La maison d'édition le mot et le reste peut s'énorgueillir d'avoir réédité pas moins d'une quinzaine d'opuscules de
Henry David Thoreau sur la seule période 2017-2019
L'esclavage au Massachussetts reproduit une conférence prononcée par le philosophe américain en 1854.
Si en 1845, une foule abolitionniste avait réussi à libérer, en envahissant le tribunal, un esclave fugitif arrêté à Boston pour l'extrader au Canada, cette tentative échoue en 1854 lorsqu'Anthony Burns est arrêté dans la même ville pour les mêmes raisons.
Protégé par la force armée, le tribunal, par la voix de son juge, décrète alors que cette « propriété » doit être rendue à son « possesseur ». Une loi de 1850 imposait en effet aux États du Nord, ayant aboli l'esclavage, de renvoyer à leurs propriétaires les esclaves capturés sur leurs territoires.
C'est sous escorte d'un détachement fédéral de pas moins de 2 000 hommes qu'Anthony Burns sera renvoyé en Virginie.
La vive émotion produite par cet événement pousse Thoreau à tenir conférence sur le sujet. Par provocation, il lui donnera pour titre « L'esclavage au Massachusetts », signifiant ainsi que ce problème ne se pose désormais plus seulement dans les États du Sud. On sent dans son discours toute la colère du philosophe, se laissant aller à la formule expéditive et à l'insulte.
La force armée d'Etat
Première cible du discours : le Gouverneur du Massachusetts.
Thoreau découvre, ou semble découvrir la force de coercition de l'État. Il dit sa surprise de découvrir l'existence du gouverneur en même temps que celle d'Anthony Burns. A ses yeux, en ayant assuré la sécurité du convoi renvoyant le fugitif en Virginie, le gouverneur s'est rendu complice du jugement qui a dérobé à vie la liberté d'un pauvre noir innocent.
Thoreau raille ce gouverneur dont « le seul exploit est de passer et les troupes en revue le jour du rassemblement ».
Ainsi donc, « toute la force militaire de l'État est au service d'un certain M. Suttle, propriétaire d'esclaves de Virginie, dans le but de l'aider à attraper un homme qu'il considère comme son bien personnel ».
Le philosophe s'insurge : « Est-ce donc dans ce dessein que nous avons des soldats, que nous les entraînons depuis 79 ans ? Cet entraînement ne vise-t-il donc qu'à aller dévaliser le Mexique et à restituer les esclaves fugitifs à leurs maîtres ? »
La justice
Dans cette affaire, bien que ce soit sur la décision d'un juge, l'auteur estime que c'est l'ensemble de la population du Massachusetts qui en porte la responsabilité : « Son grand crime, le plus flagrant et le plus fatal de tous, c'est d'avoir permis que cet individu joue le rôle d'arbitre dans cette affaire. C'était vraiment le procès du Massachusetts. »
Thoreau met en cause le fait qu'un seul homme puisse statuer sur une telle affaire. La décision du juge ne peut qu'être arbitraire ; il est évident qu'il n'est pas une autorité compétente dans une affaire aussi importante. En outre, le philosophe rappelle que le juge, contrairement à ce que l'on pourrait penser, ne donne pas une sentence éthique, mais simplement technique : « de tels juges ne sont que les inspecteurs des outils d'un cambrioleur ou d'un meurtrier qui s'assurent qu'ils sont en bon état et qui pensent que là s'arrête la responsabilité ».
La loi de 1850 est une hérésie aux yeux de Thoreau. Les juges appliquent une loi injuste puisque autorisant un homme à en posséder un autre.
Thoreau exprime une plus grande confiance dans les sentiments du peuple et pense qu'il serait préférable de soumettre ce genre question au vote populaire.
La presse
Aux yeux du philosophe, tout se passe comme si la presse avait remplacé l'endoctrinement religieux : « le
journal est une bible qu'on lit tous les matins et tous les après-midi, debout ou assis, à cheval ou en se promenant. C'est une bible que chacun a dans sa poche… »
Or, la presse semble au bord de la corruption. de fait, elle exerce une influence plus grande et plus pernicieuse que ne l'a jamais fait l'Église dans les pires moments de son histoire.
« Aucun pays n'a sans doute été gouverné par une classe aussi minable de tyrans que celle des directeurs de la Presse périodique de ce pays. Et comme ils vivent et règnent uniquement par leur bassesse, s'adressant à ce qu'il y a de pire et non de meilleur dans la nature humaine, les gens qui les lisent sont dans le même état que le chien qui retourne à son vomi. »
Thoreau conclut sur l'impérieuse nécessité d'attaquer la presse avec autant de sérieux et de vigueur qu'on l'a fait à l'endroit de l'église.
La loi et nous
Il y a dans ce texte une vive critique de notre rapport à la loi.
La loi ne doit pas être une béquille utile à notre indifférence et notre apathie. Thoreau en est conscient : beaucoup de ses contemporains pensent que loi sert uniquement à préserver un confort matériel. Mais, « à quoi bon les valeurs de la loi qui protège votre bien et vous offre tout juste de quoi vivre, si elle n'entretient pas en vous des sentiments humains ? »
La décision du tribunal a une répercussion immense sur le philosophe et impacte jusqu'à sa conception de
la désobéissance civile :
« Maintenant que le Massachusetts a délibérément envoyé Anthony Burns, un innocent, à son état d'esclave […] j'ai fini par comprendre que j'avais perdu mon pays. Je n'avais jamais respecté le gouvernement à l'ombre duquel je vivais, mais j'avais eu la sottise de croire que je pourrais arriver à vivre ici en m'occupant de mes affaires privées et en l'oubliant. »
Comment être serein alors qu'une décision si inhumaine a été prise ?
Le philosophe de Walden comprend que son attitude passée n'est plus tenable. Si la probité intellectuelle l'a poussé à se retirer de la Cité, c'est également celle-ci qui le contraindra à revenir. Il s'étonne que les autres citoyens puissent continuer à vaquer à leurs occupations comme si de rien n'était.
Se promener dans les bois n'y suffit plus :
« Je vais me promener près de l'un de nos lacs et je me demande quel est le sens de la beauté de la nature quand les hommes sont vils. Nous allons au bord du lac pour voir s'y refléter notre sérénité ; si nous ne sommes pas sereins, nous n'y allons pas. Qui peut être serein dans un pays où gouvernants et gouvernés sont dénués de principes ? »
On ne peut attendre de la loi qu'elle agisse à notre place. C'est sans doute là ce qu'il entend dire par l'expression : « C'est aux hommes qu'il appartient de libérer la loi ».
« L'humanité va-t-elle un jour apprendre que la politique n'est pas l'éthique, que jamais elle n'assure un seul droit moral, qu'elle ne considère que ce qui est opportun, qu'elle choisit le candidat disponible qui est invariablement le diable ? »
Ici, même si
Henry David Thoreau fait explicitement référence à une Loi divine, qui serait supérieure à la Constitution américaine, il reste que ce sentiment religieux ne coïncide pas avec le strict christianisme. Il a pris ses distances avec le transcendantalisme d'Emerson1. Et c'est avant tout des actes humains dont il se soucie :
« le sort de l'humanité ne dépend pas du bulletin de vote que vous déposez dans l'urne une fois par an, mais de la sorte d'homme que vous déposez dans la rue tous les matins en quittant votre logis. »
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