’tournées, ça couvrirait les États du Kansas, de l’Oklahoma, du Nebraska, et y’en aurait encore assez pour recouvrir un versant de Pike’s Peak. Et jamais, nulle part, mon petit monsieur, j’ai vu des gens si peu dans l’besoin qu’y z’enterrent leurs récoltes et appellent ça progresser. Bon Dieu d’bordel de Dieu,c’est l’idée la plus contradictoire que j’aie jamais entendue.
Y’a jamais eu qui qu’cesoit qu’a jamais fait pousser trop d’choses. Si ce putain de système peut pas absorber c’que les fermiers font pousser quand y’a tant de gens qui crèvent la dalle sous les yeux des politicards, alors c’est le système qu’y faut enterrer. Et queq’chose d’intelligent qu’y fautessayer à la place. À t’entendre, on dirait que c’est de ma faute à moi, cette Dépression !
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Pris entre le marteau de la pauvreté comme échec moral personnel et l'enclume de ce miroir aux alouettes qu'était la récompense matérielle d'une citoyenneté à laquelle ils ne pouvaient jamais prétendre, ils étaient des réprouvés partout où ils jetaient l'ancre. Toute leur histoire était un kaleidoscope insensé de faits, de fantasmes sur grand écran, de mensonges de protection instinctifs et de vérités un peu arrangées pour entrer dans le moule d'un rêve américain modeste et présentable.
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Tout le monde est tellement dans la mouise qu'y z'ont même plus envie, tellement qu'y z'ont peur de perdre le peu qu'il leur reste. Z'ont plus de couilles. Plus personne qui lève le petit doigt pour empêcher ces cinglés de donner le pays aux banquiers. Y faudrait qu'on prenne des fusils, des fourches, des haches, tout ce qu'on peut attraper, nom de Dieu, et qu'on marche sur Washington et Wall Street. Virer tous ces enfoirés. [...] On rend le pays aux petites gens. Ici, ça a jamais été prévu pour être le pré carré d'une minorité. Mais non, tout le monde a la trouille, ils font la queue pour pouvoir lécher le cul du gouvernement et dire "merci patron" pour ce qu'ils récupèrent.
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De la farine de pomme de terre; des haricots secs et/ou de la dolique à oeil noir, avec tant de petits cailloux qu'aucune mère, même aidée de tous ses enfants, n'aurait jamais pu les trier avant de mourir de faim. (Et laide médicale, en matière de der se limitait à plomber, arracher ou poser des dentiers. Une dent cassée, et c'était souffrir ou lui dire adieu. Un certain nombre de dents arrachées donnait droit à un dentier à vingt-cinq dollars.) De la margarine transparente, uniquement bonne à graisser les roues d'une trottinette de récupération. Madame Mac était le seul être que Jacky ait jamais vu manger ce truc. Mais bon, elle aurait mangé n' importe quoi, elle avait un estomac d'autruche, sa grand-mère. Cette margarine, elle vous gâchait la tartine en deux temps trois mouvements. [...] Il y avait aussi le lait en poudre, une nouveauté. Au goût, c'était mauvais comme du brûlé. Sucre de betterave, fruits déshydratés, ça c'était ce qu'ils avaient de meilleur ; prenez farine de pomme de terre, sucre de betterave, eau, margarine, lait en poudre et fruits déshydratés, et voilà une tarte ; ded fruits déshydratés, cinq cents de fromage cuit, quelques crackers, et voilà le dîner ; les mêmes fruits, étuvés avec du sucre et un peu de poudre de lait, voilà le petit déjeuner. Alors que l'opinion commençait à ressentir un minimum de compassion pour tous ces malheureux, la femme d'un sénateur, qui n'avait jamais eu recours à l'aide alimentaire, fit cette grande découverte : "Mais on peut vivre quand même assez bien avec ça !" Et on la vit sur toutes les images d'actualité, dévorant une part de tarte ainsi confectionnée.
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