Paris 11 août

Les assauts de Noël, tous les jours. Les soldes. Les cadeaux promotionnels. L’ANPE a offert à chaque élève un chèque de quinze euros accompagné d’une carte représentant un sapin scintillant aux boules rouges et vertes, avec les mots « Bonne Année » écrits à l’intérieur. Aucune mention de Noël. Sans doute pour éviter la discrimination religieuse. L’ANPE savait faire preuve de subtilité. Tout le monde était content, chacun a ouvert son enveloppe, pris son chèque et balancé la carte par terre. À la fin du cours, des dizaines de sapins scintillants aux boules rouges et vertes étaient mélangés aux emballages de sandwiches et aux canettes de Coca vides.

Lorsqu’elles ont fini leurs cafés, le formateur est revenu, a salué la classe en souriant. La musique du jeu était toujours à fond. Obélix s’est réveillé et s’est jeté sur le cordon de l’ordinateur pour le débrancher. Et le cours a pu reprendre dans le calme. Le formateur avait les joues rouges, son haleine sentait le vin. Il a dit en frappant dans ses mains : allez, maintenant mettons-nous au travail sérieusement. Les élèves ont cherché leurs stylos et du papier. Chacun avait sous sa chaise un sac en plastique pour y mettre ses canettes de Coca vides et ses emballages de sandwich. Vue d’en haut, la salle de cours devait ressembler à une décharge bigarrée. La première leçon consistait à taper une lettre de motivation. Il y avait un modèle sur papier, et il suffisait de le retaper à l’ordinateur, de compléter son nom, prénom et profession. Toute la classe a tapé durant trois heures. Le formateur fumait dans le couloir et revenait parfois pour demander : tout va bien ? Personne ne répondait.

La nouvelle année arrivait à grands pas. Dans la petite chambre de Liên, sous les toits, il y avait une différence de 40 degrés entre l’hiver et l’été. Ses propriétaires n’autorisaient pas l’usage du chauffage à cause de la hausse des prix de l’électricité. Elle n’avait rien dit. Avant d’aller se coucher, elle branchait deux plaques de cuisson électriques qu’elle posait au centre de la pièce. La nuit, en se réveillant pour aller aux toilettes, elle voyait ces deux boules de feu, craignant d’y laisser les pieds en marchant dessus par mégarde. Le matin, la chambre était sèche, l’humidité condensée sur les carreaux de la fenêtre.
Par chance, il y avait une fenêtre pour aérer.

À Paris, le 11 août 2003, il faisait 39 degrés à l’ombre et 42 degrés sous les toits. 39 degrés qui ont fait mourir subitement deux-mille neuf-cent vieillards. 42 degrés qui ont donné à Liên six boutons supplémentaires : quatre symétriques sur le menton, et deux sur les ailes du nez. Liên a toujours eu peur des boutons. Elle ne sait plus à quel âge elle a commencé à en avoir. Elle se souvient seulement s’en être occupée pendant des années en attendant la fin de sa puberté. Aujourd’hui, celle-ci est passée depuis longtemps, mais les boutons eux sont restés.

Pat s’est approchée de Liên et lui a dit qu’elle avait déjà suivi un cours d’informatique à La Havane, mais les ordinateurs subventionnés par la RDA étaient cinq fois plus gros et dix fois plus lents. Après avoir appris à taper un formulaire de demande d’entrée aux Jeunesses Communistes, on passait au formulaire de demande d’entrée au Parti Communiste. C’était là tout le programme des trois mois de formation.